Quand adresser au diabétologue ? Interview du Pr Scheen, président de la SFD

Vincent Bargoin

Auteurs et déclarations

30 mars 2015

Bordeaux, France – On ne fera pas face à l’épidémie du diabète de type 2 (DT2) sans amélioration du parcours de soins, et on n’améliorera pas le parcours de soins sans une coopération plus poussée qu’aujourd’hui entre généralistes et endocrinologues. C’est en substance le message que laSociété Francophone du Diabète (SFD) a cherché à faire passer lors de son congrès annuel (Bordeaux 24-27 mars).

Medscape France a demandé au président de la SFD, le Pr André Scheen (Liège, Belgique) d’expliquer l’intérêt d’un parcours de soins dans le DT2, et d’exposer son point de vue sur un parcours optimal, associant généralistes, diabétologues et paramédicaux.

Medscape France – La SFD met en avant l’importance du parcours de soins dans la prise en charge du DT2. Pour quelles raisons ?

Pr André Scheen – Pour trois raisons au moins. Le DT2 est une maladie évolutive. C’est donc une maladie dont le traitement va devoir être adapté. Et c’est enfin une maladie face à laquelle, jusqu’à présent, on doit tirer un constat de semi-échec : un patient sur trois présente en effet une HbA1c > 8%.

Pr André Scheen

A cela s’ajoute une autre spécificité de la prise en charge du DT2 : elle fait inévitablement appel à plusieurs acteurs. De plus en plus, l’acteur principal est le patient lui-même, ce qui suppose qu’il soit éduqué et motivé. Mais il faut évidemment un encadrement médical, ainsi que paramédical.

Les différents acteurs entrent en jeu de manière séquentielle. Au tout début, l’intervention médicale vise la prévention chez les sujets à risque : on sait les identifier. Ensuite vient le dépistage précoce : rappelons qu’un patient diabétique sur 3 s’ignore. Enfin, vient l’étape d’initiation du traitement, traitement hygiéno-diététique complété par la metformine comme médicament de première intention.

Jusque-là, la prise en charge relève essentiellement du médecin généraliste.

Dans un second temps, la maladie évoluant, il va falloir ajouter un second traitement pour contrôler la glycémie. La position d’experts européens et américains publiée en début d’année laisse le choix entre pas moins de 6 stratégies (sulfamides, inhibiteurs de la DPP4 (gliptines), glitazones (là où elles sont autorisées), inhibiteurs de SGLT2, analogues du GLP1 et insuline). Chacune présente ses avantages et ses inconvénients en termes d’efficacité, de sécurité, de facilité d’emploi et de coût.

Par ailleurs, la population des DT2 est très hétérogène en âge, IMC, conditions de vie, etc... Par exemple, chez une personne vivant seule, il faudra absolument éviter les hypoglycémies.

A ce stade, c’est encore le généraliste qui connait le mieux son patient. Mais il est clair aussi que la prescription peut devenir difficile, qui demande à la fois une connaissance de terrain et une connaissance livresque. Si le généraliste se sent en difficulté, il doit savoir recourir au diabétologue.

Lorsque le diabétologue entre en jeu, il se passe quoi ?

Il a donc fallu décider d’une bithérapie orale. Sur quels critères d’ailleurs, puisqu’il est parfois difficile de positionner le curseur : 7,5% d’HbA1c, 8%, 8,5%, 9% chez une personne très âgée ? L’expertise du diabétologue peut être utile pour cette décision, et elle le sera d’autant plus quand la question se posera de passer à une trithérapie.

Il existe peu d’études sur la question. On peut envisager d’ajouter un analogue de GLP-1, ou de passer à l’insuline, ou encore, une chirurgie bariatrique. Les diabétologues se posent par exemple fréquemment la question : « pourquoi reculer l’insuline chez un patient jeune, lorsqu’on sait qu’elle devra être instaurée à plus ou moins longue échéance ? » Mais on conçoit qu’un généraliste puisse être mal à l’aise face à cette question.

Le recours à l’expertise d’un diabétologue, libéral ou d’un hospitalier, facilite par ailleurs une organisation des soins qui dépasse largement la question de la glycémie. Tôt ou tard apparaitront des complications rénales, ophtalmologiques, cardiovasculaires,… Le généraliste a parfaitement les capacités d’organiser cette prise en charge globale. Mais l’expérience montre que même lorsqu’il dispose du temps pour la mettre en place, ce qui est loin d’être toujours le cas, sa relation au patient est devenue tellement routinière que ses conseils ne sont plus entendus.

Outre son expertise, le diabétologue apporte un peu de temps supplémentaire, un regard neuf sur la situation, et un discours qui réactualise la motivation du patient.

Existe-t-il d’autres modalités de parcours de soins ?

Dans chaque pays, le parcours de soins est adapté aux réalités du système de santé. En Grande-Bretagne, ce sont des infirmières spécialisées en diabétologie qui interviennent en première ligne. Je crains d’ailleurs que cette évolution ne soit plus ou moins inéluctable à terme, à la fois pour des raisons de coût et parce qu’il est probable qu’une infirmière qui ne s’occupe que du diabète finira par mieux connaitre la maladie qu’un généraliste qui lui consacre 5% de son temps.

En Belgique, nous devons faire face à une quasi absence d’endocrinologues libéraux. Résultat, les consultations hospitalières sont saturées. Après avoir expérimenté les facilités de l’hôpital, et en particulier la multidisciplinarité des équipes (infirmières spécialisées, diététiciens,…), les patients souhaitent souvent poursuivre leur prise en charge dans ce cadre. Mais en pratique, après bilan, nous devons les ré-adresser à leur généraliste. Une réflexion est donc en cours pour mieux entourer ces généralistes. Il n’y a pas de raison, en effet, pour que le diabétologue s’entoure d’une équipe multidisciplinaire, et pas le généraliste. L’équipe offre bien sûr un plus large éventail de compétences, mais en outre, elle permet à chacun de se remettre en cause dans sa compétence même.

S’agissant de la France, vous disposez d’endocrinologues hospitaliers, mais aussi libéraux. Ce sont surtout ces derniers qui pourraient être davantage mis à contribution dans le parcours de soins.

L’une des difficultés de cette spécialité, pour son positionnement, est qu’elle n’accomplit pas d’acte technique spécifique. A la différence de la cardiologie ou de la gastro-entérologie, où l’on est obligé de consulter le spécialiste pour certains gestes, la diabétologie est un acte purement intellectuel, pour lequel le généraliste dispose en principe des mêmes outils, même s’il n’a pas la même expertise.

Il semble qu’en France, les endocrinologues libéraux se sentent un peu pris en sandwich entre généralistes d’un côté, et hospitalo-universitaires de l’autre. Or, ce sont quand même eux qui sont les mieux placés pour superviser la question du contrôle glycémique, dans le cadre d’un accompagnement multidisciplinaire du diabétique.

Justement, au-delà du statut des diabétologues libéraux, quels sont les enjeux du contrôle glycémique ?

C’est la question de fond. Chacun sait qu’il n’a jamais été démontré que le contrôle glycémique réduit les évènements cardiovasculaires majeurs. Et chacun sait aussi qu’il existe malgré tout de nombreux arguments en ce sens – à commencer, peut-être, par le modèle du contrôle glycémique dans le diabète de type 1.

Pour organiser le parcours de soins, la SFD est en relation, en France, avec le Collège National des Généralistes Enseignants. Ses membres sont des experts en essais cliniques, et à ce titre, ils ont une attitude réservée vis-à-vis du contrôle glycémique. Il serait bien sûr néfaste de prôner un contrôle très rigide, en particulier chez les patients âgés. Mais le message consistant à dire « l’hyperglycémie, ne vous en préoccupez pas trop », est aussi excessif, surtout lorsqu’il est délivré à des jeunes en formation, et contre-productif lorsqu’il s’agit d’organiser les soins. L’hyperglycémie est quelque chose qu’on ne peut pas laisser tomber dans la prise en charge du DT2. Les discussions sur sa prise en charge optimale se poursuivent.

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