Ruptures de stock de médicaments : le pourquoi du comment

Jean-Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

14 août 2015

Paris, France – Une polémique peut en cacher une autre. La récente pétition du Pr Henri Joyeux contre la vaccination des enfants de un à six ans avec un vaccin hexavalent [1] est l’arbre qui cache la forêt. Car, si les autorités sanitaires recommandent désormais l’Infanrix® (qui vaccine également contre l’hépatite B), c’est tout simplement parce que les vaccins tétravalents (DT polio et coqueluche) et pentavalents (DT Polio, coqueluche, Hib) sont en rupture de stock. Une pénurie qui touche également, outre la vaccination obligatoire contre le DT Polio, celle contre le BCG.

Mondialisation plutôt que contingentement

Et les vaccins ne sont pas les seulsconcernés. Dans une récente enquête, le quotidien Le Parisien [2] affirme que près de 300 médicaments sont en rupture de stock, et que ce problème est dû, entre autres, à la pratique du contingentement, laquelle consiste, pour les laboratoires pharmaceutiques, à rationner l’approvisionnement de certains médicaments auprès des répartiteurs grossistes. Et ce, à des fins commerciales et financières. La pratique du « rationnement volontaire » n’est pas nouvelle puisqu’elle a déjà fait l’objet d’une saisine de l’autorité de la concurrence par la chambre syndicale de la répartition pharmaceutique, qui a donné lieu à un avis en 2006 [3]. Néanmoins si cette pratique a pu exister à un moment ou pour certains produits de façon à « tendre » le marché pharmaceutique, les ruptures de stock de médicaments sont aujourd’hui surtout dues à des problèmes de fabrication ou d’approvisionnement à l’échelle mondiale. Ce dernier phénomène n’est pas nouveau mais tend à s’amplifier depuis 2008, avec toujours la même cause : la mondialisation et l'approvisionnement en matières premières. A l'instar d'autres secteurs mondialisés, il se fait désormais majoritairement dans les pays émergents (comme la Chine ou l'Inde), créant une dépendance des pays industrialisés vis-à-vis de ces sites de production, mais aussi des problèmes de traçabilité et/ou de perte de qualité (cf le problème rencontré en 2008 avec les héparines d'origine chinoise), écrivait Medscape en 2011.

Très concernés, les anesthésistes étaient montés au créneau en 2011

On se souvient que dès 2010, le laboratoire Bristol Myers Squibb avait signalé des difficultés d’approvisionnement en BiCNU® (carmustine, un agent antinéoplasique cytostatique) « consécutives à des retards de production de cette spécialité à l’échelle mondiale suite à une pénurie en principe actif ». Cette pénurie avait d’ailleurs entrainé un contingentement de cette spécialité.

En 2011, les anesthésistes s'inquiétaient de la pénurie, voire la disparition pure et simple de certains médicaments essentiels. Qu'elles soient temporaires ou fassent suite à la décision des laboratoires de cesser la fabrication, « les ruptures de stocks des médicaments d'anesthésie/réanimation sont récurrentes depuis plusieurs années » écrivait alors la Société Française d'Anesthésie-Réanimation (SFAR). En 2011, l’Afssaps (ex-ANSM) rencontrait même les responsables de la société française d’anesthésie réanimation (SFAR) pour faire le point sur les pénuries de certaines spécialités utilisées dans cette discipline. Etaient concernés alors : les médicaments pour réaliser des anesthésies et gérer la douleur comme le Pentothal® ( plus commercialisé depuis 2011 ), le Celocurine® (qui a connu des difficultés d’approvisionnement fin 2010), la lidocaïne adrénalinée ou encore la néosynéphrine.

Des difficultés d’approvisionnement toujours plus nombreuses

En 2012, c’est au tour du laboratoire Sanofi de rencontrer des difficultés pour assurer la distribution de l’Immucyst 81 mg® (utilisé dans le traitement du cancer de la vessie), à la suite de problèmes industriels rencontrés sur l’unique site de production, au Canada. Pour pallier au manque, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) avait délivré en urgence une autorisation d’importation du BCG-Medac®, une alternative thérapeutique, tout en adaptant le dispositif de distribution et d’utilisation des doses disponibles.

Toujours en 2012, les corticoïdes injectables (Altim® et Diprostene®) étaient en quasi rupture de stocks. Là encore, la cause relevait de la fabrication : le Diprostene® début 2012 a fait l’objet d’un rappel de lots « suite à la découverte d’impuretés provenant du joint d’un piston dans une seringue ». Tandis que Sanofi connaissait au même moment des difficultés de production d’Altim®. Fin 2013, c’est le laboratoire Teopharma était bien en peine d’approvisionner le marché français avec sa spécialité Digoxine® injectable, dû encore une fois à des problèmes de fabrication.

Enfin en 2013, l’opinion publique s’était émue de « difficultés d’approvisionnement » ponctuelles de Lévothyroxine® (utilisé dans le traitement de l’hypothyroïdie). Là encore, cette tension sur l’approvisionnement de cette spécialité était due à un problème rencontré en usine, en l’occurrence à un problème de conditionnement.

Doublement des signalements de rupture de stock entre 2012 et 2013

Les exemples cités précédemment le montrent bien, dans la majorité des cas, les difficultés d’approvisionnement ou les ruptures de stocks – une soixantaine actuellement selon le site de l’ANSM [4] – ne sont pas le fait de stratégies commerciales de laboratoires pharmaceutiques irresponsables, mais plutôt dues à des problèmes de fabrication ou à des cessations de commercialisation. La demande mondiale, dans un marché mondialisé des spécialités médicamenteuses, joue également un rôle dans cette multiplication des ruptures de stock. Confirmation dans un document mis en ligne en mars dernier par l’ANSM : les ruptures de stock de médicaments sont causées par l’outil de production (44% des cas) comme des retards de fabrication, des capacités de production insuffisante…, des difficultés d’approvisionnement en matière première (17%), des défauts qualité de produits finis (13%) et matières premières (5%), et des modifications d’AMM (8%).

Dans le temps, le nombre de signalements de ruptures de stock déclarés à l’ANSM a lui aussi constamment progressé. De 44 en 2008, les signalements sont passés à 132 en 2011, 173 en 2012, et 404 en 2013. Le doublement entre 2012 et 2013 est très certainement dû à la publication du décret du 28 septembre 2012 « relatif à l’approvisionnement en médicaments à usage humain » [5] puisqu'entre autres choses, il renforçait les possibilités d’alerte par les pharmaciens et les grossistes répartiteurs en cas de rupture d’approvisionnement.

La Loi de santé à la rescousse

Force est de constater que ce décret issu de la Loi de renforcement de la sécurité sanitaire de 2011 n’a pas tenu ses promesses, tant et si bien que le ministère des affaires sociales compte de nouveau légiférer pour briser le cycle exponentiel de ces ruptures de stocks. Dans la prochaine Loi de santé, qui sera de nouveau débattue à la rentrée prochaine au Parlement, un chapitre est tout entier consacré aux ruptures d’approvisionnement des médicaments. Cet article devrait définir une liste de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) qui, en cas de carence, pourraient mettre en danger vital les patients à qui ces MITM sont prescrits. Pour ces médicaments, les titulaires d’AMM et les exploitants devront concevoir des plans de gestion des pénuries (PGP) afin d’éviter toute rupture de stocks. En attendant, l’ANSM gère l’urgence en usant de diverses ficelles en cas de ruptures de stocks : mise à disposition en ville de spécialités hospitalières, contingentement, importations ponctuelles d’alternatives thérapeutiques…

 

 

REFERENCES :

  1. Rosenweg D.Ruptures de stock dans les pharmacies , 10/08/15

  2. Décision n° 07-D-46 du 13 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits pharmaceutiques.

  3. ANSM. Ruptures de stock des médicaments

  4. Décret n° 2012-1096 du 28 septembre 2012 relatif à l'approvisionnement en médicaments à usage humain

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