Washington, Etats-Unis – Plus une personne est obèse, et obèse tôt dans la vie, et plus son excès de poids a des effets néfastes sur sa santé.
Ce résultat d’une étude parue dans le Lancet Diabetes and Endocrinology [1] n’a pas le mérite de surprendre, mais il a celui de mesurer l’effet.
Steven Grover , du Research Institute of the Mc Gill University Health Centre de Montréal (Canada) et ses collègues montrent ainsi qu’un homme perd jusqu’à huit ans de vie s’il présente une obésité sévère avant quarante ans (cf. tableau). Et le scénario n’est pas plus encourageant pour une femme.
Pour arriver à cette conclusion, l’équipe a construit un modèle tenant compte des facteurs de risque de diabète et de maladies cardiovasculaire, puisque ceux-ci sont modifiables par la perte de poids.
Ce modèle a exploité les données du National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES ; 2003-2010). S’agissant de cohorte de personnes blanches d’origine non hispaniques les résultats ne sont pas applicables à d’autres populations.
« Huit ans de vie perdues pour un homme de moins de 40 ans atteints d’obésité sévère : c’est un chiffre que l’on peut retenir car il confirme le résultat de précédentes études et d’une certaine façon, l’établit », estime le Pr Jean-Michel Oppert, chef du service de Nutrition à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris.
Tableau comparatif de l’espérance de vie et des années en bonne santé
|
Années de vie perdues* |
Années de vie en bonne santé perdues* |
Années de vie perdues* |
Années de vie en bonne santé perdues* |
IMC |
Hommes de 20 à 39 ans |
Femmes de 20 à 39 ans |
||
25 -30 kg/m2 |
2,7 |
5,9 |
2,6 |
6,3 |
30-35 kg/m² |
5,9 |
11,8 |
5,6 |
14,6 |
>35 kg/m² |
8,4 |
18,8 |
6,1 |
19,1 |
IMC |
Hommes de 40 à 59 ans |
Femmes de 40 à 59 ans |
||
25 -30 kg/m2 |
0,0 |
1,8 |
1 |
3,4 |
30-35 kg/m² |
1,7 |
5,9 |
3 |
10,3 |
>35 kg/m² |
3,7 |
11,3 |
5,3 |
15,9 |
IMC |
Hommes de 60 à 79 ans |
Femmes de 60 à 79 ans |
||
25 -30 kg/m2 |
0,4 |
0,5 |
0,8 |
3,4 |
30-35 kg/m² |
0,8 |
2,8 |
1,6 |
6,3 |
>35 kg/m² |
0,9 |
3,9 |
0,9 |
7,3 |
*Par rapport à un homme ou une femme de même âge mais présentant un indice de masse corporelle (IMC) considéré comme normal.
Autre mérite de cette étude : celui de ne pas s’intéresser seulement au quantitatif mais tenter d’approcher l’aspect qualitatif.
Grover et al. montrent ainsi que les personnes obèses vont perdre deux à quatre fois plus d’années de vie en bonne santé que d’années de vie tout court.
Autrement dit, les jeunes adultes obèses et très obèses vont passer un quart à un tiers de leur vie avec un diabète ou une maladie cardiovasculaire.
Cibler les plus obèses
« Ce qui est intéressant, c’est que l’on voit bien que ces effets se vérifient principalement chez les plus obèses », note le Pr Oppert.
« C’est une donnée importante pour orienter l’offre de soins, la rendre plus lisible et améliorer la qualité des soins », estime-t-il.
Aujourd’hui, seuls 1,2% de la population française auraient un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 40 kg/m² sur 15% de personnes jugées obèses (IMC supérieur à 30), selon l’enquête Obépi 2012.
« C’est une minorité mais qui a quadruplé en quinze ans, passant de 0,3% à 1,2% de la population », note encore le Pr Oppert.
Une aide à la motivation ?
Pour les auteurs, ces résultats devraient « aider les professionnels de santé à encourager plus activement la perte de poids chez leurs patients obèses et en surpoids, mais aussi fournir aux patients une motivation supplémentaire pour adhérer à un mode de vie plus sain ».
« Voir qu’un patient a six ou huit ans de moins à vivre du fait de son obésité permet de bien se convaincre que l’obésité sévère est un problème de santé sérieux, renchérit le Pr Oppert. La première proposition des auteurs est donc une évidence : évaluer le risque du patient ne peut que renforcer la détermination des professionnels de santé à le soigner. »
La seconde laisse le Pr Oppert plus dubitatif. « Cela revient à discuter l’appréciation d’un risque dans le dialogue avec le patient. C’est un problème général dans les maladies chroniques, en particulier pour un risque à long terme, chez un patient jeune ».
Steven Grover et al. soulignent en outre que les estimations du modèle, pour informer un patient à l’échelle individuelle, sont à utiliser avec précaution. Car même si les intervalles de confiance donnent une idée de l’incertitude, ce sont des valeurs moyennes qui ne rendent pas compte de l’incertitude à l’échelle individuelle.
Le nombre d’années de vie en bonne santé : un paramètre fluctuant
Dans un commentaire accompagnant l’article, Edward Gregg (Centers for disease control and prevention, Atlanta) souligne que le nombre d’années de vie en bonne santé est un paramètre fluctuant. Les taux de mortalité par diabète ou maladies cardiovasculaires sont en effet en train de diminuer.
L’évolution des traitements est amenée aussi à modifier la donne. Pour ne prendre qu’un exemple, « la chirurgie bariatrique, d’après l’étude SOS, diminue la mortalité de 30% après 20 ans de suivi, précise le Pr Oppert. Et son utilisation ne cesse d’augmenter : ces dix dernières années le nombre d’interventions a triplé ou quadruplé selon les régions en France, atteignant 44 000 en France en 2013 ».
En parallèle, l’état de santé de la population non-obèse n’est pas non plus figé. Edward Gregg souligne ainsi qu’elle tend à perdre moins d’années de vie en bonne santé du fait d’un meilleur effet des interventions menées contre le cancer, l’insuffisance rénale, le handicap lié à l’âge etc.
En attendant, quelle que soit la fluctuation des effets, ils varient suivant le degré d’obésité. « Cette gradation montre bien que l’on ne s’adresse pas aux mêmes personnes quand on parle de surpoids, d’obésité et d’obésité sévère. Plus le poids augmente et plus, dans les cas extrêmes, il faudra médicaliser la prise en charge afin de diminuer son impact sur l’espérance et la qualité de vie », estime le Pr Oppert.
REFERENCES :
Grover SA, Kaouache M. Rempel P. Years of life lost and healthy life-years lost from diabetes and cardiovascular disease in overweight and obese people : a modelling study. Lancet Diabetes and Endocrinology, publication en ligne du 5 décembre 2014 http://dx.doi.org/10.1016/S2213-8587(14)70229-3
Gregg E. Comment Obesity, diabetes, and the moving targets of healthy-years estimation http://dx.doi.org/10.1016/S2213-8587(14)70242-6
L'Assurance maladie garde à l'oeil le boom de la chirurgie bariatrique en France
La chirurgie bariatrique diminue la morbi-mortalité cardiovasculaire dans l'obésité sévère
Le surpoids associé à une moindre mortalité : faut-il revoir l'IMC « idéal » ?
ObÉpi 2006 : des obésités de plus en plus sévères et précoces en France
Citer cet article: Adélaïde Robert-Géraudel. Obésité sévère avant 40 ans = jusqu’à huit ans de vie en moins - Medscape - 11 déc 2014.
Commenter