Etats-Unis, Royaume-Uni – Le problème de la distraction et du bruit en salle d’opération est décidemment très à la mode, tout du moins chez les anglo-saxons. Après le portable, c’est aujourd’hui la pertinence de la musique au bloc qui est questionnée par deux études qui paraissent à quelques jours d’intervalle. Alors que l’une, américaine, met en avant l’aspect bénéfique de la musique qui abaisse le stress des chirurgiens et augmente leur dextérité [1], l’autre, britannique, rappelle au contraire qu’elle peut nuire à la bonne communication entre le chirurgien et son équipe [2].
Voir les commentaires de chirurgiens français dans un second article de Medscape. |
Ecouter de la musique au bloc n’est pas un phénomène nouveau (voir encadré). Mais la pratique, qui s’est généralisée au cours du temps, ne cesse d’interroger quant à ses bénéfices (essentiellement en termes d’effet relaxant pour le personnel médical/patient) et ses désagréments (pollution sonore, distraction) [3,4]. Les protocoles – originaux et conséquents – mis en place dans les études présentées ci-dessous pour appuyer les arguments « pour et contre » montrent que la question n’a rien d’anecdotique. Elle revient d’ailleurs régulièrement dans la littérature médicale (en chirurgie et en anesthésie), mais essentiellement, il est vrai, sous la plume d’auteurs anglo-saxons. Moins prolixes, les chirurgiens français ne sont pas en reste sur la question (voir dans l’article ci-joint leurs avis tranchés).
Musique au bloc, un vieil air Ecouter de la musique en salle d’opération ne date pas d’hier. En 1914, Evan O’Neill Kane a le premier apporté la musique au bloc comme « déstressant » pour les patients en cours d’anesthésie [1]. Puis la musique s’est généralisée dans les années 1930, principalement au profit des patients. On demandait déjà aux chirurgiens d’éviter certains types de musique comme le jazz et les chansons romantiques [1]. En revanche, les morceaux mélodieux et doux étaient considérés comme acceptables. Si, à l’époque, les morceaux de musique enregistrés sur disque étaient joués sur un gramophone, aujourd’hui, des lecteurs de musique portable type iPod, bien plus pratiques, ont fait leur apparition au bloc. Certains bâtiments hospitaliers sont même conçus avec des systèmes d’enceinte intégrés dans les murs de certaines salles opératoires [1]. |
Quand la musique fait économiser du temps…et donc de l’argent
Si le rôle « déstressant » de la musique sur les chirurgiens et leur équipe a été prouvée à plusieurs reprises, des chercheurs de l’Université de médecine du Texas, ont voulu savoir si un fond sonore pouvait influencer la dextérité des praticiens. L’étude a été publiée dans Aesthetic Surgery Journal [1]. Quinze internes en chirurgie ont ainsi été invités à suturer des plaies suite à des incisions pratiquées sur des pieds de porc (achetés au supermarché du coin), en raison de la proximité avec la texture de la peau humaine. Alors qu’ils n’étaient pas informés de l’objectif de l’étude, ces jeunes chirurgiens ont réalisé cette opération en écoutant leur musique préférée, d'autres sans. Puis le lendemain, il leur a été demandé de refaire cette opération, en musique s'il n'y en avait pas la veille, et inversement.
Résultat : le temps nécessaire pour effectuer une suture est en moyenne 7 % plus court lorsque le chirurgien écoute son morceau favori. Avec un effet de raccourcissement proportionnel à l’expérience du chirurgien (8 % pour les débutants et 10 % pour les plus expérimentés). Un mieux quand on sait que le risque de complications dépend du temps passé sous anesthésie générale. L’autre avantage mis en avant par les chercheurs est plus surprenant : passer moins de temps dans le bloc permettrait une réduction des coûts. Même en période d’économies, l’argument a quand même de quoi inquiéter : selon une estimation, une réduction de 10% du temps opératoire permettrait d’économiser 396$ pour une heure ! Soit des centaines de dollars sur une année, insistent les chercheurs.
Enfin, un panel de chirurgiens plastiques a également jugé à l'aveugle la qualité de l'ensemble des sutures. Verdict : les plus « belles » se sont révélées être celles réalisées en musique - un argument tout de même plus recevable quant à l’intérêt de la musique au bloc.
Quid de l’effet sur la communication entre les membres de l’équipe chirurgicale ?
Autre étude sur l’impact de la musique au bloc – mais avec un objectif différent – et autre conclusion : une équipe anglaise s’est intéressée à la qualité de la communication au sein du bloc opératoire. Ses résultats sont publiés dans le Journal of Advanced Nursing [2]. L’originalité de ce travail, c’est l'approche « ethnographique » de la méthologie consistant à filmer les opérations – la vidéo étant plus utilisée pour des publications en sciences sociales qu’en médecine, soulignent les auteurs. L’étude réalisée entre 2012 et 2013 a consisté à filmer 20 interventions (chirurgie générale, chirurgie bariatrique…) dont 13 laparoscopiques et 7 de chirurgie classique réalisées dans deux blocs opératoires par 4 chirurgiens du Royaume-Uni.
Sur ces 20 opérations, 70% ont été réalisées en musique. Les 69 heures d’enregistrement vidéo ainsi obtenues ont été visionnées, en plus des chercheurs, par un panel constitué de chirurgiens, d’internes en chirurgie, de panseuses, d’anesthésistes….L’analyse a été à la fois qualitative et quantitative. Elle a consisté principalement à notifier les séquences de questions et de réponses (verbales et non verbales) entre le chirurgien et l’équipe, ainsi que leurs répétitions, en fonction de présence de musique ou non. Les chercheurs ont ainsi comptabilisé 5303 séries d’échanges de ce type. En l’absence de musique, ils ont relevé 6 répétitions sur 1649 demandes (0,3%). En présence de musique, 63 répétitions ont été notées sur 3585 observations (1,7%), avec un risque relatif de 1,4% (0,008 – 0,2), soit 5 fois plus, ce qui fait une différence significative (p<0,0001).
Une question de volume
Les chercheurs y voient là la preuve que la musique peut être un frein à une bonne communication au sein du bloc et que cela pourrait avoir des répercussions sur le bon déroulement de l’intervention. Certains auteurs, cités dans la bibliographie, ont évoqué la possibilité qu’un nom de médicament ou qu’un dosage puisse être mal interprété. Cela dit, ce type d’erreur de communication pourrait tout autant se passer en cas de baisse auditive de certains intervenants (quid de la surveillance auditive du personnel du bloc ?).
Les chercheurs concluent leur travail en préconisant que « l’équipe doit s’assurer que la musique ne couvre pas les bruits de l’environnement et reste un fond sonore agréable ».
Interpellé sur la question, le Royal College of Surgeon a nié que la présence de musique dans les hôpitaux du NHS ait jusqu’à présent posé problème, rapporte la BBC [5].
Les playlists des chirurgiens La musique est très présente au bloc, puisque audible dans 62 à 72 % des cas, rapporte David Bosanquet dans un éditorial du BMJ [6]. Au Royaume-Uni, ce serait même 90% des chirurgiens qui écouteraient de la musique quand ils opèrent, selon le Guardian, les chirurgiens plasticiens étant les plus fans [7]. De la musique au bloc, oui mais laquelle ? Selon le Dr Bosanquet, si la musique classique prédomine, beaucoup d’autres styles sonorisent le champ opératoire. Son service a d’ailleurs proposé une playlist – non dénuée d’un humour très anglais - qui comprend notamment « Staying alive » de Bee Gees, un morceau très rythmé – mais particulièrement adapté, comme nous l’avions déjà indiqué, pour la réanimation cardiovasculaire –, Smooth operator de Sade serait un must de toutes les mixtape de bloc ou encore « Wake me up before you go go » de Wham, bien évidemment idéale en réanimation post-chirurgie. A éviter : « another one bites the dust » de Queen, cela va de soi, et autre « Everybody hurts » de REM, qui pourrait rappeler de mauvais souvenirs au patient. La liste entière mérite le coup d’oeil, au moins pour les commentaires, très drôles, qui accompagnent chacun des tops et des flops de bloc [6]. Autre confirmation que l’image du chirurgien opérant sur de la musique classique a fait long feu, ce témoignage d’un médecin dans le British Journal of Urology International. Dans un article très explicitement intitulé « No classical music in my operating room please », l’urologue australien explique, que pour lui, la musique est indispensable dans le bloc opératoire [8]. En jouant Pink Floyd, Bowie ou les Stones, le chirurgien considère même participer à l’éducation musicale de ses internes et du personnel infirmier qui, regrette-t-il, ne connaissent pas leurs « classiques ». Ces dernières années, ce fan de musique reconnait néanmoins s’être mis à jour et diffuser désormais the XX, The Vaccines,First Aid Kit, The Hives, Regina Spektor, Mumford & Sons and so on. Pas mal. |
REFERENCES :
Lies SR, Zhang AY. Prospective Randomized Study of the Effect of Music on the Efficiency of Surgical Closures. Aesthetic Surgery Journal. DOI: http://dx.doi.org/10.1093/asj/sju161
Weldon SM, Terhi Korkiakangas T, Jeff Bezemer J, Kneebone R. Music and communication in the operating theatre. Journal of Advanced Nursing, 2015. doi: 10.1111/jan.12744
Shambo L, Umadhay T, Pedoto A. Music in the Operating Room: Is It a Safety Hazard? AANA Journal, February 2015, Vol. 83, No. 1
Shyjumon G, Shafiq A, John GM. Influence of music on operation theatre staff. Journal of anaesthesiology Clinical Pharmacology. 2011 : 27 (3) : 354-7.
Music in the operating room off-putting , study suggests, BBC, 5/08/15
Bosanquet DC, Glasbey JCD, Chavez R. Making music in the operating theatre, BMJ 2014;349:g7436 doi: 10.1136/bmj.g7436
Henley J. Music for surgery. The Guardian. 11/08/2011
No musical music in my operating room please , BJU International, 3/04/2013
Citer cet article: Stéphanie Lavaud. Musique au bloc : apaisant, relaxant ou distrayant ? - Medscape - 17 août 2015.
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