Dépistage du cancer du col par test urinaire : attention aux effets d’annonce

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

30 septembre 2014

Londres, Royaume-Uni, Madrid, Espagne— Une méta-analyse récente a montré qu’il était possible de détecter de façon relativement fiable les HPV oncogènes directement dans les urines.

La sensibilité de ces tests urinaires pour les papillomavirus 16 et 18, responsables d’environ 70% des cas de cancer du col, est décrite, par les auteurs, comme « modérée » pour la détection des cas positifs (73%) et « élevée » pour repérer les cas négatifs (98%).

Les résultats sont publiés dans le British Medical Journal [1].

Adieu donc les prélèvements invasifs au niveau cervical pour détecter la présence d’éventuelles lésions précancéreuses ?

Pour les auteurs de la publication, ces tests urinaires non-invasifs pourraient devenir « une alternative acceptable » pour les femmes boudant les tests invasifs au niveau du col de l’utérus /ou ne réalisant pas de dépistage individuel régulier auprès de leur médecin.

 
Est-ce que la détection des HPV oncogènes dans les urines est corrélée à la présence de lésions cancéreuses et pré-cancéreuses ? Pour l’instant, nous n’en savons rien – Dr Isabelle Heard
 

Mais, cette conclusion est à prendre avec des pincettes.

Interrogée par Medscape France, le Dr Isabelle Heard (gynécologue-obstétricienne, Centre national de référence pour les papillomavirus, Institut Pasteur, Paris) note que « le test HPV sur échantillon urinaire a quelque chose de très séduisant pour tout le monde de par son côté pratique. » Mais, qu’il existe encore une limite majeure. « Est-ce que la détection des HPV oncogènes dans les urines est corrélée à la présence de lésions cancéreuses et pré-cancéreuses ? Pour l’instant, nous n’en savons rien. Il est dommage que ce point n’ait pas été étudié dans ce travail », souligne la spécialiste du HPV.

En France, la participation au dépistage du cancer du col n’est que de l’ordre de 60% et au Royaume-Uni (où le dépistage est organisé), elle est passée en dessous des 80%, selon les auteurs. Les tests d’auto-prélèvements, non-invasifs, pour la recherche d’HPV qu’ils soient urinaires ou vaginaux sont donc des pistes particulièrement intéressantes.

Cependant, « il est primordial d’évaluer leurs performances cliniques », précise Isabelle Heard.

« Si les auto-prélèvements vaginaux ont montré qu’ils étaient de bons marqueurs des lésions au niveau du col, les auto-tests urinaires n’en ont pas encore fait la preuve. Pour l’instant, nous savons juste qu’il est possible de détecter des HPV oncogènes dans les urines. Or, il est très fréquent, pour une femme, d’avoir des HPV dans le méat urinaire, cela ne signifie pas nécessairement qu’elle est à risque de cancer du col de l’utérus », précise la chercheuse.

Tests urinaires : près d’un quart de faux négatifs et 12% de faux positifs

Dans leur nouvelle étude, les chercheurs londoniens et espagnols ont analysé les résultats de 14 études colligeant les données de 1443 femmes sexuellement actives pour déterminer la sensibilité et la spécificité des tests de détection de l’ADN viral (principalement par PCR) à partir d’échantillons urinaires comparés aux dosages à partir d’échantillons cervicaux.

Comparés aux tests HPV cervicaux, les tests urinaires avaient, globalement, une sensibilité de 87% (IC 95%, de 78% à 92%) et une spécificité de 94% (IC, 95% de 82% à 98%).

Pour la détection des HPV à haut risque, les tests urinaires avaient une sensibilité de 77% (IC 95%, 68% à 84%). La présence de ces HPV oncogènes est donc passée inaperçue chez près d’un quart des patientes. En outre, la spécificité était de 88% (IC 95%, 58% à 97%), soit 12% de faux positifs.

Le dosage des HPV de type 16 et 18 avait, eux, une sensibilité de 73% (IC 95%, de 56% à 86%) et une spécificité de 98% (IC 95%, de 91% à 100%) comparés au test HPV ADN cervicaux.

Des résultats variables en raison des conditions de prélèvement et de méthodes de détection différentes

En revanche, ils soulignent que leurs données doivent être interprétées avec prudence en raison des variations de résultats entre les différentes études.

A titre d’exemple, pour la détection des HPV à haut risque, les sensibilités variaient d’une étude à l’autre de 50% à 98% et les spécificités de 17% à 99%. Pour les HPV 16 et 18, les sensibilités variaient de 23% à 97% et les spécificités de 56% à 99%.

Ces variations s‘expliquent par des modes de collectes urinaires et des températures de stockage différents et en raison de méthodes de détection variables.

Les auteurs notent que la fiabilité des tests était 22 fois meilleure lorsque les dosages étaient réalisés sur le premier jet d’urine, probablement parce qu’ils contiennent des concentrations plus élevées d’ADN (p=0,004).

Ils recommandent, par ailleurs, « de standardiser les méthodes des tests dans l’objectif de minimiser des écarts avant d’intégrer la détection urinaire des HPV dans les recommandations de dépistage du cancer de l’utérus. »

Il faut évaluer les auto-prélèvements urinaires pour la détection des lésions CIN

Dans un éditorial accompagnant l’article, les Drs Henry C Kitchener et Gemma L Owens (Université de Manchester, Royaume-Uni), indiquent que le dosage urinaire d’HPV est une option de dépistage intéressante qui mérite que son évaluation soit poursuivie.

 
Les auto-prélèvements urinaires n’ont pas été évalués pour ce qui compte le plus, la détection des néoplasies cervicales intraépithéliales (CIN).
 

Ils notent, cependant qu’il reste encore beaucoup de travail à faire : « A contrario des auto-prélèvements vaginaux, les auto-prélèvements urinaires n’ont pas été évalués pour ce qui compte le plus, la détection des néoplasies cervicales intraépithéliales (CIN). »

Au final, ils suggèrent que dans les pays riches, les auto-tests pourraient être « utilisés chez les femmes qui ne souhaitent pas participer à un dépistage régulier » et que dans les pays aux revenus faibles qui manquent d’infrastructures, « les auto-tests pourraient s’avérer bénéfiques et coût-efficace chez toutes les femmes éligibles au dépistage. »

Ils précisent, cependant, qu’avant toute chose « d’autres travaux de recherche seront nécessaires pour évaluer la véritable importance clinique et l’acceptabilité des tests d’auto-prélèvement urinaires des HPV dans ces deux situations. »

Pour conclure, Isabelle Heard insiste sur le fait que le test HPV en dépistage primaire ne peut être envisagé que dans la cadre d’un dépistage organisé. Ce dernier permet, en effet, de recontacter les femmes qui ne sont pas entrées dans la filière de soins pour le diagnostic de la lésion en cas de résultat positif.

« Dans le cadre d’un dépistage organisé, il serait possible de proposer un test HPV par auto-prélèvement génital aux femmes qui ne répondraient pas à l’invitation », ajoute-t-elle.

Aucun financement n’a été reçu pour l’étude. Les auteurs n’ont pas déclaré de liens d’intérêts en rapport avec le sujet. Le Dr Isabelle Heard n’a pas de liens d’intérêt en rapport avec le sujet.

 

REFERENCES:

1. N. Pathak et coll. Accuracy of urinary human papillomavirus testing for presence of cervical HPV: systematic review and meta-analysis. BMJ, 16 sept. 2014; 349

2. Kitchener HC et Owens GL. Urine testing for HPV. A promising screening option that deserves further evaluation. BMJ 2014;349:g5542

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....