Paris, France – Revenue sur le devant de la scène ces dernières années, l’hypnose continue à intriguer, voire à fasciner. Pourtant, les apports de l’imagerie cérébrale dévoilent peu à peu les bases neurophysiologiques fonctionnelles de ce que l’on a longtemps considéré comme un « état de conscience modifié ». Au-delà de son côté spectaculaire, cette méthode a des indications thérapeutiques certaines, comme la douleur ou l’anxiété, qui méritent d’être connues par le corps médical.
D’où la session consacrée à l’hypnose et à l’hypnothérapie lors des Entretiens de Bichat 2014 . En introduction, le Pr Marcel Chatel, neuropsychiatre, ancien Chef du Service de Neurologie du CHU de Nice, a posé quelques repères historiques et scientifiques de l’hypnose médicale.
Hypnose : un état modifié de conscience ?
Mais d’abord, qu’est-ce que l’hypnose ? Est-ce un état modifié de conscience (comme le sommeil ou le rêve) ou bien est-ce une réponse interactive à un environnement (motivation, imagination, suggestion) ?
« Le débat autour de cette question a longtemps été actif et il le reste, explique le Pr Chatel. Néanmoins, les nouvelles technologies, notamment d’imagerie médicale et d’activation, montrent que l’on se situe davantage dans le domaine d’une fonction cérébrale à proprement parlé plutôt que dans un phénomène purement relationnel. Autrement dit, l’influence relationnelle mise en jeu dans l’hypnose passe par une modification réelle de la physiologie cérébrale. On peut le mettre en évidence, d’une part, grâce à des expériences basées sur l’imagerie, et d’autre part, grâce à des protocoles instrumentaux qui vont dans la finesse de l’analyse des fonctions cognitives. »
Neurosciences : quels apports ?
A partir de 1999, des expériences d’imagerie du Dr Marie-Elisabeth Faymonville (CHU de liège, Belgique) en Belgique et du stomatologue Pierre Rainville au Canada (institut neurologique, Montréal) viennent étayer cette thèse en dévoilant partiellement le mode d’action de l’hypnose sur le cerveau. Grâce à l’utilisation de la tomographie d’émission de position (TEP), on montre que le fait d’évoquer un souvenir autobiographique, selon que l’on se le remémore, ou qu’il est induit par la suggestion en hypnose, active des aires cérébrales différentes. « Dans le cas de l’évocation d’un souvenir comme nous le connaissons tous, ce sont les aires cérébrales de la mémoire qui s’animent. En revanche, sous hypnose, il y a ré-expérience du souvenir, et ce sont d’autres zones du cerveau, en particulier occipitales, pariétales et frontales qui s’activent. Dans ce dernier cas, il y a ré-expérimentation, ré-appropriation et re-vécu du processus, avec toute sa composante émotionnelle » précise le Pr Chatel.
Sur l’hypnose Le philosophe et hypnothérapeute François Roustang a écrit : «l’hypnose consiste à ne plus vouloir, à ne plus penser, à entrer dans la plus totale passivité, à mettre en suspend toute recherche de compréhension ; formidable attente : renoncer au contrôle de la conscience pour laisser advenir l’inédit» «Il suffit d’attendre» [2]. |
Comment agit la « suggestion » ?
« L’hypnose a une action très profonde sur le système nerveux, elle passe par des modifications réelles de la physiologie cérébrale » affirme le Pr Chatel. Des protocoles expérimentaux ont confirmé que la suggestion sous hypnose modifie les performances des fonctions cognitives en imagerie IRM : modifications de la perception douloureuse ; désautomatisation de lecture des mots dans le test de Stroop ; inductions de paralysies post-hypnotiques. « Charcot avait raison, s’enthousiasme le neuropsychiatre. Les tableaux de conversion « hystériques » ou somatoformes sont bien d’origine fonctionnelle. Avoir eu cette intuition et l’avoir mis en évidence sous hypnose était véritablement génial. »
Le test de Stroop Un exemple de traitement automatique qui est largement utilisé pour expliquer le fonctionnement de l’hypnose est la tâche de Stroop. Dans ce test, le nom des couleurs est présenté aux sujets dans différentes couleurs d’encre. Les participants doivent nommer la couleur de l’encre du mot écrit (quel que soit le sens du mot écrit). Pour effectuer la tâche, les sujets doivent sélectionner l’information pertinente (la couleur de l’encre) et réprimer l’information non pertinente (le sens du mot). Cette tâche met en évidence l’automaticité de la lecture. Malgré l’instruction explicite de ne faire attention qu’à la couleur de l’encre, un lecteur compétent ne peut pas s’empêcher de lire le mot ou de mettre plus de temps à lire car il doit faire abstraction du sens. Sous l’effet de la suggestion hypnotique avec la consigne de délaisser le traitement sémantique du mot, la lecture devient alors simple et rapide. L’induction et la suggestion post-hypnotique réduisent l’effet Stroop. Il se produit une «désautomatisation», explique le Pr Chatel, objectivable en imagerie fonctionnelle. Des résultats qui illustrent l’importance de la suggestion puisque, dans ce cas, les activités cérébrales sont dépendantes de la suggestion hypnotique utilisée. |
Sommes-nous tous hypnotisables ?
« Oui, nous le sommes tous, mais pas de la même façon, module le Pr Chatel. L’hypnotisabilité suit en effet une courbe gaussienne. A une extrémité, figurent les sujets qui entrent très facilement en hypnose «hypnotic virtuoso» et, de l’autre, les sujets « résistants » pour qui il faudra plus de temps pour induire la «transe», sans que la résistance absolue n’existe. Le reste de la population suit une distribution normale. Fait remarquable, ce caractère est constitutionnel et repose sur des bases génétiques établies d’abord par des études de jumeaux homozygotes, puis dans le cadre du Human Genome Projet, par l’étude des polymorphismes de plusieurs gènes qui ont été corrélées au degré de suggestibilité. Celle-ci est évaluée par des échelles utilisées en hypnose expérimentale depuis les années 50 qui permettent de quantifier l’hypnotisabilité sur la base des réponses aux suggestions. »
La composante relationnelle est-elle déterminante ?
En hypnose médicale, « l’alliance thérapeutique est essentielle » rappelle le Pr Chatel. Cette relation ne relève ni de la relation d’autorité, ni du « transfert », ni du « contre-transfert » comme dans les thérapies conventionnelles. La modalité particulière de l’alliance thérapeutique en hypnose est fondée sur le lâcher prise, un abandon par le patient de ses contrôles cognitifs décisionnels sur lui-même pour simplement vivre l’expérience suggérée. « Le patient doit s’ouvrir sur lui-même, sur les espaces qu’il se découvre en lui-même et ce sont sur ces espaces que va se faire le travail hypnotique ».
Dans quelles indications thérapeutiques ?
Les deux grands champs de l’hypnose médicale sont, d’une part,l’hypnoanalgésie et l’hypnosédation, et d’autre part, l’hypnothérapie. Chaque domaine relevant de modalités de prise en charge spécifiques. Dans le domaine de l’hypnothérapie, c’est la technique ériksonnienne qui prévaut, dans le cadre de protocoles courts, sur-mesure, relevant des thérapies brèves (5 à 10 séances). Elle s’adresse à tout ce qui relève d’un dysfonctionnement corps/esprit : troubles anxieux phobiques, stress post-traumatique, les douleurs chroniques, les addictions, les états névrotiques (angoisse et phobies, conduites obsessionnelles compulsives, dépression et inhibition névrotique), etc…
Mesmer, Charcot et Erickson : une suite de « premières » L’hypnose prend ses racines dans le magnétisme animal, découvert par un médecin viennois Anton Mesmer (1733-1815) à la fin du XVIIIème siècle en Autriche. C’est le premier, avant que le terme de « psychothérapie » ne soit créé, à utiliser le rôle thérapeutique du contexte relationnel, de la parole et de la suggestion. L’année 1829 marque, quant à elle, la première expérience d’analgésie/anesthésie chirurgicale. Il s’agit d’une mastectomie. Réalisée « sous sommeil magnétique » par Jules Germain Cloquet, elle est rapportée comme totalement indolore. La première méthode de psychopathologie expérimentale revient à Jean-Martin Charcot (1870-1880) qui fit de l’hypnose un outil expérimental pour comprendre les mécanismes de de conversion hystérique, somatoformes. S’en suivront des premières en neuropsychologies (1890-1910) avec Pierre Janet qui crée le concept d’inconscient, Freud celui de transfert, pendant que Liébault et Hippolyte Bernheim impute à l’hypnose la fonction de suggestion. En France, le XXème siècle sera marqué par le courant psychanalytique et le désintérêt, voire le rejet de l’hypnose, tandis qu’aux Etats-Unis, des nouvelles approches se développent dont celle purement clinique développée par un psychiatre « hors du commun », Milton Erickson (1901-1979). Aux Etats-Unis, l’hypnose médicale est acceptée et intégrée par les sociétés savantes, alors qu’en France le lien entre hypnose et médecine sera maintenu à l’arrière-plan. |
Le Pr Chatel a déclaré n’avoir aucun lien d’intérêt. Crédit photo : André Brouillet, Une leçon clinique à la Salpêtrière, 1887. |
REFERENCES :
1. Chatel M. Hypnose et hypnothérapie : point de vue actuel et indications médicales. Les Entretiens de Bichat. Vendredi 26 septembre 2014.
2. Roustang F, Qu’est-ce que l’hypnose ? Minuit, 1994 (ISBN 2707314927)
Citer cet article: Stéphanie Lavaud. Introduction à l’hypnose thérapeutique - Medscape - 9 oct 2014.
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