Chicago, Etats-Unis – C’est un signal de sécurité, rien de plus, rien de moins : le Pr Martin Thornhill (Université de Sheffield, Royaume-Uni) vient de présenter au congrès de l’American Heart Association 2014 des données suggérant une augmentation des cas d’endocardite infectieuse en Angleterre. Une tendance à la hausse qui survient 5 ans après la décision du National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) de cesser l’antibioprophylaxie chez tous les patients, lors des soins bucco-dentaires (mars 2008) [1]. Ces données sont publiées dans le Lancet [2].
En commentant la présentation, le Pr Dhruv S. Kazi (Université de San Francisco, Etats-Unis) a cependant estimé que « ces données sont inadéquates pour contrebalancer le poids des preuves qui fondent les recommandations actuelles, et ne devraient pas induire de changement dans les pratiques de prescription pour le moment ».
Cette réserve vaut au moins pour les pratiques américaines,basées sur des recommandations AHA de 2007, et les pratiques européennes – hors Royaume-Uni – basées sur des recommandations de l’ESC de 2009. On note au passage que les pratiques françaises avaient, dès 2002, anticipé les recommandations AHA et ESC.
La particularité britannique est en effet de ne recommander pas une antibioprophylaxie, et ce quel que soit le patient, alors que dans le reste de l’Europe et aux Etats-Unis, le traitement est maintenu chez les sujets à haut risque.
Au demeurant, la surveillance mise en place en France après l’arrêt de l’antibioprophylaxie systématique, n’a pas montré d’augmentation d’incidence (mais une augmentation des infections nosocomiales par S. Aureus). Et il en va de même aux Etats-Unis.
Chute des prescriptions d’antibiotiques, remontée des endocardites
Les données britanniques mettent en parallèle la chute de la prescription d’antibiotiques (amoxicilline et clindamycine) en prophylaxie lors de soins bucco-dentaires, depuis 2008, avec une légère augmentation d’incidence des endocardites. Ces données portent sur les périodes 2004-2013 pour les antibiotiques, et 2000-2013 pour les endocardites.
Sans surprise, l’attitude maximaliste du NICE à l’égard des antibiotiques s’est soldée par une chute drastique des prescriptions quasiment divisées par un facteur 5 : 10 900 prescriptions/mois entre janvier 2004 et mars 2008, versus 2236 prescriptions/mois entre avril 2008 et mars 2013 (p<0,0001).
S’agissant des endocardites infectieuses, les données hospitalières indiquent une augmentation de 0,11 cas pour 10 millions d’habitants et par mois par rapport aux projections effectuées à partir de la période 2000-2008 (IC95% [0,05-0,16] ; p<0,0001). Au total, 420 hospitalisations et 18 décès par an seraient imputables aux recommandations de 2008.
Les auteurs soulignent enfin que « cette augmentation de l’incidence des endocardites infectieuse était significative à la fois chez les sujets à haut risque et à moindre risque ». Le message s’adresse manifestement aux pays qui maintiennent la prophylaxie dans le haut risque, mais l’ont supprimée dans le bas risque : selon les données britanniques, même cette attitude médiane pourrait avoir des conséquences.
Des résultats trop faibles en l’état, et qu’il faudrait confirmer
A côté de certaines forces méthodologiques, comme le recours à des bases de données exhaustive ou la simple plausibilité biologique de l’association, l’étude britannique présente malgré tout de réelles faiblesses – trop, selon le Pr Kazi, pour qu’en soit tirée la moindre conséquence dans l’immédiat.
Ont notamment été mentionnés l’absence de contrôle, des ajustements imparfaits entre patients hospitalisés avant ou après 2008, et des projections historiques discutables.
« Avant de revoir les recommandations, il faudrait vérifier l’évolution des hospitalisations pour endocardites par rapport à l’ensemble des hospitalisations, établir des relations temporelles et géographiques [en fonction des différentes recommandations et de leur date d’entrée en vigueur], et enfin disposer d’arguments bactériologiques [sur l’origine bucco-dentaire des souches en cause] ».
De son côté, le Pr Thornhill a conclu que « malgré l’association temporelle, il n’est pas possible de conclure à une relation de cause à effet », et a plaidé en faveur d’un essai randomisé et contrôlé qui, depuis 1955 date des premières recommandations américaines sur l’antibioprophylaxie, n’a jamais été mené.
De son côté, le NICE a cependant fait savoir qu’il allait immédiatement entreprendre un réexamen de ses recommandations.
L’étude a reçu des financements de Heart Research UK, Simplyhealth, du NIH américain. Les conflits d’intérêt des auteurs figurant dans la publication. Le Pr Kazi a déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêt en rapport avec le sujet. |
REFERENCES :
Thornhill MH.The Incidence of Infective Endocarditis in England is Increasing - An Assessment of the Impact of Cessation of Antibiotic Prophylaxis Using Population Statistics. Late-Breaking Clinical Trail 03, congrès de l’American Heart Association. Chicago, 18 novembre 2014.
Dayer MJ, Jones S, Prendergast B et coll. Incidence of infective endocarditis in England, 2000—13: a secular trend, interrupted time-series analysis. Lancet 2014 ; doi:10.1016/S0140-6736(14)62007-9.
Citer cet article: Vincent Bargoin. Un peu plus d’endocardites en Angleterre : la faute à l’arrêt de l’antibioprophylaxie dentaire ? - Medscape - 19 nov 2014.
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