Exposition prénatale au bisphénol A : le stress oxydatif mène au diabète

Vincent Bargoin

Auteurs et déclarations

23 janvier 2015

Ann Arbor, Etats-Unis – Alors que, selon l’AFP, Ségolène Royal s’indigne du dernier rapport de l’Autorité  européenne pour la sécurité des aliments qui blanchit l’exposition au bisphénol  A, et que la Ministre s’interroge gravement sur « le poids de  lobbys », la revue Endocrinology publie un travail qui montre un lien entre exposition in utéro au bisphénol A  et induction d’un stress oxydatif anormalement élevé [1].
Pendant que l’expertise  européenne officielle affirme que « aux niveaux actuels »,  l’exposition au bisphénol A ne présente pas de risque pour la santé des  consommateurs », des résultats sont publiés qui proposent un mécanisme à  l’association de nombreuses fois rapportée entre exposition au bisphénol A et diabète d’une part [2], et maladies  cardiovasculaires d’autre part [3].
Le travail en  question est original et complexe en cela qu’il conjugue des dosages effectués  chez des femmes enceintes, et des expérimentations animales effectuées chez la  souris, le rat et le mouton.
Corrélation entre bisphénol A circulant et  marqueur du stress oxydatif
Chez 24 femmes  menant leur grossesse sans complication, des dosages sériques du bisphénol A  ont été effectués durant le premier trimestre (entre 8 et 14 semaines). On note  une certaine dispersion des résultats, qui s’étirent d’une concentration de  0,03 ng/mL à 96,4 ng/mL pour la forme active, non conjuguée.
Ces 24 femmes ont  été réparties en deux groupes : 12 femmes considérées comme faiblement  exposées au bisphénol A (0,08 ng/mL), et 12 femmes au contraire fortement  exposées (27,79 mg/mL). L’écart est significatif.
Ces dosages ont  été répétés à la naissance, dans le sang de cordon, cette fois.
Les critères étaient  l’intensité du métabolisme oxydatif, mesuré au niveau des tyrosines oxydées incorporées  à des protéines (3-nitrotyrosine, 3-chlorotyrosine, et o,o’-dityrosine). Le  mode d’oxydation de ces tyrosines désigne trois voies métaboliques possible du  stress oxydatif. On note que la détection de ces tyrosines modifiées fait appel  à des techniques lourdes, coûteuses, dont le spectromètre de masse, et qu’elles  ne sont à la portée que d’équipes de pointe.
Les déséquilibres  des taux d’acides gras libres ont également été recherchés.
Une relation a  effectivement été observée entre un taux élevé de bisphénol A non conjugué au  premier trimestre, et un taux élevé dans le sang de cordon.
Par ailleurs, ces  taux circulants sont eux-mêmes corrélés au taux de 3-nitrotyrosine sérique,  ainsi qu’au taux d’acide palmitique. Chez les femmes présentant des taux élevés  de bisphénol A, le taux d’acide palmitique est significativement plus élevé,  ainsi que le taux d’acide oléique (en tendance), et le taux total d’acides gras  libres (en tendance).
Un déséquilibre  du métabolisme des acides gras serait donc associé au stress oxydatif élevé  induit par le bisphénol A.
« Des études  chez l’animal ont montré qu’une exposition prénatale au bisphénol A conduit à  des déficits métaboliques ultérieurs, notamment une rupture de l’homéostasie du  glucose, une fonction mitochondriale altérée, et des anomalies des rythmes du  développement précoce », indiquent les auteurs. « L’un des  précurseurs de ces pathologies métaboliques est la résistance à l’insuline,  qui, sous de nombreux aspects, est associée à l’inflammation. Or, parmi les  médiateurs connus de l’insulino-résistance, on compte le déséquilibre des  acides gras libres, et le stress oxydatif ».
Chez l’animal, l’exposition prénatale induit un  stress oxydatif anormal
Pour conforter ce  modèle sur le plan causal, des expérimentations ont par ailleurs été menées  chez la souris, la rate et la brebis gestante, exposée au bisphénol A par voie  alimentaire. Les doses étaient établies pour reproduire les taux observés chez  les femmes enceintes. 
Chez le mouton et  le rat, la corrélation attendue entre dose de bisphénol A reçue par la femelle  gestante, et oxydation des résidus tyrosine dans le sérum et dans le tissu  adipeux de la descendance adulte, a bien été observée. Cette corrélation n’a  toutefois pas été observée chez la souris.
S’agissant des  acides gras libres, quelques anomalies ont été observées après exposition  prénatale, mais les données sont clairement moins cohérentes que les résultats portant  sur le métabolisme oxydatif.
« Il est  important de remarquer que plusieurs études cliniques et animales ont montré  que l’oxydation des tyrosines est associé à un état pro-inflammatoire, comme  l’athérosclérose, le diabète, le lupus et l’arthrite rhumatoïde »,  commentent les auteurs.  
Dans le présent  travail, « l’association entre bisphénol A et 3-nitrotyrosine dans l’étude  humaine ne prouve pas une causalité, mais elle pointe un lien potentiel »,  admettent-ils. En revanche, « les études animales qui montrent l’induction d’un  stress oxydatif par le traitement au bisphénol A sont, elles, en faveur d’un  lien causal ».
« La  programmation fœtale du stress oxydatif a été principalement étudiée dans le  contexte des conséquences cardiovasculaires de l’hypoxie prénatale, de la  restriction protéique, et du traitement à la dexaméthasone », précisent  encore les auteurs. Un nouveau champ de recherche s’ouvre donc, cette fois avec  le bisphénol A, dont la toxicité est parfaitement avérée sur le plan  épidémiologique, et dont on commence seulement à comprendre les effets  complexes sur le plan métabolique.

L’étude a été financée  par le National Institute for  Environmental Health Sciences et la United States Environmental Protection  Agency.
           Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt en rapport avec le sujet.

 

REFERENCES :

  1. Veiga-Lopez A, Subramaniam Pennathur S, Kannan K et coll, Impact of       Gestational Bisphenol A on Oxidative Stress and Free Fatty Acids: Human       Association and Interspecies Animal Testing Studies. Endocrinology  2015; doi:       10.1210/en.2014-1863

  2. Lang IA,       Galloway TS, Alan Scarlett A, et coll. Association of urinary bisphenol a       concentration with medical disorders and laboratory abnormalities in       adults. JAMA 2008;       DOI:10.1001/jama.300.11.1303

  3. Melzer D, Rice NE, Lewis C et coll. Asosciation of urinary bisphenol A concentration with  heart disease : evidence from NHANES 2003/06. PLoS One 2010;5(1):e8673

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