Paris, France – Une première : presque 100% des médecins généralistes d’un territoire de santé, le Roannais, ont observé une grève de trois jours, contre leur condition de travail, et l’instauration du tiers-payant généralisé. Un mouvement qui devrait faire des émules.
50 cabinets fermés sur 52
Après trois jours de grève et une mobilisation sans faille des médecins généralistes de Roanne, le travail a repris dans les cabinets de cette agglomération de la région Rhône Alpes. L’heure du bilan est venue. Une réunion du collectif des médecins en grève s’est tenue, à ce sujet, ce mercredi. Interrogée par Medscape, le Dr Lisa Otton, qui a participé au mouvement de grève, a déclaré :« nous sommes épuisés, nous n’en pouvons plus ». Rappelons que c’est la quasi-totalité des médecins roannais qui ont observé la fermeture des cabinets de médecine de ville entre le lundi 18 mai et le mercredi 20 mai. Soit 50 cabinets sur 52. « Hormis les médecins généralistes salariés dans les centres ou maisons de santé, le mouvement a été suivi par la totalité des MG, soit une soixantaine », a-t-elle précisé.
Une quinzaine de départs à la retraite dans les prochains mois
Pourquoi et comment cette grève spontanée s’est-elle mise en place ? « Il existe une grande solidarité entre les médecins du Roannais, nous nous connaissons tous, nous nous croisons sans cesse. Cela a facilité la mise en place du mouvement. Surtout, nous alertons les pouvoirs publics depuis 2011 sur la situation catastrophique de la démographie médicale sur notre territoire de santé. » Car la moyenne d’âge des MG dans le Roannais est de plus de 60 ans. Selon le Dr Bruno Pagès, l’un des médecins à l’origine du mouvement, une quinzaine de médecins devrait partir à la retraite dans les 18 prochains mois. « Mon associé a 69 ans et nous connaissons même un médecin dans un village qui continue de travailler à 82 ans, faute de relève », se désole le Dr Lisa Otton.
Sentiment d’abandon et de dévalorisation de la spécialité de médecine générale
Pour trouver des solutions, les MG de ce territoire de santé se sont groupés dès 2011 en association de la médecine générale. Les patients les ont suivis pour appuyer leurs revendications et ont créé en 2013 le Collectif santé. Cette mobilisation de tous n’a pas empêché l’échec de la création d’une maison de santé dans l’agglomération. Mais c’est surtout le vote de la loi de santé, le 14 avril dernier à l’Assemblée nationale, qui a mis le feu aux poudres. De ce projet de loi, les MG sont surtout remontés contre une mesure, l’instauration du tiers-payant généralisé en ville.
« Les centres de santé, qui pratiquent le tiers-payant, estime son coût à 4,50 euros par acte. Pourquoi en serait-il autrement pour les cabinets de médecine générale ? Il n’est pas normal que nous soyons ainsi pénalisés financièrement, lorsque l’on voit que des ostéopathes facturent leurs consultations à 40 euros et des podologues prennent 30 euros ! », explique Lisa Otton. A cela s’ajoute un sentiment d’abandon et de dévalorisation de la spécialité de médecine générale. « La filière universitaire fonctionne mal, le Collège national des généralistes enseignants (CNGE) n’a pas les moyens adéquats ! ».
De nouvelles actions
Ce mercredi donc, si les médecins ont décidé de reprendre leurs consultations, ils n’abandonnent pas pour autant la mobilisation. Plusieurs actions devraient se tenir dans les jours qui viennent. Dès la semaine prochaine les MG du Roannais vont observer une grève de la permanence des soins (PDS), même s’ils savent qu’ils devraient être réquisitionnés. Avec le Collectif santé, ils ont également décidé d’organiser une journée de manifestation un samedi de juin. La date n’a pas, pour l’heure, été fixée. De manière symbolique, les MG devraient déposer auprès de la Caisse primaire d’assurance maladie une demande de déconventionnement. Pour ce qui est des négociations avec la tutelle, un rendez-vous est prévu, « d’ici deux à trois semaines », informe le Dr Lisa Otton, avec l’Agence régionale de santé et la préfecture. Les médecins devraient leur remettre un document de travail portant sur l’amélioration de leurs conditions de travail.
Hier, Roanne. Aujourd’hui, la Saône et Loire. Demain, le reste de la France ?
Quoi qu’il en soit, ce mouvement spontané a fait des émules en France. Ce mercredi, en solidarité avec leurs confrères de Roanne, les médecins de Saône et Loire se sont mis en grève [1] en fermant leur cabinet ce jour là. Sur les 350 médecins de Saône et Loire, près de 200 étaient prêts à faire grève. Au final, ce sont 160 cabinets de la Saône et Loire qui ont fermé leurs portes ce 20 mai. Ils devraient manifester en septembre prochain. « Mais il n’y a pas qu’eux, des MG de la Drôme se sont aussi mis en grève », ajoute Lisa Otton. Sur Twitter, on annonçait également des mouvements de grève dans le Sud et on appelait à la mobilisation des médecins généralistes en région parisienne.

Marisol Touraine met en accusation les élus locaux
Interpellé sur cette grève par le député de la circonscription de Roanne Yves Nicolin (UMP), lors des questions orales à l’Assemblée nationale ce 20 mai [2], Marisol Touraine, ministre de la Santé, qui avait jusqu’à présent gardé silence, a dû prendre position. Elle a notamment rappelé l’instauration du Pacte territoire santé, qui comprend une batterie de mesures pour inciter les jeunes généralistes à s’installer en zone désertifiée, et a fait remarquer que « le nombre de maisons de santé a été multiplié par quatre depuis 2012 ». Sur la situation des médecins roannais, Marisol Touraine a mis en cause la responsabilité des élus locaux, qui ont « décidé d’arrêter les travaux en cours », de la cinquième maison de santé roannaise.
Soutien des syndicats de médecins Pris de court par cette mobilisation éclair, les syndicats de médecins leur ont malgré tout apporté leur soutien. Le 15 mai dernier, MG France publiait un communiqué pour témoigner de la solidarité du syndicat pour les médecins roannais, et rappelé que « MG France a lancé la contestation contre la loi de santé le 2 octobre dernier en proposant la fermeture des cabinets pour manifester notre refus de l’obligation du tiers payant, certitude de perte de temps administratif et incertitude sur le fait d’être rémunéré ». La Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), par voie de communiqué, a également apporté son soutien « au printemps des médecins généralistes de Roanne ». La confédération se désole de « l’absence de réponse du ministère de la Santé et du gouvernement à l’expression de leur colère », et « rappelle son mot d’ordre de désobéissance civile dans le cadre de l’application de cette loi de santé, tout particulièrement pour le tiers payant généralisé obligatoire ». Le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG) s’est également fendu d’un communiqué, pour relever que les motivations des MG roannais « sont faciles à comprendre dans le contexte actuel et sont partagées par l’ensemble des médecins généralistes : des conditions d'exercice difficiles et de multiples obstacles locaux et nationaux pour rendre ce métier essentiel attractif ». Tandis que l’intersyndicale autonome des internes de médecine générale Isnar-IMG lance une pétition nationale contre le tiers-payant généralisé . |
REFERENCES :
Mercredi les médecins de Saône et Loire seront en grève. Info Chalon, 17 mai 2015.
Questions au gouvernement. Séance du mercredi 20 mai 2015.
Citer cet article: Jean-Bernard Gervais. Généralistes au bord du burnout : hier Roanne, demain toute la France ? - Medscape - 21 mai 2015.
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