Le spectre d’un risque de cataracte sous statine ressurgit

Adélaïde Robert-Géraudel

Auteurs et déclarations

24 décembre 2014

Washington, Etats-Unis – La controverse sur le lien entre utilisation de statines et risque de cataracte n’est toujours pas tranchée.

Au départ, ce sont des études chez le chien qui ont montré un effet dose entre le traitement par statines et l’apparition de cataractes. Mais les études menées depuis chez l’homme, dont Medscape France s’est fait l’écho, ont donné des résultats contradictoires.

Pour Stephanie J. Wise (Université de Colombie-Britannique, Vancouver, Canada) et ses collègues, pas de doute : l’étude qu’ils viennent de publier dans le Canadian Journal of Cardiology démontre que l’utilisation des statines est associée de manière significative à des cataractes nécessitant une intervention chirurgicale » [1].

Celle-ci, présentée comme une « étude cas-témoins imbriquée dans une cohorte rétrospective », repose sur l’analyse de deux cohortes, l’une provenant des données canadiennes du ministère de la santé de Colombie-Britannique de 2000 à 2007 et l’autre de la base de données américaine du IMS LifeLink de 2001 à 2011. Chaque cas de ces cohortes a été apparié à dix témoins.

De la cohorte canadienne « mixte » (hommes et femmes, 162 501 cas / 650 004 contrôles), émerge un sur-risque de 30% de développer une cataracte nécessitant une chirurgie chez les utilisateurs réguliers de statine (toutes statines confondues).

L’analyse a été ajustée à différents facteurs de risque pouvant influencer la formation d’une cataracte (sexe, diabète, hypertension, glaucome, BPCO, antécédents de maladies cardio ou cérébrovasculaires, divers médicaments…) mais, et c’est une limite de cette étude, pas au tabagisme.

Le sur-risque ajusté reste significatif (RR=1, 27 ; IC 95% [1,24-1,30]) et ce, tant chez les consommateurs récents (1,36 ; [1,30-1,42]) que plus anciens (1,24 ; [1,20-1,27]).

 
De la cohorte canadienne « mixte » émerge un sur-risque de 30% de développer une cataracte nécessitant une chirurgie chez les utilisateurs réguliers de statine
 

De la cohorte américaine exclusivement masculine (45065 cas / 450 650 contrôles) émerge une hausse du risque un peu moins importante (+13%), mais néanmoins significative y compris en analyse ajustée (1,07 ; [1,04-1,10]).

Selon que l’on extrapole les données de la cohorte canadienne ou américaine, il faudrait respectivement mettre sous statine 200 ou 250 patients pendant un an, ou encore  40 ou 50 patients pendant cinq ans, pour avoir à traiter chirurgicalement une cataracte.

Un effet de classe…

Les auteurs ont calculé les risques relatifs pour chaque type de statine et, d’après les résultats de la cohorte canadienne, tous étaient statistiquement significatifs, allant de 1,14 pour la lovastatine à 1,42 pour la rosuvastatine.

La cohorte américaine donne globalement des risques plus faibles, qui varient de 1,03 pour la fluvastatine à 1,14 pour la lovastatine.

Les risques associés à la simvastatine, à la lovastatine, à l’atorvastatine ou aux associations de plusieurs statines, sont significatifs.  Le risque n’est en revanche pas significatif pour la pravastatine, la fluvastatine et la rosuvastatine.

Les auteurs soulignent toutefois que ces écarts ne sont pas une preuve suffisante pour suggérer une différence selon le type de statine.

… qui ne devrait pas être un frein à la prescription justifiée

Stephanie J. Wise et ses collègues ont comparé leurs résultats à ceux de la littérature et estiment que ceux-ci sont cohérents avec les principales études ayant montré un lien entre le traitement par statine et l’apparition d’une cataracte.

Celles qui ont trouvé une absence d’effet ou même une protection souffrent, selon leur analyse, de différents biais et/ou d’une puissance insuffisante.

Compte tenu de l’augmentation du recours aux statines « et de l’importance d’avoir une vision acceptable au cours de la vieillesse », les auteurs recommandent d’évaluer plus avant ce lien.

Pour autant, celui-ci ne devrait pas représenter un frein à la prescription. « Parce que le risque relatif est faible et la chirurgie de la cataracte efficace et bien tolérée, ce risque doit être pris en considération mais ne doit pas dissuader de recourir aux statines si celles-ci apparaissent nécessaires pour réduire le risque cardiovasculaire », concluent les auteurs.

Beaucoup de bruit pour rien ?

… mais qui embarrasse les pro-statines

Si les conclusions de l’étude sont loin de mettre en danger l’avenir des statines, elles semblent embarrasser les auteurs d’un éditorial accompagnant l’article, les Drs Steven E. Gryn, et Robert A. Hegele (Université de London, Canada).[2]

Ils reviennent lourdement sur l’intérêt des statines et relativisent leurs effets indésirables avant de détailler toutes les faiblesses et les probables biais de l’étude de Wise et al. , à savoir  les « cas » qui présentent davantage de facteurs de risque de cataracte que les « contrôles » dans les deux cohortes, le fait qu’il s’agisse d’une étude cas-contrôle et non d’une étude randomisée, le non-ajustement au tabagisme…

Peu convaincus, ils parlent ainsi de « l’apparente association » mise à jour, y opposant… leur propre expérience : « pour ceux d’entre nous qui ont prescrit depuis presque trente ans de fortes doses de statines, il n’y a certainement pas d’épidémie de cataractes parmi nos patients ».

Et quand bien même un risque serait confirmé, qu’il n’empêcherait « sans doute pas », selon les deux éditorialistes « la plupart [des patients] de préférer subir un peu plus jeune une chirurgie de la cataracte qui ne met pas leur vie en danger plutôt que de s’exposer à un événement vasculaire majeur ».

La conviction de Gryn et Hegele sur ce point semble si forte qu’elle les pousse à envisager que les patients chez lesquels le rapport bénéfice/risque des statines est le moins important, auront aussi cette attitude.

Le Dr G.B. Mancini, co-auteur de l’étude, a déclaré avoir reçu des honoraires de Merck, Amgen, Pfizer, AstraZeneca et Sanofi Aventis.
Le Dr Hegele, co-auteur de l’éditorial, a déclaré des liens d’intérêt avec Valeant, Amgen, Sanofi et Aegerion et le Dr Gryn est consultant pour Novartis.

 

RÉFÉRENCES

  1. Wise SJ, Nathoo NA, Etminan M, et al. Statin use and risk for cataract: a nested case-control study of 2 populations in Canada and the United States. Can J Cardiol. 2014 Dec;30(12):1613-9. doi: 10.1016/j.cjca.2014.08.020. PMID: 25475465 online december 1, 2014.

  2. Gryn SE, Hegele RA. Doctor my eyes: a statin-cataract connection? Can J Cardiol. 2014 Dec;30(12):1508-10. doi: 10.1016/j.cjca.2014.08.019. PMID: 25475455 No abstract available. online december 1, 2014.

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