Paris, France -- Les médecins français sont-ils particulièrement menteurs ? D’où vient cette habitude et comment expliquer ce comportement ? Les réponses au questionnaire Medscape « Les médecins et l’éthique » [1] sont-elles amenées à changer avec les jeunes générations ?
Nous avons posé ces questions à Sylvie Fainzang, anthropologue spécialisée dans la maladie et le soin, auteur de « La relation médecins-malades : information et mensonge » (PUF, 2006) et directrice de recherche INSERM [2].
Les médecins prêts à relativiser les risques pour obtenir le consentement du patient (Diapositive 4)

Sylvie Fainzang : 43 % de médecins français sont prêts à relativiser les risques pour obtenir l’adhésion du patient contre 10% aux Etats-Unis. Cela ne me surprend pas. J’ai été frappée, lors de mes travaux en médecine de ville de voir que les médecins étaient prêts à minimiser voire même à nier les risques pour favoriser l’observance. Ainsi, quand le patient présente une notice avec des effets indésirables, il arrive que le médecin nie ces effets en affirmant que cela est faux ou exagéré.
Il y a une grande différence entre les cultures française et américaine. Cela tient à deux choses. D’une part, au système juridique, dont la pression est très forte aux Etats-Unis. Le médecin craint d’être attaqué par le patient s’il n’a pas donné toutes les informations sur sa maladie, les médicaments et la prise en charge. Mais aussi aux habitudes culturelles : le rapport au mensonge n’est pas du tout le même en France et aux Etats-Unis où le mensonge est extrêmement reprouvé. Cela est vrai dans d’autres domaines. Par exemple, dans l’affaire de Bill Clinton avec sa secrétaire, les Américains étaient plus choqués par son mensonge que par la relation elle-même. J’ai retrouvé partiellement cette différence en France lors d’une enquête antérieure sur le rapport aux médicaments des patients et des médecins. Selon l’origine culturelle et religieuse des médecins, et en particulier selon qu’ils étaient catholiques ou protestants, ils n’avaient pas le même rapport à la vérité. La valorisation de la vérité semble beaucoup forte dans la culture protestante.
Quel est votre regard sur ces 43% de médecins prêts à mentir ? En tant que personne, patiente, citoyenne, moi je souhaiterais être informée. S’il y a obligation pour le laboratoire de mentionner tous les événements indésirables sur la notice, même les plus rares, je préfère que le médecin m’explique la situation plutôt qu’il me mente. Je plaide pour l’information maximale mais pas n’importe comment. Mais en tant qu’anthropologue, j’analyse seulement les comportements et n’ai pas d’opinion à émettre ni de jugement à porter sur les pratiques que j’étudie. Le livre « La relation médecins-malades : information et mensonge » n’est pas un ouvrage d’éthique. Son but est de décrypter les mécanismes culturels et sociaux qui sous-tendent les comportements des patients et des médecins en matière de vérité et de mensonge, en France. |
Citer cet article: Mentir ou dire la vérité pour le « bien » du patient ? - Medscape - 18 avr 2015.
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