Chicago, Etats-Unis – L’étude DAPT fera date. Présentée au congrès de l’American Heart Association 2014, et publiée simultanément dans le New England Journal of Medicine, l’étude montre que dans une population de patients à faibles risques hémorragique ou thrombotique, une bithérapie de 30 mois par aspirine et clopidogrel ou prasugrel après pose de stent actif, réduit les évènements ischémiques par rapport à la même bithérapie de 12 mois, ceci sans excès de saignements majeurs [1,2].
Cette supériorité de 30 mois versus 12 mois de bithérapie suscite bien des débats. Ces résultats sont en effet non seulement en contradiction avec grosso modo toutes les études antérieures qui avaient permis de positionner à 12 mois la durée de la bithérapie. Mais encore avec les deux autres études ISAR-SAFE et ITALIC, présentées lors de la même session de Late-Breaking Clinical Trial et qui, elles, sont plutôt en faveur d’un raccourcissement de la bithérapie à 6 mois.
De son côté, le Pr Gabriel Steg (Hôpital Bichat, Paris), investigateurs de DAPT, interrogé par Medscape France, reconnait que dans le contexte, les résultats de l’étude « ne sont pas simples à interpréter ». Ils sont néanmoins « parfaitement clairs », ajoute-t-il. « Les résultats de DAPT vont à l’encontre d’un bruit de fond en cardiologie interventionnel, basé sur de nombreuses petites études, et qui tendait à minimiser la durée de la bithérapie ».
ISAR-SAFE et ITALIC ISAR-SAFE est une étude allemande qui comparait une bithérapie (aspirine + clopidogrel) de 6 mois versus 12 mois, et qui conclut à la non infériorité du traitement court. ITALIC est une étude française qui comparait, elle, les durées de 6 et 24 mois, et qui aboutit à la même conclusion que le travail allemand : le traitement court est non inférieur au traitement long. Medscape France reviendra sur ces deux études. |
Concrètement, comment la situation peut-elle évoluer ?
Pour le Pr Steg, « on va revenir à des évaluations beaucoup plus individualisées du rapport risque/bénéfice d’une bithérapie prolongée».
Par ailleurs, s’agissant des recommandations, il faut attendre l’étude PEGASUS , qui teste une bithérapie prolongée versus une monothérapie, et dont les résultats, annoncés pour mars 2015, seront « le prolongement de DAPT ».
Beaucoup moins d’évènements ischémiques pour un peu plus d’hémorragies
L’étude DAPT a initialement enrôlé plus de 25 000 patients en Amérique du Nord, Europe, Australie et Nouvelle-Zélande, dans les 72 heures suivant l’implantation d’un stent nu ou actif approuvé par la FDA.
Seuls les patients implantés avec un stent actif, très majoritaires (n= 22 866), ont été inclus dans l’analyse publiée dans le NEJM.
Durant 12 mois, ces patients ont reçu de l’aspirine (75 à 162 mg/j), complétée par du clopidogrel (75 mg/j) ou du prasugrel (10 mg/j, ou 5 mg/j chez les sujets de moins de 60 kg).
A 12 mois, les patients qui n’avaient été victimes d’aucun évènement cardio ou cérébrovasculaire, n’avaient pas subi une seconde revascularisation, n’avaient fait aucune hémorragie (modérée ou sévère), et enfin s’étaient montré observants du traitement par thiénopyridine (> 80%, sans interruption dépassant 14 jours), ont été randomisés (1:1) entre la poursuite de la bithérapie durant 18 mois supplémentaires (n=5020), ou la poursuite de l’aspirine seule, assortie d’un placebo (n=4941).
Les caractéristiques de cette population étaient les suivantes : 61 ans, 25% de femmes, 9% de sujets non caucasiens, IMC:30,5 kg/m2, 30% de diabétiques. L’angioplastie a été réalisée pour IDM-ST (10,5%), IDM non-ST (15,5%), angor instable (16,7%), angor stable (37,5%), autre (19,6%). Le nombre de lésions traitées était de 1,3 ; le nombre de vaisseaux traités, de 1,1 ; le nombre moyen de stents implantés, de 1,45.
Enfin, les stents actifs implantés étaient pour 11% d’entre eux des stents au sirolimus (Cypher®, Cordis), pour 12,8% des stents au zotarolimus (Endeavor®, Medtronic), pour 27%, des stents au paclitaxel (Taxus®, Boston Scientific), et pour 47% des stents à l’évérolimus (Xience®, Abbott Vascular ; Promus®, Boston Scientific).
Les critères primaires d’évaluation étaient la thrombose de stent, et les évènements majeurs (décès, IDM, AVC) durant la période allant de 12 à 30 mois, les saignements constituants quant à eux le critère de sécurité.
On note au passage que DAPT était dimensionnée pour répondre à la question des thromboses de stent, ce qui n’était pas le cas dans beaucoup d’études préalables.
Evènements (hors hémorragies) observés dans DAPT entre 12 et 30 mois (%)
Aspirine+thiénopyridine (n=5020) |
Aspirine+placebo (n=4941) |
RR ; [IC95%] |
P |
|
Thromboses de stent |
0,4 |
1,4 |
0,29 ; [0,17-0,48] |
<0,001 |
Décès+IDM+AVC |
4,3 |
5,9 |
0,71 ; [0,59-0,85] |
<0,001 |
Décès |
2 |
1,5 |
1,36 ; [1,00-1,85] |
0,05 |
IDM |
2,1 |
4,1 |
0,47 ; [0,37-0,61] |
<0,001 |
AVC |
0,8 |
0,9 |
0,80 ; [0,51-1,25] |
0,32 |
Par ailleurs, en ce qui concerne les saignements, on constate l’excès attendu dans le groupe poursuivant la thiénopyridine (2,5% de saignements modérés à sévère (GUSTO) vs. 1,6% dans le groupe placebo ; p=0,001). Cet excès n’est toutefois pas dû aux saignements sévères (0,8% vs. 0,6% ; p=0,15), mais aux saignements modérés (1,7% vs. 1% ; p=0,004).
« Dans presque tous les sous-groupes de patients, et quel que soit le type de la lésion, la poursuite de la thiénopyridine était associée à une réduction du risque de survenue des deux critères primaires », soulignent les auteurs, en ajoutant que « le risque d’évènement ischémique était cohérent quel que soit le type de stent [actif] et la thiénopyridine utilisée ».
Le Pr Steg souligne toutefois que « le prasugrel a eu un effet un peu plus puissant », avec bien sûr, « un prix à payer en termes d’hémorragies », mais qui « n’est pas inacceptable ».
La réduction des thromboses de stent sous prasugrel 30 mois vs. 12 mois est de 76% vs 67% sous clopidogrel. S’agissant des évènements majeurs les chiffres sont de 48% vs. 20%. Il faut toutefois être prudent avec ces données, qui ne proviennent pas des mêmes pays, selon les habitudes de prescription, et qui ne concernent pas les mêmes patients. |
On note enfin que les infarctus sans thrombose de stent pèsent pour 55% du bénéfice du traitement long. En d’autres termes, le bénéfice d’une bithérapie prolongée semble moins l’évitement des thromboses de stent que la prévention des évènements ischémiques au long cours.
Que signifie la surmortalité non CV observée ?
Tout ceci est parfaitement cohérent. Ce qui l’est moins, c’est la paradoxale surmortalité générale observée sous bithérapie de 30 mois – ceci alors que les mortalités de cause cardiaque, vasculaire ou cérébro-vasculaire sont identiques dans les deux groupes.
« On est très frappé du caractère positif de l’essai », note le Pr Steg, « mais très troublé par l’augmentation de la mortalité non CV. On ne peut pas se permettre de la mettre sous le tapis. »
Les auteurs font l’hypothèse que cet excès de mortalité toutes causes est lié aux décès par cancers (31 vs. 14 ; p=0,02). Le nombre de diagnostics de cancer porté en cours d’étude est identique dans les deux groupes. En revanche, 22 cas de cancers supplémentaires ont été inclus dans le groupe traitement long au moment de la randomisation. « Ce résultat pourrait refléter un déséquilibre dans la randomisation des patients atteints de cancer connu au moment du recrutement », écrivent les auteurs.
Au demeurant, l’exclusion des patients atteints de cancer, en analyse post hoc, fait disparaitre la surmortalité toutes causes dans le groupe bithérapie longue. En outre, les auteurs ont procédé à une méta-analyse (14 études, près de 70 000 patients), montrant que par rapport à l’aspirine seule, ou une bithérapie de 6 mois maximum, une bithérapie longue n’est pas associée à une surmortalité toutes causes [4].
Le Pr Steg rappelle que « dans des études comme CHARISMA , on n’a pas trouvé d’excès de mortalité non CV ». Reste que pour DAPT, « on n’a pas encore trouvé d’explication claire à ce résultat qui contredit tous les autres ».
De là, d’ailleurs, une prudence qui s’impose malgré tout.
Un autre résultat intéressant de DAPT est en effet l’augmentation des évènements ischémiques constatée durant les 3 mois suivant l’arrêt de la bithérapie. Le point important est que ce rebond des infarctus est observé pour les deux durées de traitement par thiénopyridine : 12 ou 30 mois. En d’autres termes, à 30 mois, la thiénopyridine sert encore à quelque chose.
Faut-il en conclure que la notion de traitement à vie se profile, comme la rumeur semble avoir couru au congrès de l’AHA ? Pour le Pr Steg, un traitement à vie est simplement une hypothèse « délirante », surtout quand la question de cette paradoxale surmortalité non CV n’a pas encore reçu de réponse satisfaisante.
Les auteurs relèvent cependant qu’une « évaluation d’un traitement par thiénopyridine visant à réduire le risque d’évènements CV au-delà de la durée de DAPT, pourrait être pertinente ».
Un risque individuel à apprécier
En pratique, il semble exclu de réintroduire une bithérapie chez un patient qui l’a déjà cessée, et qui a passé « le stress test » de l’interruption, selon l’expression du Pr Steg.
Mais « chez un patient encore sous bithérapie, on aura naturellement tendance à prolonger celle-ci », en particulier s’il existe des paramètres comme un stent Taxus®, associé à davantage de thromboses de stent que les nouvelles générations, y compris au long cours ».
« Si le patient est très demandeur d’un arrêt du traitement, en l’absence de facteur de risque particulier, l’interruption doit être envisagée. Mais en cas de risque thrombotique élevé, la prolongation se justifie. La décision ressortira de discussions avec le patient ».
Ceci, en attendant PEGASUS. « Si les résultats sont positifs, ils ouvriront la voie à un allongement de la bithérapie dans les recommandations. S’ils sont négatifs ou nuls, il est probable qu’on en restera à 12 mois, avec une prolongation sélective ».
L’étude a reçu des financements d’Abbott, Boston Scientific, Cordis, Medtronic, Bristol-Myers Squibb–Sanofi, Eli Lilly, et Daiichi Sankyo, ainsi que par le Department of Health and Human Services. Les déclarations d’intérêt des auteurs figurent dans la publication. Le Pr Steg déclare des dotations de recherche « significatives » de Sanofi, Servier, des honoraires « significatifs » d’Astra-Zeneca, Sanofi, Servier, la détention d’intérêts « significatifs » dans Aterovax, des honoraires « modestes » de Amarin, Bayer, Bristol Myers Squibb, Daiichi Sankyo, GlaxoSmithKline, Lilly, Merck, Pfizer, The Medicines Company, Vivus, et des activités « modestes » de consultant pour Novartis et Otsuka. |
REFERENCES:
Mauri L. Risk and Benefit of Prolonged Dual Antiplatelet Therapy After Drug-eluting Coronary Stents: Primary Endpoint Results from the Dual Antiplatelet Therapy Study. Congrès d el’American Heart Association. LBCT 1. Dimanche 16 novembre 2014.
Mauri L, Kereiakes DJ, Yeh RW et coll. Twelve or 30 Months of Dual Antiplatelet Therapy after Drug-Eluting Stents. N Engl J Med 2014 ; DOI: 10.1056/NEJMoa1409312.
Elmariah S, Mauri L, Doros G et coll. Extended duration dual antiplatelet therapy and mortality : a systematic review and meta-analysis. Lancet 2014 ; DOI:10.1016/S0140-6736(14)62052-3.
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TRILOGY : plus forte inhibition plaquettaire ne rime pas avec réduction des risques
Citer cet article: Vincent Bargoin. Bithérapie antiplaquettaire après stenting : DAPT prône le rallongement à 30 mois - Medscape - 18 nov 2014.
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