Californie, Etats-Unis — Dans une étude américaine, plus de 40% des adolescents interrogés rapportent avoir été victimes de cyber-harcèlement dans le cadre d’une relation amoureuse, et ce, dans les 3 mois précédant l’enquête. Les filles sont majoritairement concernées [1]. Les résultats suggèrent aussi que ces teenagers sont plus susceptibles que les autres de subir des violences en général.
Cyber-harcèlement : qu’est-ce que c’est ? Le cyber-harcèlement consiste à utiliser les nouvelles technologies d'information et de communication (SMS, tchats, forums, réseaux sociaux, mails, blog, etc.) pour harceler, traquer ou intimider quelqu'un de manière répétée. Très exactement, le cyber-harcèlement est défini comme « un acte agressif, intentionnel perpétré par un individu ou un groupe d’individus au moyen de formes de communication électroniques, de façon répétée à l’encontre d’une victime qui ne peut facilement se défendre seule » [2]. La traque virtuelle peut prendre différentes formes : intimidations, insultes, moqueries ou menaces en ligne, piratage de comptes et l’usurpation d’identité digitale, diffusion de fausses rumeurs sur le net , sexting, etc. Les adolescents, grands utilisateurs de nouvelles technologies, sont particulièrement concernés. Ce harcèlement peut avoir un caractère général ou intervenir dans le cadre d’une relation amoureuse. Il n’est pas rare qu’il vire au drame. On se souvient d’Amanda Todd, cette jeune canadienne de 15 ans dont le suicide avait beaucoup ému et signé le début d’une prise de conscience sur les dangers de ces pratiques [3]. |
Les nouvelles technos : le meilleur et le pire
Les nouvelles technologies sont omniprésentes dans la vie des adolescents. Aux Etats-Unis, 78% des 12-17 ans disent avoir un téléphone portable et 93% leur propre ordinateur. L’envoi de textos est devenu leur mode de communication favori et les réseaux sociaux n’ont plus de secret pour eux : 63% échangent des SMS quotidiennement et 29% utilisent tous les jours Facebook & Co pour communiquer [1]. Rien de mal à cela si ce n’était l’apparition de comportements abusifs, délictueux de l’ordre du harcèlement et de l’intimidation qui peuvent fragiliser la santé des adolescents, au point de les conduire à des pratiques à risques.
Pour évaluer la part de ces abus dans le cadre de la relation amoureuse, des chercheurs américains ont demandé à 1008 californiens âgés de 14 à 19 ans de répondre à une enquête, laquelle était, bien sûr, confidentielle. Ces ados (dont 76% étaient des filles et 56% des participants étaient âgés de 16 et 17 ans) ont été recrutés parmi ceux ayant fréquenté huit structures médicales du Nord de la Californie liées à leur établissement scolaire (school-based health centers, centre de santé scolaire) sur la période 2012-2013. Cet échantillon n’est donc pas représentatif de la population générale, « les adolescents fréquentant ces centres de santé sont par définition plus à risques » explique le premier auteur Rebecca Dick (Université de Pittsburg). Les écoles étaient situées dans des zones urbaines ou suburbaines et 95% des participants se sont authentifiés comme « non-blancs ». Les participants étaient dédommagés 10 dollars.
Méthodologie : les différents items Outre les caractéristiques démographiques (âge, origine ethnique, état marital, orientation sexuelle), l’enquête portait sur le cyber-harcèlement dans le cadre de la relation amoureuse et d’autres formes de violence. 7 items portaient sur le lien entre relation amoureuse et technologie, certains évoquant des pressions d’ordre sexuel (ex : forcer quelqu’un à parler de sexe), ou non sexuel (surveillance de la localisation). Une question supplémentaire portait sur le sexting, contraction de « sex » et « texting » que l’on peut le définir comme « des images produites par les jeunes (17 ans et moins) qui représentent d’autres jeunes et qui pourraient être utilisées dans le cadre de la pornographie infantile » [2]. Trois questions abordaient la possibilité d’avoir été victime de violence physique dans le cadre de la relation amoureuse. Quatre items traitaient de la violence sexuelle qu’il s’agisse d’un rapport sexuel non désiré, ou d’une pratique sexuelle (vaginale, orale ou anale) forcée de la part du partenaire mais aussi de la part d’une personne non engagée dans la relation amoureuse. Les pratiques sexuelles et le nombre de partenaires étaient questionnés, de même que l’utilisation de méthodes contraceptives, ou de contraintes à l’encontre de l’utilisation de ces méthodes. Les 3 derniers mois avant l’enquête étaient pris en compte. |
41% de victimes de cyber-harcèlement au sein de la relation amoureuse
Au final, 41% des lycéens interrogés ont rapporté avoir été victimes de cyber-harcèlement au cours des 3 derniers mois : plus de filles (45%) que de garçons (31%). Pour 13%, ce harcèlement était d’ordre sexuel et pour 37% d’ordre non sexuel. Plus de filles que de garçons ont rapporté des conduites abusives non sexuelles (40% versus 21%), il s’agissait très largement de filles « traquées » par leur petit ami pour savoir où elles étaient et avec qui, ce qui semble être la pratique de cyber-harcèlement la plus commune. Cela incluait aussi être victimes de commentaires blessants, agressifs et menaçants et de rumeurs. Parmi les participants, 29% se sont vus demandés des photos dénudées (sexting), là encore, les adolescentes davantage que les adolescents (33% versus 18%).
Fait intéressant : « nous avons montré que les adolescents exposés au cyber harcèlement étaient aussi plus susceptibles d’être victimes d’autres formes de violences physiques et sexuelles dans le cadre de la relation amoureuse » relate Rebecca Dick. Ainsi 69% des participants qui ont rapporté avoir subi un cyber-harcèlement sur des items sexuels ont aussi rapporté des abus d’ordre non sexuel. Mais ils étaient aussi plus susceptibles de rapporter des violences sexuelles autres que celles engendrées par le biais des nouvelles technologies par rapport à ceux qui n’ont pas rapporté de cyber-harcèlement (18,1% vs 6,4%, respectivement; P = 0,01) et étaient aussi plus à même de subir des violences sexuelles de la part d’individus non impliqués dans la relation amoureuse (36% vs 10%, respectivement; P < 0,01).
Les chercheurs ont aussi observé que les filles victimes de cyber harcèlement étaient 2 à 4 fois plus susceptibles de ne pas utiliser de moyens contraceptifs et avaient une propension 3 à 6 fois plus importante à se voir contraindre à ne pas utiliser un mode de contraception que les jeunes filles non exposées.
Cyber-intimidation : en parler, agir
Au final, cette étude montre un taux élevé de cyber-harcèlement dans le cadre de la relation amoureuse chez les ados puisque 41% des interviewés disent en avoir été victimes dans les 3 derniers mois – contre 26% dans l’année dans une population de lycéens tout venant [3]. Pour les auteurs, cela signifie que ce nouveau type de harcèlement ou d’intimidation est fréquent chez les jeunes même s’ils n’excluent pas que ce chiffre puisse avoir été surévalué du fait de la difficulté à discriminer ce qui relève d’une relation amoureuse « normale » d’un comportement « abusif ».
Pour lutter contre les méfaits du cyber-harcèlement, ils incitent à informer la jeunesse sur ce qui relève de telles agressions et offrir aux adolescents les moyens de maitriser l’outil technologique de façon à minimiser les risques. Les professionnels de santé, surtout s’ils sont au contact des jeunes, doivent être conscients de ce type de risque et y penser au cours de leurs interventions.
Quid de la France ? La France n’est malheureusement pas épargnée par ce phénomène : 40% des 13 et 16 ans disent avoir été victime un jour de cyber harcèlement, rapportait une lycéenne dans Le Monde en ce début d’année [5]. Le ministère de l'éducation nationale a d’ailleurs présenté un plan d’action en novembre 2013 [6]. Des informations pour reconnaitre ce nouveau mode d’agression (notamment au sein du couple), ses conséquences et l’attitude à adopter sont développées sur un site Internet du ministère dédié à ce problème [2]. Le ministère de l’Éducation nationale a, par ailleurs, mis en place un partenariat avec l’Association e-Enfance qui propose des interventions pédagogiques après des élèves dans les établissements scolaires. À travers le numéro vert national Net Ecoute (0800 200 000), elle propose des moyens techniques juridiques et psychologiques adaptés à la victime de cyber-harcèlement, à sa famille et au personnel éducatif [2]. |
Les auteurs n’ont pas déclaré de liens d’intérêt. |
REFERENCES :
Dick RN, McCauley HL, Jones KA et al. Cyber Dating Abuse Among Teens Using School-Based Health Centers. Pediatrics 2014;134:e1560–e1567
Ministère de l’éducation nationale. Agir contre le cyber harcèlement à l’école .
Canada : le suicide d'une ado harcelée bouleverse le pays . Le Parisien. 14/10/2012.
Zweig JM, Dank M, Yahner J, Lachman P. The Rate of Cyber Dating Abuse Among Teens and How It Relates to Other Forms of Teen Dating Violence. Journal of Youth and Adolescence, July 2013, Volume 42, Issue 7,pp 1063-1077.
Le cyber harcèlement . Le Monde. 05/02/2014
Peillon lance une campagne contre le harcèlement scolaire . Le Monde. 26/11/2013.
Citer cet article: Stéphanie Lavaud. Adolescents cyber-harcelés par leur amoureux: un canal virtuel vers une violence bien réelle ? - Medscape - 25 nov 2014.
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