TECOS montre que la sitagliptine est parfaitement neutre sur le plan CV

Vincent Bargoin avec Michael O'Riordan

Auteurs et déclarations

9 juin 2015

Boston, Etats-Unis – Présentée au congrès de l’American Diabetes Association (ADA) et publiée simultanément dans le New England Journal of Medicine, l’étude TECOS (Trial to Evaluate Cardiovascular Outcomes after Treatment with Sitagliptin) ne montre pas de risque cardiovasculaire de la sitagliptine (Januvia®, Xelevia®, Merck) chez des diabétiques de type 2 [1].

« Dans cette étude, nous avons spécifiquement regardé les évènements liés à l’insuffisance cardiaque, et n’avons trouvé aucune différence », a résumé le Dr Eric Peterson (Duke University, Durham, Etats-Unis) en présentant l’étude en conférence de presse.

« Il n’y avait aucun signal d’insuffisance cardiaque parmi les patients traités par sitagliptine par rapport au placebo. Compte-tenu de la taille de notre étude, du suivi de longue durée, et du haut risque cardio-vasculaire (CV) des patients, nous pensons que la question du risque d’insuffisance cardiaque a été correctement posée, et qu’elle est maintenant à ranger au placard ».

On note également qu’aucun bénéfice CV n’a été observé par ailleurs, alors même que TECOS, conçue comme étude de non infériorité, avait un effectif et une puissance statistique suffisante pour faire ressortir une supériorité. « Lorsque l’étude a été conçue, un sentiment général était que cette classe thérapeutique pourrait avoir un bénéfice cardiovasculaire, » a expliqué le Dr Rury Holman (Oxford University, Royaume-Uni) lors d’une conférence de presse de l’ADA.

TECOS en bref

TECOS porte sur 14.761 diabétiques de type 2, diagnostiqués depuis 11,6 ans en moyenne, et présentant une affection CV. Ces patients ont été traités par sitagliptine ou placebo en plus de leur traitement habituel.

L’HbA1c à l’entrée se situait entre 6,5% et 8%, avec une moyenne à 7,2%. Comme il s’agissait d’évaluer la sécurité de la sitagliptine, le protocole encourageait l’utilisation d’hypoglycémiants en ouvert, de façon à maintenir le plus possible une équivalence de l’HbA1c entre les deux groupes. En fin d’étude, l’HbA1c ne différait que de 0,3% entre groupe sitagliptine et groupe contrôle. Les résultats sur le plan CV ne peuvent donc être attribués à des différences de contrôle glycémique.

Le critère primaire était un composite associant décès CV, infarctus du myocarde non fatal, AVC non fatal et hospitalisation pour angor instable. L’incidence de ce critère n’était pas différente d’un groupe à l’autre. L’analyse séparée de chacun des critères du composite n’a pas révélé davantage d’écart.

« La sitagliptine est remarquablement sûre pour tous les signaux que nous avons regardé, dans tous les sous-groupes que nous avons analysés, et de toutes les manières dont on peut examiner les données. Nous avons testé la robustesse de ces données ; tout ce qui sort indique qu’il n’y a pas de signal de sécurité CV associé à ce médicament », a commenté le Dr Peterson. 

S’agissant des infections, des cancers, de l’insuffisance rénale, ou des hypoglycémies sévères, la sitagliptine semble également sûre. On relève cependant 23 pancréatites aigües parmi les patients sous sitagliptine, contre 12 chez les patients sous placebo. L’écart n’est pas significatif. Par ailleurs, les cancers du pancréas, extrêmement rares dans l’étude, étaient cette fois moins nombreux dans le groupe sitagliptine.   

L’efficacité du traitement à long terme, en tant qu’antidiabétique, n’était pas l’objectif de l’étude. On note simplement que les patients sous sitagliptine ont utilisés significativement moins d’hypoglycémiants, et ont été moins nombreux à démarrer une insulinothérapie au long cours.

Enfin, l’absence de bénéfice CV, déjà constaté avec SAVOR et EXAMINE, (alors qu’il était suggéré par des phases II et des études observationnelles) avait déjà constitué une certaine déception. Ce résultat est confirmé dans TECOS. Voilà qui fait au moins un résultat convergent entre les trois grandes études.

Au total, la sitagliptine apparait donc parfaitement neutre sur le plan cardiovasculaire.

Cette conclusion peut-elle être étendue aux autres inhibiteurs de DPP-4, saxagliptine (Onglyza®, Bristol-Myers Squibb) et alogliptine (Nesina®, Takeda) ?

C’est évidemment la question sur laquelle personne ne s’est engagé, l’hypothèse d’un sur-risque d’insuffisance cardiaque ayant précisément été soulevé par la saxagliptine dans SAVOR-TIMI 53 , où ce sur-risque était significatif (RR d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque sous saxaglitine vs placebo : 1,27 ; IC 95% 1,07 à 1,51 ; p=0,007).

Quant à l’étude EXAMINE , mené avec l’alogliptine chez des patients recrutés 15 à 90 jours après un SCA, elle n’avait simplement pas préspécifié ce critère. Une analyse post hoc a été rajoutée à la dernière minute, pour satisfaire aux exigences de la FDA. Cette analyse n’a pas retrouvé le sur-risque observé dans SAVOR. Toutefois elle ne portait que sur 800 insuffisants cardiaques chroniques (sur un total de 5300 patients recrutés), après exclusion des insuffisances cardiaques consécutives aux SCA.

Devant ces données, la FDA elle-même a procédé à une ré-analyse montrant, elle, un excès non significatif d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque.

Les gliptines font les frais des failles de la FDA face à la rosiglitazone

En fait, les conditions de développement des gliptines se sont considérablement durcies en 2008, quand, après le retrait de la rosiglitazone, le doute jeté sur la sécurité cardiovasculaire des antidiabétiques a conduit la Food and Drug Administration (FDA) et l'agence européenne du médicament (EMA) à imposer aux antidiabétiques de faire la preuve non seulement de leur efficacité sur l’HbA1c, mais aussi de leur sécurité cardiovasculaire.

 
Nous pensons que la question du risque d’insuffisance cardiaque a été correctement posée, et qu’elle est maintenant à ranger au placard. Dr Eric Peterson
 

Au demeurant, c’est bien la preuve de cette sécurité qu’essayaient d’apporter SAVOR-TIMI 53, où est au contraire sorti un signal de sécurité, et EXAMINE, dont les conclusions n’ont guère convaincu.

Confrontée à ces incertitudes, la FDA a décidé en février 2014 d’initier une procédure d’évaluation du risque chez les patients diabétiques de type 2 traités par inhibiteur de DPP-4. Le rapport, rendu en avril 2015, non seulement confirme le sur-risque d’insuffisance cardiaque avec la saxagliptine, mais s’inquiète en outre d’un possible sur-risque de mortalité toute cause [2,3]. Dans ces conditions, les experts de l’agence américaine ont demandé la révision des RCP de la saxagliptine et de l’alogliptine, avec mention du sur-risque d’insuffisance cardiaque pour les deux gliptines, et surmortalité potentielle pour la saxagliptine.

La sitagliptine, elle, a échappé à cette mention, en attendant les résultats de TECOS. Et les résultats sont tels qu’elle continuera vraisemblablement d’y échapper.

On peut évidemment se demander si le signal observé dans SAVOR-TIMI 53 et le très faible signal observé dans EXAMINE ont été l’effet de hasards, ou s’il existe de réelles différences de sécurité cardiovasculaires entre gliptines.

En soulignant que les populations de SAVOR, EXAMINE et TECOS sont relativement proches, et ont été traitées de manière comparable, y compris sur le plan de la prévention CV, le Dr Peterson a indiqué qu’aucun investigateur de TECOS ne pouvait avancer d’explication sur la discordance des résultats entre ces études.

« En tant que cardiologues, nous nous en tenons aux preuves », a-t-il ajouté. « Il n’y a pas d’étude comparative [entre gliptines], par conséquent l’extrapolation doit être prudente ».

Pour sa part, le Dr Holman a précisé que TECOS était l’étude la plus importante, comportant le suivi le plus long, et celle dont le protocole était le mieux conçu pour répondre à la question d’un éventuel sur-risque cardiovasculaire. « Le fait que le signal sur l’insuffisance cardiaque ait été inattendu, et que l’on ne dispose d’aucun mécanisme biologique plausible pour l’expliquer, plaide en faveur du hasard », a-t-il indiqué.

Interrogé par l’édition internationale de Medscape, le Dr Holman a ajouté qu’en examinant les données pour choisir une gliptine, les médecins allergiques au risque, traitant des diabétiques de type 2, « voterons probablement avec leur pieds » et choisirons la sitagliptine.

L’étude TECOS a été financée par Merck, Sharpe, & Dohme.

Le Dr Peterson rapporte des liens d’intérêt avec Eli Lilly, Janssen, AstraZeneca, Bayer, et Sanofi.

Le Dr Holman rapporte des liens d’intérêt avec Merck Durant la conduit de l’étude, avec AstraZeneca, Bristol-Myers Squibb, Bayer, Amgen, Intarcia, Novartis, Novo Nordisk, Owen Green Mumford, GlaxoSmithKline, Janssen, et Takeda.

 

RÉFÉRENCES

  1. Green JB, Bethel MA, Armstrong PW, et al. Effect of sitagliptin on cardiovascular outcomes in type 2 diabetes. N Engl J Med 2015; DOI:10.1056/NEJMoa1501352.

  2. FDA, Briefing material . Endocrinologic and metabolic drugs advisory committee meeting, 14 avril 2015.

  3. AstraZeneca's diabetes drug Onglyza may increase death rate – FDA. Reuters 10 avril 2015.

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....