Louisville, Etats-Unis – Nouvelle charge, aux Etats-Unis, contre le nouveau calculateur du risque cardiovasculaire, sur lequel se base la décision de débuter une statine (recommandations de 2013). Faut-il le rappeler ? Les Américains comme les britanniques du NICE ont décidé de ne plus doser le cholestérol pour décider de la mise en route d’un traitement préventif mais de tenir compte du risque global. Problème : les calculateurs du risque cardiovasculaire surestimeraient notablement le risque réel, et induiraient une surprescription de statines, notamment.
Ce nouveau résultat, publié dans les Annals of Internal Medicine s’inscrit dans le prolongement d’une polémique apparue en 2013, lorsque les recommandations américaines de l'American College of Cardiology (ACC) et l'American Heart Association (AHA) ont été publiées [1].
L’idée d’abandonner les seuils de cholestérol comme critère de prescription d’une statine pour privilégier une évaluation globale du risque CV peut apparaitre rationnelle, à condition toutefois que l’évaluation du risque soit fiable. Or, le nouveau calculateur du risque de maladies cardiovasculaires athéroscléreuses à 10 ans accompagnant les recommandations ACC/AHA 2013 sur le cholestérol n’a immédiatement pas fait l’unanimité.
Précisons qu’il se base sur la Framingham Heart Study (FHS), l' Atherosclerosis Risk in Communities (ARIC) study, la Coronary Artery Risk Development in Young Adults (CARDIA), et la Cardiovascular Health Study (CHS).
En effet, dès sa publication, ce dernier a essuyé de vertes critiques –non seulement aux Etats-Unis, où les Drs Paul Ridker et Nancy Cook (Brigham and Women's Hospital, Boston) ont évoqué une surestimation comprise entre 75 et 150%, mais aussi en Europe, où une équipe suisse a par exemple montré que son utilisation dans la population suisse aboutirait à doubler le nombre de patients sous statine.
Surestimation du risque de 78%
Parmi les points de désaccord, l’exclusion, pour la conception du calculateur, de la Multi-Ethnic Study of Atherosclerosis (MESA), utilisée par Ridker et Cook, en même temps que la cohorte Reasons for Geographic and Racial Differences in Stroke (REGARDS).
Au passage, on note que ce sont aux mêmes Ridker et Cook que les Annals of Internal Medicine ont confié le soin d’écrire l’éditorial. Ces derniers ont néanmoins le triomphe modeste et soulignent surtout la difficulté de développer des algorithmes de calculs de risque. Ils précisent tout de même que, de toutes les cohortes utilisées depuis Framingham, la leur, MESA reflète le mieux la population actuelle.
En se basant sur cette cohorte MESA (4227 participants des deux sexes, âgés de 50 à 74 ans, diabétiques ou non et sans maladie athéromateuse clinique au départ, suivis durant 10,2 ans), les auteurs de la nouvelle analyse concluent à une surestimation du risque à 10 ans par le calculateur AHA/ACC de 78% globalement, et de 86% chez les hommes et de 67% chez les femmes.
Pour les risques élevés ou très faibles, cette surestimation ne change pas grand-chose à la prise en charge – à la désinformation du patient près, toutefois.
C’est pour les risques intermédiaires que le problème se pose. Les recommandations AHA/ACC préconisent d’envisager la prescription d’une statine pour un risque d’évènement CV (AVC compris) à 10 ans > 7,5%. Or, pour les hommes dont le risque calculé à 10 ans est compris entre 7,5 et 10%, le papier des Annals of Internal Medicine signale un taux d’évènements réellement observés de 3% chez les hommes, et 5,1% chez les femmes.
D’autres calculateurs aussi surestiment le risque
Le calculateur AHA/ACC n’est pas le seul à surestimer le risque. Quatre autres calculateurs ont été évalués : le Framingham Risk Score (FRS) for the prediction of coronary heart disease events (FRS-CHD), le FRS for the prediction of cardiovascular disease events (FRS-CVD), et un FRS modifié en 2001 par les Adult Treatment Panel cholesterol guidelines (ATP3-FRS-CHD), enfin, le Reynold's Risk Score, qui présente la triple particularité d’inclure l’histoire familiale de MCV précoce, le taux de C-réactive protéine (CRP) et l’HbA1c chez les diabétiques
« Le nouveau calculateur AHA/ACC et les trois anciens scores de risque, basés sur l’étude de Framingham, surévaluent le risque d’évènement CV de 37 à 154% chez les hommes, et de 8 à 67% chez les femmes », résument les auteurs.
« La surestimation était observée tout au long du continuum de risque », et n’était par ailleurs « pas expliquée par l’aspirine, les hypolipémiants, les antihypertenseurs et les revascularisations », ajoutent-ils.
Resterait donc le score de Reynolds ? Il ne surestime effectivement le risque que de 9% chez les hommes. Mais attention : chez les femmes, la sous-estimation est estimée à 21%
Des occasions d’ouvrir la discussion
En pratique, comment gérer la situation ? Dans l’éditorial, Ridker et Cook soulignent que le score de risque en général, et le seuil de 7,5% en particulier, constituent moins des déclencheurs de prescription que des occasions d’ouvrir la discussion avec le patient.
De leur côté, les auteurs de l’étude estiment, de manière un peu sibylline, que « la surestimation du risque pourrait avoir des implications substantielles pour les patients et le système de soins »
« Les médecins traitant des patients comparables à ceux de MESA peuvent envisager de considérer avec prudence le risque absolu calculé par le nouveau calculateur de risque ».
On attend maintenant la réaction des experts de l’AHA et de l’ACC qui ont proposé cet outil.
L’étude a été financée par le National Heart, Lung, and Blood Institute, et par le National Center for Research Resources. Les déclarations d’intérêt des auteurs et des éditorialistes figurent dans les publications. |
REFERENCES :
DeFilippis AP, Young R, Carrubba CJ, et al. An analysis of calibration and discrimination among multiple cardiovascular risk scores in a modern multiethnic cohort. Ann Intern Med 2015; 162: 266-275. DOI: 10.7326/M14-1281.
Ridker PM, Cook NR. Comparing cardiovascular risk prediction scores. Ann Intern Med 2015; 162: 313-315. DOI: 10.7326/M14-2820.
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Citer cet article: Vincent Bargoin. Recommandations cholestérol : les calculateurs du risque CV peu fiables - Medscape - 23 févr 2015.
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