Paris, France -- « Force est de constater que les couloirs des urgences sont embouteillés à la fois par des malades qui attendent une prise en charge et par d’autres qui patientent en l’absence de lits. Et ce phénomène n’est pas nouveau ni exclusivement français [1], mais aucune des solutions proposées jusqu’à présent n’a permis de solutionner ce problème », analyse le Dr Benoît Doumenc (Paris) à l’occasion du congrès Urgences 2015 [2].
Est-ce la faute des urgentistes ? De l’hôpital ? Des patients ? De l’offre de soins ? Chacun a une responsabilité, si l’on en croit les Drs Mathieu Heidet (Créteil), Agnès Ricard-Hibon (Pontoise), Thibault Desmettre (Besançon) et Benoit Doumenc (Paris) réunis à l’occasion d’une table ronde sur l’organisation du couloir des urgences [2].
Pourquoi cet embouteillage ?
« Avant de proposer des solutions, il faut se pencher sur la question essentielle : pourquoi les couloirs sont-ils embouteillés ? » précise le Dr Desmettre.
D’abord, et depuis plusieurs années, les motifs de recours aux urgences ont changé : patients polypathologiques, absence de possibilités d’accès aux soins (déserts médicaux ou absence de système de garde libérale), recours aux urgences par facilité ou dicté par l’absence d’avance de frais. La population qui est adressée aux urgences s’est elle aussi modifiée, avec des patients plus âgés, venus de maisons de retraite sans avis médical, exclus des soins, patients sans suivi habituel….
« D’autres facteurs concourent aussi à la saturation des urgences en cette période de restructuration hospitalières. Et en particulier, l’aval voire l’aval de l’aval. En effet, la T2A favorise les patients programmés. Par ailleurs, le ratio lits de chirurgie/lits de médecine joue en défaveur des patients qui fréquentent les urgences, en particulier en raison de la sur-spécialisation des filières de soins », continue le Dr Doumenc. « Aujourd’hui, les urgentistes sont souvent contraints à attendre le soir avec leurs patients sur des brancards afin de les placer la nuit dans tous les lits libres de l’hôpital en attendant de subir les foudres de leurs confrères des étages dès le matin ».
Alors quelles solutions proposer ? Globalement, les urgentistes présents étaient tous d’accord sur la nécessité de travail sur l’amont, l’organisation des urgences et l’aval. Différentes pistes ont été proposées.
Agir sur l’amont
- Mettre en place une interface avec la médecine de ville afin de proposer des hospitalisations en direct dans les services spécialisés ;
- Programmer l’imprévu, c’est à dire l’afflux de patients aux urgences en raison d’épidémies, de grèves des médecins libéraux ;
- Mettre en place des « Plans Urgence ». En 2003, par exemple, c’est le Plan Urgence qui a permis une augmentation du nombre des postes ;
- Créer des filières courtes différentiées voire des consultations non programmées pour les patients qui consultent aux urgences pour des motifs ne nécessitant pas le plateau technique de l’hôpital. Dans les hôpitaux qui ont choisi cette solution, la création des filières courtes a permis l’amélioration de l’efficience de l’ensemble du SAU en diminuant aussi les durées de prises en charge des patients graves.
- Adapter l’activité programmée à l’activité non programmée ;
- Favoriser les sorties des patients hospitalisés dans les étages avant midi, ce qui a un réel impact sur l’engorgement ;
- Créer des maisons médicales de garde. C’est une solution très théorique car cette approche n’a pas vraiment permis de faire diminuer la fréquentation des urgences ;
- En travaillant avec les maisons de retraite pour que les résidents soient adressés aux urgences après avis d’un médecin et non pas seulement d’une IDE et en insistant pour que les patients soient adressés avec des dossiers médicaux complets et circonstanciés.
Mieux organiser les urgences
- Supprimer les taches inutiles et travailler sur l’ergonomie ;
-Favoriser les transmissions pluridisciplinaires (médecins, IDE, aides-soignants) et des points en cours de journée ;
- Sénioriser les urgences car les internes prescrivent souvent trop d’examens. La séniorisation doit donc être très précoce dans la prise en charge ;
- Mettre en place un tri systématique par l’infirmière d’accueil et d’orientation (IAO) fondé sur les échelles d’évaluation validées ;
- Poster un médecin d’accueil et d’orientation (MAO) qui aide les IAO ou valide leur tri ;
- Anticiper les actes de radiographie dès l’accueil pour les patients qui ne nécessitent pas de déshabillage ;
- Anticiper les avis de spécialistes en les prévenant dès l’arrivée du patient aux urgences ;
- Prescrire dès l’accueil les bilans sanguins qui seront techniqués quand le patient sera en attente d’installation en box ;
- Réduire les demandes de laboratoire ou de radiographie ;
- Automatiser le transfert des bilans vers le laboratoire ;
- Mettre en place une interface avec le service de radiologie, faire en sorte que les médecins soient prévenus dès la disponibilité des résultats de radio ;
- Mettre en place une interface avec le laboratoire faire en sorte que le médecin soit prévenu tout de suite de l’arrivée de résultats de laboratoire ;
- Faire venir aux urgences les spécialistes pour donner un avis car certains patients ne sont hospitalisés que pour pouvoir avoir accès à un avis spécialisé ;
- Eviter de réaliser des investigations complémentaires aux urgences si le patient doit être hospitalisé ;
- Fluidifier les flux de patients grâce à une collaboration avec les brancardiers et à la création de zones de stockage des patients en attente de lits ou d’examens.
Agir sur l’aval
- Créer des postes de « bed-management », des postes non soignants qui connaissent la situation des lits en temps réel ;
- Transférer les patients vers d’autres établissements, mais, dans ce cas, les médecins ont un sentiment de trahison vis à vis des patients ;
- Eviter les refus systématiques des services hospitaliers en respectant néanmoins leur organisation (NDLR : un vœu pieux ?)
- Proposer des services d’accueil post-urgences permettant de prendre en charge les pathologies nécessitant une courte durée d’hospitalisation et de reprogrammer l’hospitalisation secondairement si nécessaire ;
- Prendre en compte l’ « overcrowding hazard scale » qui comprend deux facteurs : le taux d’occupation des lits de l’établissement et le pourcentage de patients en attente d’hospitalisation au SAU ;
-Travailler sur les filières gériatriques d’aval.
REFERENCES :
Lynn SG, Kellermann AL. Critical decision making: managing the emergency department in an overcrowded hospital. Ann Emerg Med. 1991 Mar;20(3):287-92.
Heidet M, Ricard-Hibon A, Doumenc B, Demesttre T. Controverse : le patient est resté une nuit sur un brancard aux urgences. A qui la faute ?
Citer cet article: Dr Isabelle Catala. Le patient passe la nuit sur un brancard des urgences : à qui la faute ? - Medscape - 29 juin 2015.
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