Nancy, France – L’étude franco-italienne PARTAGE (Predictive Values of Blood Pressure and Arterial Stiffness in Institutionalized VeryAged Population) remet sur le tapis la notion d’un sur-risque associé au sur-traitement de l’hypertension (HTA) chez des sujets de plus de 80 ans, institutionnalisés et fragiles. Selon des résultats publiés dans le JAMA Internal Medicine, les sujets présentant une pression artérielle systolique (PAS) < 130 mm Hg, et traités par au moins deux antihypertenseurs, présenteraient un sur-risque de mortalité à 2 ans compris entre 1,70 et 2, selon les conditions d’ajustement [1].
« Les résultats de cette étude sont un avertissement quant à la sécurité des associations antihypertensives chez les patients fragiles, présentant une PAS basse (<130 mm Hg) », concluent les auteurs, en soulignant que cette population devient importante, et qu’il va devenir de plus en plus difficile de se satisfaire d’un flou artistique sur la question.
Les recommandations Dans ses recommandations de 2013, la Société Française d’HTA préconise, après 80 ans : - « de fixer un objectif de pression artérielle systolique < 150 mm Hg, sans hypotension orthostatique, - de ne pas dépasser la prescription de plus de trois antihypertenseurs, - d’évaluer les fonctions cognitives (au moyen du test MMSE) ». Dans leurs recommandations, également émises en 2013, l’European Society of Cardiology et l’European Society of Hypertension stipulent que chez les plus de 80 ans, « les preuves sont limitées aux sujets présentant une PAS supérieure à 160 mm Hg, et dont la PAS est réduite à des valeurs inférieures à 150 mm Hg, sans dépasser 140 mm Hg ». Les recommandations évoquent néanmoins « des preuves fortes », en faveur d’un bénéfice de la réduction en dessous de 150 mm Hg chez les sujets âgés présentant une PAS supérieure à 160 mm hg. Enfin, le consensus d’expert de 2011, l’American College of Cardiology et l’American Heart Association estime que chez des individus de plus de 80 ans, « une cible de PAS comprise entre 140 et 150 mm Hg peut être acceptable, si elle est tolérée ». De part et d’autre de l’Atlantique, ces recommandations sont essentiellement basées sur l’étude HYVET (Hypertension in the Very Elderly Trial), qui fait partie des très rares études contrôlées menées spécifiquement chez des sujets de plus de 80 ans (pas seulement dans l’HTA). Comme le font remarquer les auteurs de l’étude PARTAGE, HYVET comportait un certain nombre de critères d’exclusion : AVC hémorragique dans les 6 mois précédents, insuffisance cardiaque nécessitant un traitement anti-HTA, créatinine sérique élevée, hyper ou hypokaliémie, goutte, démence clinique, besoin de soins infirmiers quotidiens. Evidemment, au-delà de 80 ans, ces catégories mises bout à bout finissent par représenter du monde, ce qui conduit les auteurs de PARTAGE à se demander si « les recommandations sont bien généralisables à des sujets très âgés, fragiles, et polymédiqués ». Car les études observationnelles, menées dans des populations non sélectionnées, n’ont vu, elles, « qu’une absence de relation ou une relation inverse entre PA et morbi-mortalité ». |
Une étude franco-italienne
L’étude PARTAGE a été menée chez 1127 personnes (87 ans, 78% de femmes), vivant en institution en France ou en Italie, et suivies durant deux ans.
Près de 80% de ces personnes recevaient un traitement antihypertenseur ; 63% des hommes et 53% des femmes traités présentaient une PAS < 140 mm Hg.
Le nombre moyen de traitements reçus était de 7,1 ; le nombre moyen de traitements antihypertenseurs de 2,1.
La survie à deux ans des sujets présentant une PAS < 130 mm Hg (moyenne de 18 automesures) et recevant une association d’au moins deux traitements antihypertenseurs, a été comparée à celle de l’ensemble des autres personnes.
La mortalité est effectivement accrue chez ces patients, d’un facteur 1,78 (IC95% [1,34-2,37] ; p < 0,001) en données ajustées (âge, sexe, IMC, score à l’échelle d’activités quotidiennes, MMSE, index de comorbidités de Charlson, cancer, insuffisance cardiaque, coronaropathie, AOMI, AVC).
On note que cet excès de mortalité est observé pour la mortalité CV, mais aussi pour la mortalité de causes non CV.
Par ailleurs, trois analyses de sensibilité ont été menées.
L’ajustement pour les comorbidités cardiovasculaires fait ressortir le sur-risque à 1,73 ([1,29-2,32] ; p < 0,001). Avec l’analyse de sous-groupes de patients appariés par scores de propensité, le risque monte à 2,05 ([1,37-3,06 ; p < 0,001). Enfin, en excluant les HTA d’apparition récente (patients recevant un traitement antihypertenseur sans antécédent d’HTA), le sur-risque est encore retrouvé, à 1,76 ([1,28- 2,41] ; p < 0,001).
Les auteurs soulignent enfin que « les patients présentant une PAS basse, mais non traités contre l’HTA, ou par un seul antihypertenseur, présentaient une mortalité inférieure à celle des sujets à PAS basse, mais recevant au moins deux traitements anti-HTA. En outre, les personnes recevant une combinaison antihypertensive, mais ne présentant pas une PAS basse, ne présentaient pas d’excès de mortalité par rapport aux patients recevant 0 ou 1 traitement anti-HTA ».
En attendant des données fiables, évaluation approfondie des patients et prudence dans les prescriptions
S’agissant d’une étude observationnelle, des biais sont naturellement possibles. Dans leur discussion, les auteurs évoquent notamment la possibilité que certains traitements anti-HTA aient été prescrits pour d’autres pathologies que l’HTA, lesquelles ont pu peser dans la surmortalité observée. Ils indiquent également n’avoir pas été en mesure d’ajuster les analyses sur la sévérité des comorbidités. Bref, « le design observationnel nous interdit de tirer des conclusions définitives ». Et c’est bien là que réside le problème.
En l’absence d’études contrôlées, mis à part HYVET, « on sait en fait peu de choses sur la nécessité de réduire le nombre de traitements anti-HTA chez les sujets présentant une PAS basse (<130 mm Hg) ».
On en sait d’ailleurs également peu sur le mécanisme qui pourrait être en cause dans la surmortalité. On pense naturellement à une hypotension orthostatique. « Toutefois, la prévalence de l’hypotension orthostatique était équivalente dans tous les groupes », soulignent les auteurs.
Au total, « nos résultats pointent le problème, potentiellement crucial, du sur-traitement des personnes âgées fragiles », concluent les auteurs. Mais on n’a pas plus de certitudes sur ce point que de mécanisme à proposer. Le seul point certain est que si les résultats de PARTAGE – et d’autres études observationnelles – sont avérés, les pratiques actuelles induisent une importante surmortalité en maison de retraite.
Que faire ? En attendant mieux, « les preuves étant minces, les médecins devraient être plus prudents avant de généraliser les recommandations internationales, qui proposent de réduire la PAS entre 140 et 150 mm Hg », estiment les auteurs de PARTAGE. « Ces recommandations sont basées sur des études qui n’incluent pas de résidents en maison de retraite, et incluent peu de patients âgés fragiles. Chez les résidents en maison de retraite et chez les patients fragiles, il est avisé de procéder à une évaluation plus approfondie (comorbidités, polymédication, fragilité) pour optimiser les décisions thérapeutiques ».
Enfin, ce que les auteurs estiment « plus important » encore : « ces observations appellent des essais cliniques contrôlés, qui devraient fournir des données essentielles aux médecins sur le traitement de l’HTA dans différents groupes de patients âgés ».
L’étude PARTAGE a bénéficié du soutien Programme Hospitalier de Recherche Clinique, du Ministère de la Santé. Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt en rapport avec le sujet. |
REFERENCE :
Benetos A, Labat C, Rossignol P. Treatment With Multiple Blood Pressure Medications, Achieved Blood Pressure, and Mortality in Older Nursing Home ResidentsThe PARTAGE Study. JAMA Intern Med. Published online February 16, 2015. doi:10.1001/jamainternmed.2014.8012
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Citer cet article: Vincent Bargoin. Personnes âgées en institution : le sur-traitement de l’hypertension pourrait tuer - Medscape - 25 févr 2015.
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