Crash Germanwings : les limites de la médecine du travail et du secret médical

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

14 avril 2015

des médecins du travail) s’insurgent contre ces plaintes, au nombre de 200 par an dont la moitié concerne des médecins du travail, mais aussi de l’attitude ambivalente du CNOM et de ses conseils départementaux.

Ainsi, écrivent-ils, « l’instance disciplinaire nationale du CNOM avait relaxé un psychiatre condamné en première instance pour avoir transgressé le secret médical, en réalisant puis en remettant à un employeur une « autopsie psychique » d’un salarié qui s’était suicidé, alors que ce suicide était reconnu comme accident du travail. Finalement, c’est le Conseil d’état qui, en appel, a rétabli la condamnation et confirmé que le secret médical avait bien été transgressé ».

Interdire aux employeurs de poursuivre les médecins du travail

Selon ces cinq syndicats, le CNOM incite les médecins à lever le secret médical, dès lors qu’ils sont attaqués par des employeurs, et ce dans l’unique but de pouvoir se défendre. Pour les syndicalistes, ces médecins mis en cause par des employeurs devraient refuser « toute conciliation illégale […] En effet, le médecin du travail y est privé du droit à une défense équitable puisqu’il ne peut transgresser le secret médical pour se défendre ».

Une trentaine de parlementaires, responsables syndicaux, associatifs, médicaux, ont emboité le pas, et adressé une lettre à Marisol Touraine [4], ministre de la Santé, pour lui demander d’interdire la possibilité pour les employeurs « d’entamer une procédure disciplinaire contre un médecin ». En cause : un décret n°2007-552 du 13 avril 2007 qui, interprété par les employeurs, leur ouvrent la possibilité de poursuivre des médecins devant des chambres ordinales : « une lecture extensive permet aujourd’hui, dans un flou juridique total, à certaines chambres disciplinaires régionales d’instruire des poursuites à la demande de l’employeur d’un patient, bien que celui-ci soit totalement étranger à la relation de soin […] Une première conséquence grave est la violation du secret médical, l’instruction se faisant en général sur la base de documents dont le patient n’a ni demandé ni autorisé l’utilisation dans ce but, tout cela sans même le contrôle d’un juge. »

Secret médical versus défense du médecin

« Les réorganisations des conditions de travail depuis les années 1980 impactent à la fois la santé physique et psychique des salariés, commente le Dr Zylberberg. Les troubles musculo-squelettiques explosent depuis 30 ans, tout comme les pathologies cardio-vasculaires, les coronaropathies et les atteintes à la santé mentale. Les employeurs portent plainte devant le CDOM quand un médecin établit un lien entre l’aggravation de la santé et les conditions de travail, et ce pour terroriser les médecins du travail, afin qu’ils n’établissent plus ce genre de certificats. Le problème, c’est que dans le cadre d’une action prudhommale, le médecin, du fait du secret médical, ne peut absolument pas se défendre. Le droit à la défense est complètement bafoué dans ce genre de cas. »

Réforme de la médecine du travail : un chantier en cours
La médecine du travail fait l’objet, depuis trois ans, de réformes réelles. La loi du 20 juillet 2011 et les décrets du 30 janvier 2012, ont notamment permis aux infirmières de mener des entretiens avec les salariés, ainsi que des actions pluridisciplinaires [5].
« Il a fallu trouver des solutions pour pallier à la pénurie de médecins du travail, explique le Dr Zylberberg. Mais les infirmières qui souhaitent mener ces entretiens doivent être formées à la médecine du travail. Or, il y a à peu près 40 places pour se former au métier d’infirmières en médecine du travail, alors que la demande est triple ! ». En octobre, dans le cadre de la présentation des 50 mesures de simplification pour les entreprises, le gouvernement avait également suggéré de simplifier la visite médicale, en évoquant la possibilité, pour les médecins généralistes, de se charger desdites visites. Ce qui a provoqué un tollé, tant chez les médecins du travail que chez les médecins généralistes. Cinq syndicats (CGT, FO, CFTC; CFE-CGC, et le syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST), se sont fendus d’un communiqué rageur, dénonçant une destruction programmée de la médecine du travail : « Nous refusons la mesure 22 qui vise à encadrer l’activité du médecin du travail en l’empêchant d’émettre des préconisations d’aménagement des postes de travail dans l’intérêt des salariés, à supprimer l’obligation de reclassement qu’ont les employeurs et à favoriser le licenciement des salariés ayant des restrictions d’aptitude. »
Autre souci : il n’est pas prévu, dans le Code de santé publique, pour les médecins généralistes, des actions en milieu de travail. « Il parait difficile pour un médecin généraliste de faire une visite d’embauche, sans avoir la possibilité de connaitre le monde du travail, comme c’est le cas pour les médecins du travail qui, eux, disposent de 150 demi-journées par an en milieu de travail», ajoute le Dr Zilberberg.

Possibilité de formation à la médecine du travail dans la nouvelle loi de Santé

Le projet de loi de santé comporte également un article sur la médecine du travail. Il est stipulé « qu'un décret fixe les conditions dans lesquelles un collaborateur médecin, médecin non spécialiste en médecine du travail est engagé dans une formation en vue de l’obtention de cette qualification auprès de l’ordre des médecins, exerce sous l’autorité d’un médecin du travail d’un service de santé au travail et dans le cadre d’un protocole écrit et validé par ce dernier, les fonctions dévolues aux médecins du travail. »

 

REFERENCES :

  1. Crash d’un avion A320: Les médecins de la Lufthansa avaient recommandé un suivi psychologique du copilote

  2. CNOM. Secret médical et risque grave et imminent de mise en danger d’autrui, 03/04/2015.

  3. Le conseil de l’Ordre des médecins est-il partial ? Mediapart, 6 avril 2015.

  4. Santé au travail: pour la protection des médecins contre les employeurs , Mediapart, 19 mars 2015.

  5. Décret n° 2012-135 du 30 janvier 2012 relatif à l'organisation de la médecine du travail

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