Rôle thérapeutique de l’Ipad sur l’agitation des personnes âgées démentes

Deborah Brauser, Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

10 avril 2015

Nouvelle-Orléans, Etats-Unis Une petite étude pilote menée dans un service de psychiatrie gériatrique montre que l’utilisation de certaines applications sur un support électroniques type iPad est « bien tolérée » et qu’elle peut, de plus, constituer une alternative thérapeutique non pharmacologique efficace pour calmer l’agitation chez le patient âgé atteint de démence. Les résultats ont été présentés lors du congrès annuel de l’American Association for Geriatric Psychiatry (AAGP) et publiés sur forme d’abstract [1].

« Nous avons trouvé que l’iPad est un outil incroyablement polyvalent, a déclaré le Dr Ipsit Vahia, MD, psychiatre à l’Université de Californie de San Diego et principal investigateur de l’étude, à l’édition internationale de Medscape. Le résultat le plus intéressant de cette étude est que même les patients avec les atteintes cognitives les plus sévères étaient capables d’interagir avec la tablette de façon sûre et efficace ».

Autisme, vieillissement : une place à prendre pour les nouvelles technos
A en croire cette petite étude préliminaire, la formule « Donnez-lui ses calmants » sera peut-être bientôt remplacée par « Passez-lui la tablette ». Cela peut surprendre et pourtant le rôle « thérapeutique » des nouvelles technologies a déjà fait ses preuves. La Wii et autres consoles de jeu autorisant la pratique virtuelle d’une activité physique ont connu un grand succès en maisons de retraite ces dernières années [2], allant jusqu’à l’organisation de tournois régionaux de bowling sur Wii [3]! Au-delà de la distraction procurée, des études ont montré l’intérêt de ces jeux sur les fonctions cognitives des plus âgés [4]. Les applications sur téléphone ou tablettes ont, elles aussi, démontrée leur capacité à favoriser la communication des personnes autistes, en particulier chez les enfants. L’aspect visuel des activités proposées sur ce type de support est particulièrement ludique et attractif mais c’est avant tout le côté logique et prévisible des « réactions » de l’application qui est très rassurant pour l’enfant [5].

70 applications mises à disposition sur 5 iPad

 
Même les patients avec les atteintes cognitives les plus sévères étaient capables d’interagir avec la tablette de façon sûre et efficace -- Dr Ipsit Vahia
 

L’étude a inclus 39 patients (61,5% de femmes; âge moyen, 80,1 ans). Sur la base de l’évaluation par l’échelle de cognition de Montréal (MoCA), qui a été réalisée à l’inclusion, 3 des participants ont été classés « cognition normale » (MoCA >26), 13 avaient un léger défaut de cognition (MoCA = 18-25), 7 étaient moyennement atteints (MoCA = 10 - 17), et 16 avaient une cognition sévèrement altérée (MoCA <10).

Au total, 70 applications disponibles à tous et gratuites ont été téléchargées sur 5 iPad – le choix s’est porté sur l’iPad car jugé plus convivial par l’équipe et les patients - et mises à disposition des patients quand ils montraient de l’agitation ou de la nervosité, donc sur un mode plus curatif que préventif.

Les applications ont été classées de 1 à 10 sur la base de leur degré de complexité. Le score le plus élevé étant réservé aux applications requérant le plus de domaines cognitifs, comme réaliser un puzzle par exemple. A l’opposé, des applications permettant de visionner des photographies étaient moins cotées, car plus simples à utiliser.

A noter que les applications n’étaient pas proposées au hasard, mais tenaient compte des goûts du patient, par exemple certaines contenaient un choix de chansons particulier ou des photographies familiales.

Les 3 groupes de patients ont bénéficié de l’utilisation de la tablette

Pour des raisons de sécurité, le comité-conseil qui a présidé au protocole de l’étude a exigé que les iPad ne soient utilisés que sous contrôle du personnel. « Ils avaient peur que les patients puissent s’en servir comme arme et se les jettent à la figure. Mais il n’y a eu aucun geste agressif vis-à-vis de l’outil, ni problèmes de sécurité d’aucune sorte » a rapporté le psychiatre.

 
Nous avons réalisé que ce qui pouvait passer pour de l’apathie n’était vraisemblablement que de l’ennui ! -- Dr Vahia
 

Autre résultat intéressant : chacun des participants a « au minimum » toléré l’usage des iPad. De façon logique, le groupe de patients avec les atteintes cognitives les plus sévères a utilisé des applications moins complexes que les groupes légèrement atteints (cotation moyenne des applications : 2,1 vs 5,3, P= 0.02, respectivement), de même, le temps d’utilisation était significativement plus court (13 minutes versus 21 minutes, P= 0.03).

Bien que le plus grand bénéfice sur l’agitation et la nervosité ait été retrouvé dans le groupe aux atteintes légères par rapport au groupe « sévère », l’utilisation de la tablette a été bénéfique chez les 3 groupes de patients.

A noter que les femmes ont montré un niveau d’agitation et de nervosité significativement plus faible que les hommes après une session d’utilisation de l’Ipad (P = 0,02).

Les auteurs signalent que certaines applications ont eu plus de succès que d’autres, notamment celles permettant la traduction d’un langage à l’autre chez les patients dont l’anglais n’était pas la langue maternelle. Le Dr Vahia cite l’exemple d’un patient d’origine roumaine qui était considéré comme apathique et n’interagissant pas avec le personnel chez qui le visionnage de vidéos en roumain sur You Tube a semblé redonner vie. » Situation qui a conduit à une prise de conscience de la part de l’équipe : « Nous avons réalisé que ce qui pouvait passer pour de l’apathie n’était vraisemblablement que de l’ennui ! » a expliqué le Dr Vahia.

Etudier désormais le rôle préventif de l’iPad

Pour le psychiatre, il y aurait un véritable intérêt à développer des applications ne requérant que peu de facultés cognitives dans cette population spécifique de patients. Par ailleurs, personnaliser le choix de l’application chez un individu donné est un élément-clé, cela implique notamment de tenir compte de la complexité de l’application proposée.

L’étude se poursuit et les investigateurs envisagent désormais de recourir régulièrement à l’iPad pour prévenir l’agitation plutôt que pour calmer secondairement les patients après apparition d’un état d’agitation.

 

Cette étude a fait l’objet d’un article sur Medscape.com

 

REFERENCES :

  1. Kamat R, Posada C, Vahia I. Can Adults with Severe Cognitive Impairment Use Tablet Device (iPad) Applications (Apps)? The American Journal of Geriatric Psychiatry, Volume 23, Issue 3, Supplement, March 2015, Pages S124.

  2. Le troisième âge devient accro aux jeux vidéo, Le Figaro, 2008.

  3. Champions de bowling sur Wii... en maison de retraite. France 3 Poitou-Charentes, 18 mars 2015.

  4. Wolinsky FD, Vander Weg MW, Bryant Howren M et al. A Randomized Controlled Trial of Cognitive Training Using a Visual Speed of Processing Intervention in Middle Aged and Older Adults, Plos One, Published: May 1, 2013. DOI: 10.1371/journal.pone.0061624.

  5. How iPads are helping children with autism . DailyMail, 2 avril 2014.

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