Distilbène : bienvenue dans l’ère de la toxicité durable

Vincent Bargoin

Auteurs et déclarations

5 décembre 2014

Paris, France – Le suivi des femmes qui, enceintes, ont reçu du diéthylstilbestrol (Distilbène® et Stilboestrol-Borne®, DES) entre 1948 et 1977, se poursuit. A la seconde génération, le risque de malformations génitales après exposition in utero se confirme dans les deux sexes, ainsi qu’un risque tumoral chez les femmes (sein, utérus, vagin) et possiblement chez les hommes (testicule). Avec l’allongement du suivi, on constate maintenant un impact à la troisième génération, avec notamment des questions sur un nombre accru d’infirmes moteurs cérébraux.

Une étude initiée par l’association DES France, vient d’être présentée au Sénat par le Pr Michel Tournaire (Hôpital Saint-Vincent-de-Paul, Paris), qui représentait le comité scientifique [1].

Quand s’est-on permis d’interdire ?
Le diéthylstilbestrol, synthétisé en Grande-Bretagne en 1938, a été prescrit en France de 1948 à 1977 aux femmes enceintes, pour prévenir les fausses couches. En Grande-Bretagne, le produit a été interdit en 1973, aux Pays-Bas et en Belgique, en 1975.

 

En France, quelques 200 000 femmes ont été traitées au DES, et 160 000 enfants ont été exposés in utero. Cette seconde génération, aujourd’hui âgée de 37 à 64 ans, a elle-même eu des enfants.

L’étude présentée par le Pr Tournaire a été menée par questionnaires, adressés aux trois générations. Quelques 10000 questionnaires se sont révélés utilisables.

S’agissant de la première génération, celle des femmes traitées, aucune complication nouvelle n’a été révélée avec le recul. On retrouve l’augmentation d’environ 30% de la fréquence du cancer du sein, connue depuis les études américaines de 1984 et 1993.

A la seconde génération, parmi les femmes exposées in utero au DES pris par leur mère, le risque de cancer du sein semble augmenter. La comparaison de 3436 de ces femmes à 3256 femmes témoins, non exposées, montre un doublement du risque, qui devient comparable à celui des femmes dont une parente au 1 er degré est atteinte.

Ce sur-risque qui concerne aujourd’hui quelques 80 000 femmes en France, semble indépendant de l’âge. L’étude française le retrouve en effet chez des femmes de moins de 40 ans.

Par rapport à la littérature antérieure, ce résultat converge avec une étude américaine de 2006 (qui retrouvait un risque doublé à partir de 40 ans, et triplé à partir de 50 ans), mais contredit une étude néerlandaise de 2010, qui n’avait pas retrouvé de sur-risque de cancer du sein.

Par ailleurs, le risque d’adénocarcinome à cellules claires (ACC, de mauvais pronostic) du vagin et du col de l’utérus est lui aussi confirmé. C’est un risque signalé pour la première fois en 1971…

On relève également des augmentations non significatives des cancers du col autres que les ACC, des mélanomes, des cancers des ovaires et de la thyroïde, et une absence de signal du côté des cancers de l’endomètre.

Enfin, à côté des cancers, on note des excès de malformations génitales, d’infertilité, et de complications lors des grossesses (grossesses extra-utérines, fausses couches, accouchements prématurés), et une possible augmentation des troubles psychologiques et psychiatriques.

Cette notion demande toutefois à être vérifiée, puisque des antécédents de cancers ou de fausse couche sont évidemment des facteurs confondants. L’association DES France demande des études complémentaires.

Quelle surveillance chez les femmes exposées in utéro au DES ?
Pour l’association DES France, les résultats de l’étude « confortent la recommandation de suivi des « filles D.E.S. », d’une visite annuelle chez le gynécologue, même en l’absence de tout symptôme ».
Cette visite comporte :
• un examen gynécologique à la recherche d’anomalies du vagin et de l’utérus ;
• des frottis du vagin et du col ;
• une colposcopie en fonction des résultats du frottis ;
• un examen clinique des seins.
« En fonction de l’ensemble des facteurs de risque, une mammographie sera éventuellement proposée ».
Enfin, « des pertes de sang inexpliquées, ou l’apparition d’une anomalie dans un sein, doivent faire rapidement consulter ».

 

A la seconde génération, toujours, mais chez les hommes, les anomalies déjà connues de l’appareil génital sont confirmées (cryptorchidie, kyste de l’épididyme, hypospadias, atrophie testiculaire).

Les résultats montrent par ailleurs un risque accru de cancer du testicule par rapport à la population générale. Les auteurs sont toutefois prudents, puisque ce résultat a été obtenu dans un effectif limité (n=326), qu’il n’est pas référé à un contrôle interne à l’étude, et enfin, que les résultats disponibles jusqu’à présent sont discordants.

L’étude la plus importante (Strohsnitter et coll. 2001) avait toutefois montré une augmentation du risque de cancer du testicule d’un facteur 3, et l’association DES France prône « la vigilance pour ces fils DES ».

La 3ème génération : plus d’infirmes moteurs cérébraux

Enfin, la 3ème génération. Avec le temps, les effectifs deviennent substantiels, puisque l’étude a permis de colliger des données provenant de 2332 filles et 2331 garçons de mère exposée au DES in utéro.

L’information véritablement nouvelle est la mise en évidence d’une augmentation du nombre d’enfants infirmes moteurs cérébraux. Cette augmentation serait liée au taux élevé de naissances prématurées et très prématurées.

S’agissant des malformations, une augmentation du nombre d’atrésies de l’œsophage est constatée dans les deux sexes. Cette anomalie avait déjà été évoquée dans une étude néerlandaise. Un excès de malformations cardiovasculaires apparait également, qui se situe à la limite de la significativité. Une étude américaine de 2010 avait déjà soulevé l’hypothèse. L’association DES France demande des investigations complémentaires sur ce point.

Chez les garçons de 3ème génération, on retrouve une forte incidence des cas d’hypospadias, ainsi qu’une fréquence augmentée de cryptorchidie, l’une et l’autre déjà décrites dans la littérature. Pour les filles de 3ème génération, en revanche, l’augmentation des anomalies génitales, que l’on redoutait, n’est pas confirmée.

Chez les enfants dont le père a été exposé in utero, le profil de risque est identique : des anomalies génitales un peu plus fréquentes chez les garçons, et pas de signal chez les filles. La série est cependant de petite taille (n=406).

Enfin, en ce qui concerne le risque de cancer à la 3ème génération, les incidences relevées sont pour le moment dans la norme. Mais les enfants de 3ème génération inclus dans l’étude n’ont que 15 ans en moyenne.

Les recommandations AFSSAPS/ANSM, réactualisées en 2011 , « restent d’actualité », souligne DES France. Des naissances d’enfants de père ou mère exposé in utéro sont en effet attendues jusqu’en 2020.

Rappelons par ailleurs que les mères exposées in utéro bénéficient d’un congé maternité spécifiques (loi votée le 24 décembre 2004, appliquée depuis 2006 et 2010).

Aujourd’hui, va-t-on vers un suivi de la 4ème génération ? L’association DES France le souhaite, mais beaucoup dépendra évidemment du suivi qui se poursuit sur la 3ème.

 

L’étude a été financée par l’ANSM et soutenue par la Mutualité Française.

 

REFERENCE :

  1. Résultats de l’étude Distilbène, 3 générations

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....