Ann Arbor, Etats-Unis – Alors que, selon l’AFP, Ségolène Royal s’indigne du dernier rapport de l’Autorité européenne pour la sécurité des aliments qui blanchit l’exposition au bisphénol A, et que la Ministre s’interroge gravement sur « le poids de lobbys », la revue Endocrinology publie un travail qui montre un lien entre exposition in utéro au bisphénol A et induction d’un stress oxydatif anormalement élevé [1].
Pendant que l’expertise européenne officielle affirme que « aux niveaux actuels », l’exposition au bisphénol A ne présente pas de risque pour la santé des consommateurs », des résultats sont publiés qui proposent un mécanisme à l’association de nombreuses fois rapportée entre exposition au bisphénol A et diabète d’une part [2], et maladies cardiovasculaires d’autre part [3].
Le travail en question est original et complexe en cela qu’il conjugue des dosages effectués chez des femmes enceintes, et des expérimentations animales effectuées chez la souris, le rat et le mouton.
Corrélation entre bisphénol A circulant et marqueur du stress oxydatif
Chez 24 femmes menant leur grossesse sans complication, des dosages sériques du bisphénol A ont été effectués durant le premier trimestre (entre 8 et 14 semaines). On note une certaine dispersion des résultats, qui s’étirent d’une concentration de 0,03 ng/mL à 96,4 ng/mL pour la forme active, non conjuguée.
Ces 24 femmes ont été réparties en deux groupes : 12 femmes considérées comme faiblement exposées au bisphénol A (0,08 ng/mL), et 12 femmes au contraire fortement exposées (27,79 mg/mL). L’écart est significatif.
Ces dosages ont été répétés à la naissance, dans le sang de cordon, cette fois.
Les critères étaient l’intensité du métabolisme oxydatif, mesuré au niveau des tyrosines oxydées incorporées à des protéines (3-nitrotyrosine, 3-chlorotyrosine, et o,o’-dityrosine). Le mode d’oxydation de ces tyrosines désigne trois voies métaboliques possible du stress oxydatif. On note que la détection de ces tyrosines modifiées fait appel à des techniques lourdes, coûteuses, dont le spectromètre de masse, et qu’elles ne sont à la portée que d’équipes de pointe.
Les déséquilibres des taux d’acides gras libres ont également été recherchés.
Une relation a effectivement été observée entre un taux élevé de bisphénol A non conjugué au premier trimestre, et un taux élevé dans le sang de cordon.
Par ailleurs, ces taux circulants sont eux-mêmes corrélés au taux de 3-nitrotyrosine sérique, ainsi qu’au taux d’acide palmitique. Chez les femmes présentant des taux élevés de bisphénol A, le taux d’acide palmitique est significativement plus élevé, ainsi que le taux d’acide oléique (en tendance), et le taux total d’acides gras libres (en tendance).
Un déséquilibre du métabolisme des acides gras serait donc associé au stress oxydatif élevé induit par le bisphénol A.
« Des études chez l’animal ont montré qu’une exposition prénatale au bisphénol A conduit à des déficits métaboliques ultérieurs, notamment une rupture de l’homéostasie du glucose, une fonction mitochondriale altérée, et des anomalies des rythmes du développement précoce », indiquent les auteurs. « L’un des précurseurs de ces pathologies métaboliques est la résistance à l’insuline, qui, sous de nombreux aspects, est associée à l’inflammation. Or, parmi les médiateurs connus de l’insulino-résistance, on compte le déséquilibre des acides gras libres, et le stress oxydatif ».
Chez l’animal, l’exposition prénatale induit un stress oxydatif anormal
Pour conforter ce modèle sur le plan causal, des expérimentations ont par ailleurs été menées chez la souris, la rate et la brebis gestante, exposée au bisphénol A par voie alimentaire. Les doses étaient établies pour reproduire les taux observés chez les femmes enceintes.
Chez le mouton et le rat, la corrélation attendue entre dose de bisphénol A reçue par la femelle gestante, et oxydation des résidus tyrosine dans le sérum et dans le tissu adipeux de la descendance adulte, a bien été observée. Cette corrélation n’a toutefois pas été observée chez la souris.
S’agissant des acides gras libres, quelques anomalies ont été observées après exposition prénatale, mais les données sont clairement moins cohérentes que les résultats portant sur le métabolisme oxydatif.
« Il est important de remarquer que plusieurs études cliniques et animales ont montré que l’oxydation des tyrosines est associé à un état pro-inflammatoire, comme l’athérosclérose, le diabète, le lupus et l’arthrite rhumatoïde », commentent les auteurs.
Dans le présent travail, « l’association entre bisphénol A et 3-nitrotyrosine dans l’étude humaine ne prouve pas une causalité, mais elle pointe un lien potentiel », admettent-ils. En revanche, « les études animales qui montrent l’induction d’un stress oxydatif par le traitement au bisphénol A sont, elles, en faveur d’un lien causal ».
« La programmation fœtale du stress oxydatif a été principalement étudiée dans le contexte des conséquences cardiovasculaires de l’hypoxie prénatale, de la restriction protéique, et du traitement à la dexaméthasone », précisent encore les auteurs. Un nouveau champ de recherche s’ouvre donc, cette fois avec le bisphénol A, dont la toxicité est parfaitement avérée sur le plan épidémiologique, et dont on commence seulement à comprendre les effets complexes sur le plan métabolique.
L’étude a été financée par le National Institute for Environmental Health Sciences et la United States Environmental Protection Agency. Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt en rapport avec le sujet. |
REFERENCES :
Veiga-Lopez A, Subramaniam Pennathur S, Kannan K et coll, Impact of Gestational Bisphenol A on Oxidative Stress and Free Fatty Acids: Human Association and Interspecies Animal Testing Studies. Endocrinology 2015; doi: 10.1210/en.2014-1863
Lang IA, Galloway TS, Alan Scarlett A, et coll. Association of urinary bisphenol a concentration with medical disorders and laboratory abnormalities in adults. JAMA 2008; DOI:10.1001/jama.300.11.1303
Melzer D, Rice NE, Lewis C et coll. Asosciation of urinary bisphenol A concentration with heart disease : evidence from NHANES 2003/06. PLoS One 2010;5(1):e8673
Citer cet article: Exposition prénatale au bisphénol A : le stress oxydatif mène au diabète - Medscape - 23 janv 2015.
Commenter