POINT DE VUE

L’ECG a-t-il encore un avenir ?

Pierre Taboulet et Catherine Desmoulins 

Auteurs et déclarations

6 février 2015

Paris, France – A l’heure des technologies les plus novatrices pour examiner l’anatomie et le fonctionnement cardiaque, l’ECG - représentation graphique sur papier de l’activité électrique du cœur - reste-t-il pertinent ? Les médecins sont-ils encore suffisamment formés ? Les logiciels d’interprétation des tracés ont-ils changé la donne ? Qui sont les référents ECG ? Quel sera l’avenir de cet examen ?

Nous avons posé toutes ces questions au Dr Pierre Taboulet, cardiologue-urgentiste de l’hôpital Saint-Louis (Paris), auteur du livre « L’ECG, de A à Z » (Maloine ed.) et créateur du site de formation en ligne à l’ECG : e-cardiogram.com (plus d’un million de visiteurs par an).

Le tracé ECG 12 voies utilisé depuis…  1942
L’existence de potentiels électriques cardiaques est connue depuis 1842. Le premier électrocardiogramme est publié en 1887 et en 1924, le médecin néerlandais Willem Einthoven reçoit le prix Nobel de médecine  pour la mise en évidence des 5 déflexions PQRST de l’ECG et pour ses premières descriptions d’ECG pathologiques.
Les dérivations précordiales seront ensuite utilisées pour le diagnostic à partir de 1932 et les dérivations frontales unipolaires à partir de 1942, donnant naissance au premier tracé 12 pistes.

 

Medscape - Les médecins sont-ils suffisamment formés ?

Dr Pierre Taboulet

Dr Taboulet -L’ECG se trouve aujourd’hui dans une situation paradoxale. Alors que la demande clinique transversale est considérable : médecin généraliste, urgentistes, gériatre, pédiatre, pneumologue, interniste, anesthésiste-réanimateur, médecin du sport, sociétés d’assurances, … la formation des médecins n’est pas au rendez-vous. Les futurs généralistes ont quelques heures d’enseignement de base sur l’activité électrique du cœur, il n’y a pas de DU sur l’ECG, les livres/journaux en français sur l’ECG sont rares et les bons livres/journaux sont  en anglais (Journal of Electrocardiology, Annals of Noninvasive Electrocardiology), pas de banque de données colligeant des tracés afin de parfaire ses connaissances, pas de sessions sur l’ECG aux Journées Européennes de la SFC. La liste est longue.  Au final, seules des facultés comme Rouen et Grenoble proposent des supports sur internet aux étudiants. Oui bien sûr, il faudrait améliorer la formation des médecins à l’ECG, c’est évident, mais peu d’enseignants/facultés de médecine s’y intéressent, alors comment faire ?

Qui est tenu de faire un ECG ?
Tout médecin intervenant en matière de soins d’urgence est tenu de disposer d’un électrocardiographe ou sinon de pouvoir déléguer cette mission à un tiers référent.

 

Les logiciels d’interprétation des ECG ont-ils changé les comportements ?

PT -Les logiciels sont aussi nombreux que les électrocardiographes !  Il y a tous les prix et toutes les qualités qu’il s’agisse de logiciels d’interprétation ou de réalisation (filtrage numérique…). Cependant les avancées dans les logiciels ne sont réellement dues qu’à 2-3 opérateurs américains.  Quoi qu’il en soit,  aucun médecin ne fait confiance à ces logiciels, et même quand ils ne se trompent pas… le doute persiste, c’est terrible.  Au plan quantitatif, leurs performances sont correctes, ils mesurent correctement la FC, la durée et l’amplitude du QRS, la durée du QT... Ils détectent bien les extrasystoles, les blocs de branche ainsi que la FA (95%). Mais toutes ces données doivent toujours être validées par l’homme. Ce qui veut dire qu’avec les technologies dont nous disposons, l’homme doit toujours être capable de faire mieux que l’ordinateur.  

Toutes les technologies du monde sont meilleures quand il y a un homme aux manettes. En effet, pour interpréter un ECG, il faut tenir compte de l’âge, du sexe, du poids, de l’ethnie (l’ethnie africaine modifie beaucoup l’ECG), des séquelles d’infarctus, d’une hypertension artérielle (connue, traitée), des traitements en cours, d’une hypokaliémie, d’un pacemaker, etc… Or, rentrer ces données sur un ordinateur est laborieux.

Qui sont les référents de l’ECG, les cardiologues ? Les rythmologues ?

PT -Le cardiologue reste le référent de l’ECG, c’est-à-dire la bonne personne pour interpréter un ECG  et pour prendre la bonne décision. Mais  il y a un continuum de compétences qui varie en fonction de l’expérience et de l’hyperspécialisation.  Le cardiologue peut se faire détrôner sur quelques sujets.  Par exemple, l’urgentiste sait très bien faire le diagnostic d’infarctus, ST+ ou non ST.  Le réanimateur est plus à même de détecter un trouble métabolique via l’ECG et le cardiologue lui-même peut avoir besoin du rythmologue pour prendre une décision (pacemaker, orage rythmique, syndrome du QT long ou Brugada…).

Je constate malheureusement que les internes de  cardiologie sont de moins en moins performants pour interpréter l’ECG car ils s’investissent dans d’autres technologies plus complexes, et en particulier l’imagerie fonctionnelle.

Quel avenir pour l’ECG ? Par quoi le remplacer ?

PT-Pour caricaturer, je dirai que l’ECG papier d’aujourd’hui est mort, quels que soient les progrès à venir des logiciels informatiques statiques… Faire un ECG prend 6 minutes, demande un investissement (un appareil coûte environ 1500 euros), le tracé est souvent difficile à interpréter ce qui peut poser des problèmes médico-légaux. De plus, il s’intègre difficilement dans le dossier médical informatisé. Pour ces raisons, on va certainement vers une réduction du nombre d’ECG, réalisés en médecine libérale.

A l’époque de la numérisation, on ne plus continuer à faxer des ECG  « difficiles » à un cardiologue  bienveillant, disponible, compétent et non rémunéré, dans le cadre d’un « réseau de soins » (inexistant généralement) ! Il faut miser sur une technologie plus simple, plus fiable, plus rapide…. Peut-être la technologie du « big data ».  Cette technologie repose sur la comparaison des courbes de l’ECG à interpréter avec une énorme base de données. L’informatique actuelle (télétransmission, stockage, sécurité, analyse en temps réel) est à même de le réaliser prochainement… Et pourquoi pas en France, si on se donne les moyens ? Pour cela j’encourage un tel projet, développé en France, et j'encourage la communauté médicale à télétransmettre leur ECGs pour enrichir la base de données ou tout simplement obtenir une interprétation via www.ecg.fr (Société Cardiologs Technologie).

La télétransmission d’un ECG par Bluetooth ou Wifi puis sa comparaison avec la banque du big data devrait permettre de répondre instantanément à une question médicale concernant le rythme (extrasystoles, bloc, fibrillation…) ou le muscle (forte probabilité de cardiopathie ischémique aiguë ou chronique, de cardiomyopathie, voire même de dysplasie arythmogène ou de cœur pulmonaire chronique) ou l’environnement du muscle (anomalie métabolique, toxique, péricarde…). Si la précision est au rendez vous, cette technologie devrait permettre à terme de redynamiser l’ECG auprès des médecins généralistes et autres médecins voire de le démocratiser auprès d’autres acteurs de soin: secours pompiers (100 000 interventions/an), infirmiers dans des secteurs à faible médicalisation (conditions extrêmes, prison, milieu rural...)

Personnellement, j’utilise déjà et je conseille beaucoup à mes confrères et à certains de mes patients un dispositif ECG unidérivation qui fonctionne avec la coque d’un iPhone 4 ou 5. Cette coque prise en mains (1 capteur sur main gauche, 1 capteur sur main droite) ou posée sur le thorax permet d’obtenir immédiatement le rythme cardiaque (tracé correspondant à la dérivation DI). Cet outil très fiable et agrée par la FDA (AliveCor ECG, AliveCor) coûte 50 euros pour Iphone 4. Il ne fournit pas l’interprétation, mais en l’absence de médecin, les données peuvent être enregistrées dans l’appareil et/ou télétransmises immédiatement par email….

Prochaine étape ? Le mot de la fin ?

PT -L’ECG n’est pas mort, même si les enseignants ne sont pas très vaillants. Les techniques d’apprentissage, d’acquisition et d’interprétation des signaux vont - je l’espère - exploser grâce à Internet et au big data.

Le Dr Taboulet a déclaré être un expert technique pour la Société Cardiologs Technologie.

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