Paris, France - - Sur dix patients sous anticoagulants oraux directs (AOD) pris en charge pour une hémorragie majeure, six reçoivent également des médicaments qui interagissent avec ces anticoagulants, selon des données intermédiaires de l'observatoire GIHP-NACO, présentées par le Pr Pierre Albaladejo (CHU de Grenoble) lors des Journées européennes de la Société française de cardiologie (JESFC), à Paris [1]. Parmi ces médicaments, on retrouve les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), l'aspirine, mais aussi les AVK et l'héparine.
En 2013, le Groupe d'intérêt en hémostase péri-opératoire (GIHP) s'est proposé de colliger les cas d'hospitalisation pour saignement majeur survenant chez des patients traités par les nouveaux anticoagulants oraux (NACO) - pour lesquels on préfère désormais le terme AOD. Issu de cette initiative, l'observatoire GIHP-NACO (Observatoire des Gestes Invasifs et des Hémorragies chez les Patients traités par les Nouveaux AntiCoagulants Oraux) s'est élargi aux patients sous AOD devant bénéficier d'un geste invasif urgent.
Hémorragies digestives et intracrâniennes
En janvier 2015, l'observatoire rassemblait les données de 785 patients, a indiqué le Pr Albaladejo. Une première analyse a été effectuée à partir de données extraites en juin 2014. Elle concerne 219 patients avec saignement majeur, âgés en moyenne de 76 ans.
Les résultats montrent qu'ils étaient, pour 65% d'entre eux, traités par le rivaroxaban (Xarelto®). Les autres recevaient du dabigatran (Pradaxa®). « Des taux qui n'ont pas de valeur épidémiologique », selon le médecin anesthésiste-réanimateur. Les cas de patients sous apixaban (Eliquis®) sont encore rares, cet AOD ayant obtenu son AMM plus récemment.
« Pour la majorité des patients, les saignements sont survenus dans l'année, qui a suivi le début du traitement par AOD. Comme pour ce qui a pu être observé avec les AVK », souligne le Pr Albaladejo.
Les hémorragies digestives sont majoritaires (25%) pour l'ensemble des patients, même si elles sont moins fréquentes par rapport aux études RELY (72%) et ROCKET-AF (50%), les essais cliniques de phase III qui ont évalué respectivement le dabigatran et le rivaroxaban.
En revanche, les hémorragies par traumatisme crânien sont beaucoup plus représentées que dans les essais cliniques. Une caractéristique qui s'explique par la participation des réanimateurs au recensement.
Des concentrations basses d'AOD retrouvées chez 20% des patients
L'analyse montre que la plupart des patients (81%) sous dabigatran étaient traités avec la dose recommandée la plus élevée (150 mg x 2). La dose intermédiaire (110 mg x 2) concerne 15% des patients.
Pour le traitement par rivaroxaban, plus de la moitié des patients (54%) recevaient la dose la plus élevée (20 mg). La dose intermédiaire (15 mg) a été administrée à 37% d'entre eux. Les autres recevaient une faible dose (10 mg) ou une dose intermédiaire doublée.
A l'admission, les taux plasmatiques des AOD ont pu être mesurés pour la moitié des patients. Les niveaux médians de dabigatran et de rivaroxaban étaient respectivement de 103 ng/ml et 104 ng/ml, « des concentrations peu élevées comparativement aux essais ».
Il s'avère que 20% des patients présentaient des concentrations basses, inférieures à 50 ng/ml pour les deux AOD. A l'inverse, des concentrations très élevées ont été observées chez quelques patients, en particulier pour le dabigatran. Pour cette molécule, le taux pouvait dépasser les 500 ng/ml, en raison d'une insuffisance rénale.
Attention au « switch » de traitement vers les AOD
Au moment de l'hospitalisation, 62% des patients recevaient également des médicaments qui entrent en interaction avec les AOD, révèle l'analyse. Ces interactions peuvent avoir pour effet, soit de majorer le risque hémorragique, soit d'entrainer une perte d'efficacité.
Ainsi, 16% des patients étaient également sous aspirine. Un constat qui, même s'il n'est pas exceptionnel, renvoie à la question du maintien des antiplaquettaires lorsqu'un patient est traité par un AOD. « Cette recommandation pour une bithérapie chez un patient coronarien en fibrillation atriale peut être rediscutée », estime le médecin.
Les AINS étaient, quant à eux, pris par 4,6% des patients. On retrouve ensuite le clopidogrel (3,2%) et, étonnamment, les héparines de bas poids moléculaire (2,3%) et les AVK (1,8%), des traitements clairement contre-indiqués.
Ces données révèlent soit un mésusage, soit un risque réel au moment du changement de traitement. Pour le Pr Albaladejo, « il est probable que le saignement se soit produit au moment d'un « switch » de traitement vers les AOD, initié quelques jours avant l'hospitalisation ».
Une analyse plus précise devrait à l'avenir apporter un éclairage sur la proportion de patient avec saignement majeur liée au changement de traitement.
Le PPSB utilisé dans 40% des cas
Pour stopper l'hémorragie, lefacteur antihémophilique PPSB a été utilisé dans près de 40% des cas, conformément aux recommandations du GIHP.
Pour ces patients, le saignement s'est complètement ou partiellement arrêté, dans respectivement 42% et 36% des cas. Il n'y a eu aucune amélioration pour près d'un patient sur cinq.
« Etant donné que les situations sont très hétérogènes, il reste difficile d'évaluer l'efficacité des agents hémostatiques », a tenu à préciser le médecin. Il faut notamment tenir compte du fait que « beaucoup de centres hospitaliers n'ont signalé que les cas exceptionnels ».
Pour cette cohorte, la mortalité est de 14,6%, 30 jours après l'hospitalisation, « un taux similaire à ce qui a pu être rapporté dans les autres études ». En considérant uniquement les hémorragies liées au traumatisme crânien, la mortalité est de 12,5%.
Crédit image : NIH
REFERENCE :
Albaladejo P, Résulats de GIHP-NACO: saignements et gestes invasifs sous anticoagulants oraux directs, JE-SFC, 15 janv 2015, Paris
GIHP-NACO : http://gihp-naco.fr
Citer cet article: Vincent Richeux. Premiers résultats de l’observatoire GIHP-NACO des hémorragies sous anticoagulants - Medscape - 13 févr 2015.
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