Nice, France – La détection des cellules tumorales circulantes pourrait avoir un intérêt non seulement pronostique, mais aussi diagnostique. Une équipe de Nice publie en effet dans la revue PLoS One des résultats d’un test de détection précoce du cancer du poumon qui, chez des patients à haut risque tumoral, pourrait avancer le diagnostic de plusieurs années par rapport à l’imagerie [1].
Une précision importante, que soulignent les auteurs, est que les résultats actuels suggèrent l’efficacité du test chez les sujets atteints de BPCO : on n’en est pas à dépister le cancer du poumon chez des sujets tout venant, fussent-ils fumeurs, ni à se passer des biopsies classiques. Par ailleurs, les auteurs soulignent également l’importance que leurs résultats soient confirmés par d’autres équipes.
Ces réserves faites, avec 30 000 décès par an et 40 000 nouveaux cas diagnostiqués, des femmes de plus en plus touchées, et une pollution qui, même si l’on réussissait à faire baisser sérieusement le tabagisme, est là pour prendre le relai, la perspective d’un diagnostic plus précoce est d’un réel intérêt en santé publique.
Le tamis du chercheur de pépites
Le principe consiste à isoler et caractériser les cellules tumorales circulantes (CTC).
Le test lui-même, appelé ISET® (Isolation by SizE of Tumor cells) est simple dans son principe : il s’agit d’une filtration sur une membrane servant de tamis, avec une maille de 8 microns.
Les lymphocytes sont les plus petites cellules de l’organisme, et ne sont pas retenus sur le dispositif. Les cellules de plus grande taille, potentiellement des CTC, sont, elles, retenues par la membrane, et, une fois isolées, peuvent faire l’objet de toutes les analyses habituelles, morphologiques, cytologiques, immunologiques. L’originalité de ce mode d’isolement est qu’il laisse les cellules intactes. Elles peuvent même être mises en culture, pour déterminer par exemple la susceptibilité à un anti-tumoral.
S’agissant des CTC, chez un patient porteur d’une tumeur, la présence de ces cellules dans la circulation est clairement corrélée à un mauvais pronostic. Chez l’animal, on sait toutefois que l’apparition de CTC précède, parfois de longtemps, le développement d’une tumeur détectable à l’imagerie – d’où le nom qui leur est parfois donné de « cellules sentinelles ». Le travail publié dans PLoS est en fait une confirmation de cette notion chez l’homme.
« Il est estimé qu’environ 1 million cellules tumorales entrent chaque jour dans la circulation par gramme de tissu tumoral dans l’organisme », précisent les auteurs, qui indiquent également que la migration des CTC dans la circulation commencerait pour de tumeurs de moins de 1 mm.
Pour fixer les idées, chez les cinq sujets chez lesquels des CTC ont été détectées avant diagnostic au CT-scan thoracique, le nombre de cellules isolées, dans des prélèvements sanguins de 10 ml, va de 19 à 67.
Le test ISET® est développé par Rarecells Diagnostics , société fondée en 2009 par Patrizia Paterlini Bréchot, en lien avec l’Inserm, l’Université Paris-Descartes et l’AP-HP, pour développer ce procédé breveté. Comme Professeur (biologie cellulaire et oncologie) à l’Université Paris Descartes, et chercheuse Inserm, Patrizia Paterlini Bréchot avait auparavant publié sur la détection des CTC dans d’autres affections que le cancer, notamment l’amyotrophie spinale et la mucoviscidose. Le site de Rarecells Diagnostic précise d’ailleurs qu’un « test ISET analogue a également été développé pour l’isolement des cellules fœtales du sang maternel pour remplacer l’amniocentèse par un test génétique non invasif de la trisomie 21, la mucoviscidose et d’autres maladies génétiques ». Enfin, s’agissant du cancer, il est précisé que « ISET permet l’isolement des CTC intactes, sans sélection immunologique préalable, dans tous les types de cancer, sauf les leucémie lymphoïdes chroniques ». |
Les possibilités du test dans le cancer du poumon ont été évaluées chez 245 sujets, initialement indemnes de tumeur, suivis à l’hôpital Pasteur de Nice. Parmi ces sujets, 168 (68,6%) étaient atteints de BPCO (69 ans, 62% d’hommes). Parmi les 77 sujets restants, on compte 42 fumeurs.
La recherche de CTC dans cette population s’est révélée positive chez 5 des patients atteints de BPCO, soit 3% de ce sous-groupe. Les auteurs relèvent une corrélation positive entre présence de CTC et sévérité de la BPCO (en revanche, il n’existait pas de corrélation avec l’ancienneté du diagnostic de BPCO).
La surveillance annuelle, par CT-scan, a permis dans des intervalles allant de 1 à 4 ans plus tard, de diagnostiquer effectivement des nodules chez ces cinq patients.
Ces nodules, d’une taille moyenne de 1,7 mm ont naturellement été rapidement opérés (tous au stade IA). Il s’agissait d’adénocarcinomes invasifs dans quatre cas, et d’un carcinome à cellules squameuses dans le cinquième cas.
On note par ailleurs que les phénotypes de ces tumeurs correspondaient aux marqueurs épithéliaux et mésenchymateux des CTC caractérisées chez chacun des patients. Ces CTC étaient donc bien, déjà, les cellules des tumeurs qui allaient devenir visibles 1 à 4 ans plus tard.
Aujourd’hui, avec un recul de 16 mois depuis les chirurgies, les cinq patients sont indemnes de récidive, à la fois au scanner et au niveau des CTC recherchées par ISET®.
Hormis ces cinq sujets, des cellules circulantes portant des anomalies bénignes ont été détectées chez trois sujets, eux-aussi atteints de BPCO. Toutefois, aucun de ces trois sujets n’a développé de tumeur au cours d’un suivi moyen de 48 mois. De même les autres sujets inclus dans l’étude, atteints de BPCO ou non.
Le test s’adresse à priori aux patients à haut risque
« Malgré le fait que nombre de modèles et d’études chez l’animal aient suggéré que la présence de CTC dans le sang d’un patient est un évènement précoce dans le développement d’un cancer, cette étude est la première à montrer que des CTC peuvent être détectées en l’absence d’un nodule cancéreux visible au scanner, et pourraient être un marqueur du développement d’un cancer invasif », indiquent les auteurs dans la discussion du papier.
Ils insistent par ailleurs sur le fait que des CTC ont été caractérisées chez des patients « à risque de développer un cancer du poumon ». La BPCO est en effet « considérée comme un état pré-néoplasique, et chaque année, selon les estimations, 2,2% des patients atteints de BPCO développeraient un cancer du poumon ».
La discussion du papier de PLoS apprend également qu’à ce jour, quelques 620 sujets non atteints de cancer, ont été étudiés par ISET®, sans que des CTC soient retrouvées. En l’état actuel des résultats, c’est donc chez des sujets à haut risque de cancer du poumon que le test pourrait présenter un intérêt. Reste, naturellement, à définir ce qu’est ce haut risque, en dehors du cas de la BPCO.
Reste aussi, dans un premier temps, à « mener des études plus importantes, pour valider de manière indépendante la détection des CTC comme un outil fiable, justifiant une surveillance ciblée et intensive par CT-scan pour porter un diagnostic précoce de cancer du poumon chez les patients à risque ».
L’étude a bénéficié d’un financement du Cancéropôle PACA, et de l’Association Régionale Assistance Respiratoire à Domicile (ARARD) d’Aubagne. Les auteurs déclarent n’avoir pas de conflit d’intérêt en rapport avec le sujet. |
REFERENCE :
1. Ilie M, Hofman V, Long-Mira E, Selva E, Vignaud J-M, et al. (2014 ) “Sentinel” Circulating Tumor Cells Allow Early Diagnosis of Lung Cancer in Patients with Chronic Obstructive Pulmonary Disease . PLoS ONE 9(10): e111597. doi:10.1371/journal.pone.0111597.
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Citer cet article: Vincent Bargoin. Cancer du poumon : un test français détecte les cellules cancéreuses avant l’imagerie - Medscape - 4 nov 2014.
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