Boston, Etats-Unis – Diabète et insuffisance cardiaque sont des pathologies souvent coexistantes et pourtant peu d’essais prospectifs se sont intéressés à la survenue d’une insuffisance cardiaque chez le diabétique. Ce critère pré-spécifié secondaire était inclus dans l’étude SAVOR-TIMI 53 (Saxagliptin Assessment of Vascular Outcomes Recorded in Patients with Diabetes Mellitus-Thrombolysis in Myocardial Infarction), présentée au congrès de l’ESC 2013 et publiée dansle New England Journal of Medicine [1].
SAVOR-TIMI 53 qui évaluait la sécurité cardiovasculaire de la saxagliptine (Onglyza®, Bristol-Myers Squibb/AstraZeneca) a conclu à l’innocuité de cet antidiabétique sur le critère primaire de jugement comportant les décès cardiovasculaire, les infarctus (IDM) et les AVC. Mais le critère secondaire portant sur les hospitalisations pour insuffisance cardiaque s’est avéré significativement majoré sous saxaglitine : 3,5% (n=289) versus 2,8% (228) sous placebo (HR : 1,27), à l’issue des 2,1 ans de suivi en moyenne.
D’où l’analyse complémentaire des cas d’insuffisance cardiaque survenus sous saxagliptine, réalisée par les investigateurs de l’étude et publiée dans Circulation [2].
L’insuffisance cardiaque oubliée comparativement aux infarctus La distribution des critères primaires et secondaires dans SAVOR n’est pas insignifiante : elle reflète les préoccupations de la FDA, qui certes, s’intéresse maintenant à la sécurité CV des antidiabétiques, mais beaucoup plus aux IDM qu’à l’IC. L’innocuité quant aux IDM doit obligatoirement être démontrée ; vis-à-vis de l’IC, la démonstration n’est que recommandée. En ce sens d’ailleurs, Bristol-Myers Squibb et Astra ont fait preuve de compliance en l’incluant dans SAVOR. Nombre d’autres études ne s’intéressent pas à l’IC et ne l’ont pas pré-spécifié comme critère. D’une manière générale, d’ailleurs, tous les diabétologues qui s’intéressent à la cardiologie, et tous les cardiologues qui s’intéressent à la diabétologie, déplorent que la sécurité des antidiabétiques dans l’IC soit grosso modo terrae incognitae. |
Les investigateurs se sont intéressés aux caractéristiques des patients de SAVOR qui ont été hospitalisés pour insuffisance cardiaque, au délai de survenue de la décompensation par rapport au début du traitement, au risque de récurrence et au lien entre le taux de BNP à l’inclusion et le risque d’hospitalisation pour IC.
Un risque limité à un an
Les facteurs de risque de décompensation cardiaque les plus importants retenus par les investigateurs sont l’existence d’un antécédent d’insuffisance cardiaque et d’une insuffisance rénale avec eGFR< 60 ml/mn. Le risque augmente de manière linéaire selon l’existence de 0, 1 ou 2 de ces facteurs de risque.
Concernant la question du délai avant hospitalisation, les auteurs constatent que le sur-risque existe durant les 12 mois premiers de traitement. L’écart entre le groupe saxagliptine et placebo est à son maximum à 12 mois (1,9% vs.1,3% ; RR : 1,46 ; [1,15-1,88] ; p=0,002) et il disparait après 12 mois.
En revanche, chez les quelques 2000 sujets insuffisants cardiaques à l’inclusion, le risque d’hospitalisation n’apparait pas significativement augmenté par la saxagliptine (11,7% vs. 10,2% ; RR=1,21 ; p=0,15). De même, l’âge, ne sort pas comme paramètre.
Pour les 12 301 patients disposant d’une mesure du taux de NT-proBNP à l’inclusion (sur un total de 16.492 patients) ; les investigateurs ont constaté l’existence d’une majoration linéaire du risque en fonction du taux de BNP initial, le quartile le plus élevé (4ème) étant le facteur de risque le plus fort de décompensation cardiaque dans leur modèle clinique multivarié.
Au final, tous les patients qui ont été hospitalisés pour insuffisance cardiaque étaient à haut risque de décompensation (antécédent d’insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, BNP élevé).
« Bien qu’inattendue, l’augmentation du risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque observé avec la saxagliptine est probablement réelle, vu le nombre important d’évènements, la pré-spécification des hospitalisations pour insuffisance cardiaque, et une adjudication centralisée et à l’aveugle », écrivent les auteurs.
Le sur-risque absolu est faible : une hospitalisation pour insuffisance cardiaque provoquée pour 133 patients traités. La fenêtre de risque serait par ailleurs limitée à un an. Il est donc difficile de tirer des conclusions pratiques.
Comparaison avec le surrisque d’IC sous glitazone Pour fixer les idées, une étude cas-contrôle rétrospective canadienne, menée chez plus de 150 000 diabétiques de plus de 65 ans, rapportait en 2007 une augmentation de 60% des visites aux urgences ou hospitalisations pour IC congestive [3]. Les situations ne sont cependant absolument pas comparables, puisque la même étude canadienne rapportait en outre des augmentations du risque d’IDM et de décès CV de 40% et 29% respectivement, qui, elles, ne sont pas constatées dans SAVOR. |
Après mise en ligne par Circulation, l’étude a été présentée de nouveau par le Dr Itamar Raz (Hôpital Hadassah, Jérusalem) au congrès de l’European Association for the Study of Diabete s (EASD) , où elle a bien sûr fait l’objet d’un certain nombre de commentaires : aucun diabétologue n’est allé plus loin que le classique conseil de prudence avec la saxagliptine chez les insuffisants cardiaques, en particulier en cas d’insuffisance rénale ou de BNP élevé.
« L’étude SAVOR-TIMI 53 a inclus des patients avec une longue durée du diabète, certains avec une HbA1c très élevée, et recevant des traitements très divers. En examinant les patients qui n’ont pas une histoire évidente d’IC, l’augmentation du risque d’hospitalisation pour IC est très, très mineur. Par conséquent, chez des patients âgés, porteurs de nombreuses comorbidités, le traitement est sûr », a estimé le Dr Raz en réponse à un intervenant.
S’agissant spécifiquement de patients insuffisants cardiaques, le Dr Raz a néanmoins ajouté qu’il s’agit « des patients chez lesquels on doit être prudent ».
Pour le Dr Darren McGuirre (Université du Texas), cardiologue et autre investigateur de SAVOR-TIMI 53, « savoir quoi faire de ce signal est un véritable défi ».
Pour sa part cependant, compte-tenu des alternatives, il continuerait, même chez un insuffisant cardiaque, à utiliser la saxagliptine pour « ses avantages : monoprise quotidienne, risque d’hypoglycémie très faible [contrairement à l’insuline ou aux sulfonylurées], absence de prise de poids ».
Il faudrait néanmoins « expliquer au patient de faire très attention aux signes d’IC, pour interrompre le traitement bien avant l’hospitalisation ».
Et le Dr Mc Guire d’ajouter que « chez des patients en IC avancée (NYHA IIIb ou IV), en particulier en cas d’insuffisance rénale, je ne l’utiliserais pas ».
Un effet classe ?
Naturellement, tout le monde y pense. L’une des difficultés d’interprétation des observations épidémiologiques, est que l’on ne dispose d’aucun mécanisme vraisemblable pour rendre compte d’une augmentation des IC sous inhibiteur de la dipeptidyl peptidase 4 (DPP-4). La seule piste est celle de récepteurs au glucagon-like-peptide-1 (GLP-1), peptide dégradé par la DPP-4, qui ont été signalés au niveau du myocarde. Elle reste assez vague.
Précisons qu’avec la saxagliptine, il n’a jamais été rapporté de prise de poids ou de rétention d’eau dans les essais de phase II et III.
Quel que soit le mécanisme, toutefois, l’effet classe est une hypothèse que l’on ne peut exclure. Le problème est que, s’agissant de l’IC, on en sait encore moins sur les autres gliptines.
Les deux résultats dont on dispose sont les suivants.
Premièrement, dans l’essai VIVIDD (Vildagliptin in Ventricular Dysfunction Diabetes), mené avec la vidagliptine (Galvus®, Novartis) chez des insuffisants cardiaques, aucune diminution de la FEVG n’a été constatée par rapport au placebo. En revanche, une augmentation des volumes VG en fin de diastole et en fin de systole a été observée chez les patients effectivement traités. On en connait mal la signification.
Deuxièmement, dans l’étude EXAMINE (Examination of Cardiovascular Outcomes with Alogliptin versus Standard of Care in Patients with Type 2 Diabetes Mellitus and Acute Coronary Syndrome), menée, elle, avec l'alogliptine (Nesina®, Furiex/Takeda), aucun signal de sécurité n’a été observé concernant l’IC.
Ce résultat pose cependant un double problème. D’une part, les hospitalisations pour IC n’étaient pas un critère préspécifié d’EXAMINE. D’autre part, l’analyse n’a finalement été menée que sur quelques 800 insuffisants cardiaques chroniques inclus dans l’étude, après exclusion des patients ayant développé une IC près un IDM.
Mais d’autres grands essais sont attendus.
L’étude SAVOR-TIMI 53 a été financée par Bristol-Myers Squibb et Astra Zeneca. Le Dr Raz a déclaré des relations d’intérêt avec Novo Nordisk, Bristol-Myers Squibb, Astra Zeneca, MSD, Eli Lilly, Johnson & Johnson et Roche. Le Dr McGuire a déclaré des relations d’intérêt avec GlaxoSmithKline, Takeda, Novo Nordisk, Janssen, Eli Lilly, Bristol-Myers Squibb, Astra Zeneca, Boehringer Ingelheim, Merck, Regeneron, Lexicon, Genentech, et Hoffmann-LaRoche. |
REFERENCE:
1. Scirica BM, Bhatt DL, Braunwald E, et al. Saxagliptin and cardiovascular outcomes in patients with type 2 diabetes mellitus. N Engl J Med 2013; DOI:10.1056/NEJMoa1307684. Available here.
2. Scirica BM, Braunwald E, Raz I et coll. Heart Failure, Saxagliptin and Diabetes Mellitus: Observations from the SAVOR - TIMI 53 Randomized Trial . Circulation 2014 : doi: 10.1161/CIRCULATIONAHA.114.010389
3. Lipscombe LL, Gomes T, Lévesque LE, et coll.Thiazolidinediones and Cardiovascular Outcomes in Older Patients With Diabetes. JAMA. 2007;298(22):2634-2643.
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Citer cet article: Vincent Bargoin. Survenues d’insuffisances cardiaques sous saxagliptine : analyse de SAVOR-TIMI - Medscape - 2 oct 2014.
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