Paris, France – 28 % des médecins français interrogés dans le cadre du sondage Medscape.com sur les « Médecins et l’éthique » ne signaleraient pas un confrère qui ne serait plus en état d’exercer. Et 37 % hésiterait. Sur ce point, la France se démarque de l’Europe (dénonciation systématique pour 46 % des médecins) et, encore plus, des Etats-Unis où seuls 4 % des praticiens ne signaleraient pas un confrère dangereux.

Mais, les praticiens français ne seraient pas opposés à un contrôle aléatoire afin de vérifier l’absence d’abus d’alcool et de drogue (52 % contre 39 % des américains).

Toxicomanie de certains médecins : une réalité
La toxicomanie de certains médecins – notamment des anesthésistes-réanimateurs et des médecins urgentistes – est une réalité : dans les pays anglo-saxons de 1 à 3 % des anesthésistes seraient concernés. En France, le pourcentage des internes en réanimation qui abusaient de substances illicites était proche de 5 % dans les années 1990. Avec les mesures de prescription nominatives des toxiques, ce chiffre s’est abaissée nettement depuis (1,5 % en 2005) [1].
L’addiction n’est pas une spécificité de certaines spécialités, mais en anesthésie-réanimation ou en médecine d’urgence, l’accès relativement libre à des produits anesthésiques ou opiacés majore les risques de toxicomanie. Les autres spécialités médicales sont plus concernées par le recours à l’alcool ou aux benzodiazépines et aux antalgiques.
Déni personnel de la toxicomanie et déni des équipes fréquent
Généralement, l’entrée dans la toxicomanie des médecins se fait dans un premier temps par un usage récréatif des drogues. La dépendance – caractérisée par la recherche compulsive du produit et son usage croissant – vient plus tard. Et pour pouvoir assouvir leur dépendance, les médecins toxicomanes détournent à leur profit les agents anesthésiques destinés aux patients. Pour cacher ce détournement, ils ont recours à des subterfuges en remplissant imparfaitement leurs feuilles d’anesthésies, en sous-utilisant les calmants en particulier en post-opératoire, ou, à l’inverse, en prescrivant des doses massives d’analgésiques pour des patients qui n’en auraient pas besoin.
Lorsqu’un diagnostic de toxicomanie est évoqué chez un médecin, le déni personnel est généralement très marqué et un déni des équipes est fréquent. Pourtant, un professionnel de santé souffrant d’addiction fait courir à lui-même, aux patients et aux équipes un véritable danger, a minima sur le fonctionnement de l’équipe, au pire sur le devenir des patients dont il s’occupe.
Lorsque la dépendance est suspectée
Différents évènements peuvent conduire au diagnostic de toxicomanie chez un médecin : les procédures de contrôle des stocks, l’arrivée de nouveaux médecins qui ont un regard neuf sur le fonctionnement du service, les modifications de comportement du médecin toxicomane (dépression, anxiété…), les sorties fréquentes de salle en cours d’intervention, une présence prolongée à l’hôpital en dehors des périodes de garde, la survenue de problèmes personnels ou familiaux…
Lorsque le diagnostic est suggéré, les confrères se trouvent face à des problèmes éthiques : la crainte de se livrer à un acte de délation, de stigmatiser un collègue, de s’être trompé de diagnostic… C’est pour cette raison que la « conspiration du silence » est habituelle. Pourtant, laisser travailler un soignant qui n’est plus à même d’exercer peut porter préjudice aux équipes et aux patients. En outre, le médecin toxicomane peut être exposé au risque judiciaire en cas d’erreur et son avenir professionnel peut être compromis.
Pour pouvoir inciter un confrère toxicomane à se prendre en charge auprès de services spécialisés, il faut avant tout recueillir des preuves formelles de ses addictions car le déni est très prégnant. La confrontation avec les faits doit s’accompagner d’une proposition thérapeutique immédiate et la réinsertion doit immédiatement être envisagée après les soins. Les causes de l’addiction étant multiples, c’est sur le parcours personnel du médecin que la prise en charge doit être centrée.
Des soins anonymes dans certains pays
Dans certains pays (Canada, Espagne…), des réseaux de soins anonymes des médecins malades sont structurés. La France reste en retard dans ce domaine, même si des expériences locales ou associatives sont proposées, souvent en lien avec le Conseil de l’Ordre. Au sein de l’AP-HP, la mission FIDES a pour but de prévenir et d’accompagner les soignants à risque de toxicomanie. Mais dans les milieux de l’anesthésie réanimation et de l’urgence, l’écueil majeur vient du risque de rechute lorsque le soignant est réintroduit dans un milieu où il peut avoir accès à des toxiques. Il est donc essentiel d’envisager pour certains médecins une réorientation professionnelle qui peut être particulièrement douloureuse pour le praticien malade s’il n’est pas accompagné.
Pour en savoir plus : Puybasset L et coll. Enjeux éthiques en réanimation. Ed Springer.
REFERENCE :
Beaujouan L, Czernichow S, Pourriat JL et Bonnet F. Prévalence et facteurs de risque de l’addiction aux substances psychoactives en milieu anesthésique : résultats de l’enquête nationale. Ann Fr Anesth Réanim 2005;24 :471-9
Citer cet article: Dr Isabelle Catala. Toxicomanie de confrères : comment gérer ? - Medscape - 8 mai 2015.
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