San-Francisco, Etats-Unis – Preuve, s’il en fallait encore, que l’anticoagulation est un marché porteur, les nouveaux anticoagulants oraux, anti-IIa (dabigatran) ou anti-Xa (rivaroxaban, apixaban,…) n’ont pas découragé la recherche d’autres cibles thérapeutiques, qui permettraient, dans l’idéal, de prévenir la thrombose sans majorer les saignements. Une étude de phase II d’un ARN antisens dirigé contre l’ARNm codant le facteur XI vient ainsi d’être présentée au congrès de l’American Society of Hematology et publiée simultanément dans le NEJM [1]. Cet anti-XI annonce un résultat qui semble particulièrement intéressant, à savoir un taux de 4% de thromboses veineuses au décours du geste particulièrement thrombogène qu’est l’arthroplastie du genou.
Stratégie des antisens Les ARN antisens, également appelés oligonuctéotides antisens, sont de courts ARN simples brins, synthétiques, dont la séquence est complémentaire d’une portion de l’ARNm cible. S’hybridant à celui-ci, l’ARN antisens en empêche la traduction en protéine. Cette stratégie, très élégante sur le papier, a été expérimentée dans les années 90, notamment contre des virus. Malheureusement sans grand succès, notamment pour des raisons de stabilité des oligonuctéotides antisens. |
Moins de thrombose, pas plus de saignements
Dénomé FXI-ASO, l’oligonucléotide antisens de la société Isis Pharmaceuticals a été comparé à l’enoxaprine dans une phase II, portant sur 300 patients subissant une arthroplastie totale du genou dans 19 centres, répartis dans 5 pays.
Le traitement par l’antisens a été amorcé 36 jours avant la chirurgie par 3 doses de 200 ou 300 mg administrées en SC durant la première semaine. Le schéma était en suite d’une dose hebdomadaire. Enfin, une dose a été administrée 6 heures après l’intervention, et une dernière dose 3 jours après. L’enoxaparine, elle, a été administrée à la dose de 40 mg/j, en SC, le traitement étant initié la veille de l’intervention et poursuivi 8 jours durant.
L’oligonucléotide semble avoir joué son rôle puisque les taux de facteur XI ont été réduits de 83 et 65% chez les sujets traités par 300 et 200 mg respectivement.
Le critère primaire d’efficacité était la survenue d’un thromboembolisme veineux, symptomatique ou attesté par veinographie bilatérale, laquelle était effectuée entre 8 et 12 jours après la chirurgie.
En per protocole, ce critère a été observé chez 27% (36/134) des sujets traités par FXI-ASO à la dose de 200 mg, chez 4% (3/71) des sujets traités par 300 mg, et chez 30% (21/69) des sujets traités par enoxaparine.
Dans cette analyse, la dose de 200 mg de FXI-ASO se montre non inférieure à l’enoxaparine, la dose de 300 mg se montrant, elle, supérieure.
Enfin, des saignements ont été observés dans 3%, 3% et 8% des groupes, respectivement : les écarts sont non significatifs.
Dissocier effet antithrombotique et effet hémorragique
Le taux de 4% d’évènements thromboemboliques – sans surcoût hémorragique – dans une chirurgie très thrombogène retient évidemment l’attention : aurait-on trouvé le moyen d’empêcher la thrombose sans provoquer de saignements ?
Un certain nombre de résultats obtenus chez l’animal suggèrent que l’inhibition du facteur XI pourrait être une piste. Chez des souris knock-out pour le gène du facteur XI, ou des primates traités par anticorps anti-facteur XI, l’inhibition de la formation de thrombus sans augmentation des temps de saignements ont ainsi été rapportés.
Pour autant, « les résultats [publiés dans le NEJM ] montrent-ils que la réduction du taux de facteur XI inhibe la thrombose sans affecter le saignement ? La réponse conservative est non », souligne Robert Flaumenhaft (Harvard Medical School, Boston).
L’argument est que les taux de thrombose et de saignement restent, malgré tout, faibles, et qu’une « étude plus importante sera nécessaire pour évaluer dans quelle mesure le ciblage du facteur XI épargne l’hémostase ».
Au passage, cette étude devra aussi préciser la relation non linéaire entre taux de facteur XI et effet antithrombotique, puisque si, de 200 à 300 mg d’antisens, on observe grosso modo la relation dose-effet attendue dans l’inhibition du facteur XI, un effet de seuil semble se manifester au niveau de l’incidence des thromboses : 65% d’inhibition du facteur XI et 27% de thromboses à la dose de 200 mg versus 83% d’inhibition du facteurs XI et 4% de thromboses à la dose de 300 mg.
Enfin, à supposer que le facteur XI soit confirmé comme cible thérapeutique, l’inhibition par un ARN antisens serait une stratégie à discuter.
Comme le souligne Robert Flaumenhaft, 70 jours après l’initiation du traitement, le taux de facteur XI chez les sujets traités restait à environ 60% de sa valeur initiale, « sans signe de récupération ».
« Des considérations de confort et des questions de réversibilité pourraient limiter l’utilisation d’oligonucléotides antisens pour la prophylaxie des thromboses veineuses en chirurgie », ajoute-t-il.
Certes, « de nombreuses situations demandent une prophylaxie primaire ou secondaire à long terme ». Mais chez un patient sous anticoagulation chronique par ARN antisens, la question de l’antidote en cas d’intervention urgente, déjà critique avec les NACO dont la demi-vie est de quelques heures, pourrait devenir rédhibitoire.
« L’étude fournit une preuve de principe pour de futurs essais d’oligonucléotides antisens dirigés contre le facteur XI, mais aussi pour l’intensification des efforts actuels visant à développer de petites molécules ou des anticorps ciblant le facteur XI », conclut l’éditorialiste.
L’étude a été financée par Isis Pharmaceuticals. Le premier auteur, Harry R. Büller, rapporte des revenus d’Isis Pharmaceuticals durant la conduite de l’étude. |
REFERENCES:
Büller H, Bethune C, Bhanot S, et coll. Factor XI antisense oligonucleotide for prevention of venous thrombosis . New Eng J Med 2014; DOI:10.1056/NEJMoa1405760.
Flaumenhaft R. Making (anti)sense of factor XI in thrombosis. New Eng J Med 2014; DOI:10.1056/NEJMe1413874.
Citer cet article: Vincent Bargoin. Anti- facteur XI : une nouvelle piste dans l’anticoagulation - Medscape - 17 déc 2014.
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