Paris, France – Après la loi de santé, c’est maintenant le projet de loi relatif au renseignement qui hérisse le corps médical [1]. Elle devrait permettre au pouvoir exécutif de surveiller des individus potentiellement dangereux, ce qui jusqu’à présent était réservé au pouvoir judiciaire : balisage de véhicules, écoute et captation d’images dans des lieux privés, captation de données informatiques, surveillance des opérateurs de télécommunications…
Pour garantir le respect des libertés publiques et de la vie privée, le législateur a prévu la mise en place d’un encadrement de ces techniques de surveillance, via la mise en place d’une Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), qui donnera son avis avant une mise sous surveillance, avant l’accord, ou non, du Premier ministre.
Avocats, journalistes, magistrats, parlementaires protégés
Par la voie d’amendements, le Gouvernement a également décidé d’encadrer la surveillance de certaines professions jugées sensibles : ainsi, les avocats, les journalistes les magistrats et les parlementaires sont exclus de la procédure d’urgence, a précisé le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, lors de l’examen de ce projet de loi le 14 avril dernier. La procédure d’urgence, permet, dans certains cas, de se passer de l’avis de la CNCTR et de mettre directement sous surveillance un individu. Par ailleurs, pour ces professions, « nous souhaitons que, dans ce cadre, les transcriptions des interceptions de sécurité auxquelles il pourrait être procédé soient intégralement versées à la commission nationale des techniques de renseignement pour que le contrôle puisse se faire de façon absolument complète », a ajouté Bernard Cazeneuve.
UMP et verts défendent le secret médical
Pour une fois unis, des députés verts, Isabelle Attard et Serge Coronado, et UMP, Frédéric Lefèvre, ont tenté, via le dépôt d’amendements (417, 418 et 426) d’inclure les médecins parmi les professions dont la mise sous surveillance sera encadrée. Car dans le dispositif actuel, « manquent les médecins, a plaidé Frédéric Lefèvre, et il me semble que nous devons légiférer sur le secret médical afin de l’inclure logiquement dans le dispositif ».
Mais, pour le rapporteur du projet de loi Jean-Jacques Urvoas (PS), la protection des médecins ne va pas forcément de soi : « Autant je comprends, du point de vue du fonctionnement de la démocratie et de la vie publique, la nécessité de protéger des professions comme celles de journaliste ou d’avocat, autant il me semble que celle de médecin n’entre pas exactement dans le même champ », s’est-il expliqué. La Garde des sceaux, Christiane Taubira, a abondé dans le même sens que le rapporteur, ajoutant que « les professions protégées mentionnées dans l’amendement du Gouvernement le sont au titre de la garantie du bon fonctionnement de la démocratie. En matière de procédures judiciaires, toutefois, les médecins font partie des professions protégées. Le secret médical est protégé ». Et de rappeler que l’amendement gouvernemental prévoit, « non pas une interdiction totale des écoutes administratives pour les professions citées, mais un encadrement de leurs conditions […] il ne peut s’agir de protéger le secret médical de façon absolue ».
Pascal Popelin , député PS, a ajouté que les médecins étaient déjà protégés par le secret médical. Les amendements tendant à inclure les médecins parmi les professions protégées ont donc tous été rejetés.
UFML, CNOM, Ordre des avocats de Paris inquiets
Ce qui a provoqué l’ire de certains syndicats médicaux, dont l’Union française pour une médecine libre (UFML). « Après l'article 25 de la loi sur la modernisation du système de santé qui impose progressivement un dossier médical partagé à tous les Français aux mains de l'assurance maladie financeur, et l'article 47 qui crée une base patient dont les données individuelles seront accessibles aux financeurs privés, le gouvernement vient, lors des débats sur la loi sur le renseignement, de lever un peu plus le secret médical », s’est-elle insurgé dans un communiqué. Solidaire des syndicats médicaux, l’Ordre des avocats de Paris a fait part de ses craintes, au sujet de ce projet de loi, concernant « l’absence de protection du secret des médecins ». Le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) a lui aussi réagi, en affirmant dans un communiqué que « les professions de santé doivent faire partie des professions protégées, au même titre que les avocats, journalistes ou parlementaires […] Pour les mêmes raisons, l’Ordre des médecins demande que les hébergeurs internet qui gèrent des données personnelles de santé soient exclus de toute surveillance par des boites noires qui seraient installés auprès des opérateurs ». Ce projet de loi sera voté à l’Assemblée nationale le 5 mai prochain.
Quelles protections pour les journalistes, parlementaires, magistrats et avocats ? L’amendement n° 386 déposé par le Gouvernement, en vertu, entre autres, de la protection des sources des journalistes et de la garantie de la présomption d’innocence, accorde une triple protection aux journalistes, avocats, parlementaires, et magistrats. Les dispositifs de surveillance que prévoit le projet de loi sur le renseignement ne seront applicables qu’à condition que : - la CNCTR réunie émette un avis suivi d’une autorisation spécialement motivée du Premier ministre ; - la CNCTR soit informée sur les modalités d’exécution de cette surveillance, sans qu’elle ait besoin d’en faire la demande ; - la CNCTR préserve « les secrets attachés à l’exercice de certaines professions », tel le secret des sources des journalistes. Toutefois, ce secret professionnel n’est pas absolu et pourra être levé, en fonction de la défense et de la promotion des intérêts publics. Si une technique de surveillance mise en œuvre contre l’un de ces professions parait irrégulière, la CNCTR pourra saisir le Conseil d’Etat. A noter que cet amendement ne prévoit pas l’exclusion des professions concernées de la procédure d’urgence. |
REFERENCES :
Citer cet article: Jacques Cofard. Projet de Loi sur le renseignement : pas de cas particulier pour le secret médical - Medscape - 28 avr 2015.
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