L'édito du Pr Gabriel Steg – Cardiologue

Vous avez certainement déjà entendu parler de randomisation mendélienne, mais qu’est-ce au juste?
C’est une méthode qui utilise les propriétés de la génétique pour, à partir d’une étude observationnelle, essayer de faire des inférences de causalité, un peu comme un essai randomisé mais reposant sur la génétique.
Les limites des études observationnelles en épidémiologie
Explication : en épidémiologie, lorsqu’on recherche une association entre un facteur de risque et un évènement pathologique, par exemple l‘infarctus du myocarde, on peut facilement faire des études observationnelles.
Mais ces études sont très difficiles à interpréter car on sait que la distribution du facteur de risque (FDR) dans cette population n’est pas aléatoire : il y a des facteurs de différence systématique entre ceux qui sont exposés au FDR et ceux qui ne sont pas exposés, qui peuvent être l’explication réelle des différences observées en terme d’événements.
Le piège des facteurs de confusion
L’exemple est celui du proverbe « qui se couche avec ses sabots se réveille avec mal à la tête ». Effectivement, ces personnes ont plus de chance d’avoir mal à la tête le lendemain mais peut-être que la différence d’incidence de mal de tête n’est pas liée au fait de s’être couché tout habillé mais au fait qu’il existe un facteur de confusion, par exemple la consommation excessive d’alcool qui explique à la fois le fait de se coucher habillé et le fait de se réveiller avec mal à la tête.
Ces facteurs de confusion sont les différences systématiques qui existent entre un sujet exposé et un sujet non exposé à un facteur de risque d’intérêt. Dans les études observationnelles, il est très difficile d’avoir des groupes comparables. Souvent, il existe des différences systématiques multiples, pour des variables mesurées ou non mesurées, entre les groupes d’intérêt, qui rendent l’interprétation d’une causalité entre un facteur de risque et l’événement d’intérêt extrêmement hasardeuse.
Les essais d’intervention
Pour contourner cette difficulté, on fait des essais randomisés d’intervention. On prend deux groupes comparables et on les tire au sort entre une intervention A et une intervention B. Si on observe une différence entre les événements d’intérêt, elle est liée à l’intervention puisque toutes les autres caractéristiques des groupes sont comparables, seul le tirage au sort fait différer les deux groupes. Si on a des effectifs de taille suffisante, les caractéristiques autres que celles liées au tirage au sort et à l’intervention entre les deux groupes sont exactement comparables.
Lois de la génétique
Il se trouve que la nature et les lois de la générique permettent de reproduire ce type d’observation dans des études observationnelles, à partir de l’analyse du génotype. En effet, si on a un gène d’intérêt qui code pour un facteur de risque porteur de plusieurs allèles, et que ces allèles affectent de façon différentielle le facteur de risque en question, on peut faire des inférences sur la survenue des événements d’intérêt dans cette population, lié à l’effet sur le facteur de risque.
Pourquoi? Parce que les lois de la génétique et plus spécifiquement la seconde loi de Mendel expliquent que du fait de la ségrégation aléatoire au moment de la méiose, toutes les caractéristiques autres que celle de l’allèle du gène, entre les groupes porteurs d’un allèle a et d’un allèle b pour un même gène, seront répartis de façon aléatoire. Autrement dit, ceux qui ont l’allèle a et ceux qui ont l’allèle b ne diffèrent que par l’allèle, ils sont donc comme tirés au sort par le gène. C’est cela la randomisation mendélienne : on ne compare pas des sujets tirés au sort entre une intervention A et B mais des sujets que la nature a tiré au sort en allouant un allèle a et b d’un gène d’intérêt.
Cela ouvre des perspectives très intéressantes mais ces études de randomisation mendéliennes ne sont pas sans piège.
Exemple du LDL cholestérol
L’exemple classique est celui des gènes qui codent pour le métabolisme du LDL cholestérol et dont les allèles permettent d’avoir un LDL cholestérol plus ou moins bas. Ceux qui ont un LDL plus bas ont une incidence plus faible d’évènements cardiovasculaires et notamment d’infarctus du myocarde. Cette différence est majeure, beaucoup plus importante que celle observée dans une étude d’intervention par exemple avec une statine.
Pourquoi? Parce qu’avec une randomisation mendélienne, on étudie l’exposition de toute la vie au cholestérol bas et non pas une exposition de quelques années à un traitement hypocholestérolémiant, donc on peut penser logiquement que l’effet sera plus marqué.
Ces études ne sont pas sans difficulté d’interprétation elles-aussi. Il y a des pièges comme des déséquilibres de liaison ou l’existence des gènes qui ont des effets autres que sur le facteur de risque d’intérêt mais elles ouvrent une voie très intéressante en épidémiologie et en matière de facteur de risque de maladie cardiovasculaire.
Deux exemples de difficulté d’interprétation : la CRP et le HDL
Deux exemples récents méritent d’être cités. Le premier est celui de l’inflammation qui joue un rôle important dans les maladies cardiovasculaires. Parmi les marqueurs de l’inflammation étudiés, d’innombrables études ont constaté que la CRP est associée à un risque cardiovasculaire accru. Pourtant quand on regarde en randomisation mendélienne les gènes associés à une élévation de la CRP, ils ne sont pas associés à une incidence plus élevée de maladies cardiovasculaires. A contrario, ceux associés à une CRP plus basse ne sont pas liés à une protection cardiovasculaire.
De la même façon, en épidémiologie, un HDL élevé est associé à une protection contre les maladies cv alors qu’un HDL bas est associé à un risque plus important. Le HDL est-il causal dans l’implication? En randomisation mendélienne, les gènes à l’origine d’un HDL plus élevé ne sont pas associés à une protection cv. Ceci suggère que les échecs des médicaments pour élever le HDL peuvent non seulement s’expliquer par les effets toxiques de ces médicaments en dehors du HDL cholestérol, du fait que le HDL a des effets plus complexes mais aussi par le fait que le HDL est simplement un marqueur.
On voit donc que la randomisation mendélienne est une méthode très intéressante et puissante, pour étudier les associations parfois faibles, entre facteur de risque et événement d’intérêt, notamment en épidémiologie cardiovasculaire. Je pense que nous sommes au début d’une nouvelle ère d’investigation génétique pour mieux comprendre les déterminants des maladies cardiovasculaires, grâce notamment aux études de randomisation mendélienne.
Citer cet article: La randomisation mendélienne au secours de l’épidémiologie - Medscape - 19 mai 2015.
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