Haïfa, Israël et Tours, France -- Les cardiologues interventionnels, exposés à des radiations ionisantes en salle de coronarographie (interventions sous contrôle fluoroscopique par rayon X) portent des protections atténuatrices (tablier de plomb, protège thyroïde) qui ne protègent pas la tête ni le cou. On sait déjà qu’ils sont sujets à des cataractes radio-induites (cataractes sous-capsulaires postérieures, brunes), pouvant apparaitre après 5 à 10 ans d’exercice et dont les spécificités comparativement aux cataractes séniles (cataractes centrales, blanches) les font aisément reconnaitre comme maladie professionnelles. Ainsi, selon l’étude française O’CLOC, cette population de médecins interventionnels (cardiologues hémodynamiciens et rythmologues) aurait un risque de cataracte radique multiplié par 3,8 comparativement à des personnes non exposées [1].
Si les effets sont manifestes sur l’œil, quid des cancers du cerveau ? Depuis une dizaine d’années, les Drs Ariel Roguin (Haïfa, Israël) et Olivier Bar (Tours, France) s’intéressent à la question et, comme souvent en médecine, le fait de rechercher spécifiquement un événement a effectivement permis de répertorier des cas de glioblastomes, dont la particularité est d’être plus fréquemment localisés à l‘hémisphère cérébral gauche ; le médecin travaille le plus souvent avec l’appareil radiologique à sa gauche et reçoit donc le diffusé du rayonnement X principalement sur son côté gauche. Cette latéralisation de l’exposition pourrait être une piste pour expliquer la latéralisation préférentielle à gauche des tumeurs cérébrales rapportées.
Medscape – Vous êtes vous-même cardiologue interventionnel, pourquoi vous êtes- vous intéressé aux tumeurs cérébrales ?
Ariel Roguin – J’ai été sensibilisé à ce sujet il y a une dizaine d’année suite au décès d’un collègue en Israël et de deux cardiologues interventionnels, âgés de 46 et 54 ans, en France. Tous sont décédés d’un glioblastome situé du côté gauche du crâne. Certes, ces tumeurs apparaissent quotidiennement en population générale mais la localisation du côté où le médecin est le plus exposé dans le laboratoire de cathétérisme (le cardiologue étant positionné à droite du patient) m’a interpellé. Nous avons fait une première publication qui a déclenché l’envoi d’un très grand nombre de mails pour nous signaler d’autres cas.
Olivier Bar – Un de nos confrères radiologues d’Amérique du Nord m’a sensibilisé à cette problématique par une lettre, très forte, dans laquelle il évoquait sa propre maladie, le pronostic effroyable, le fait que son neurochirurgien avait déjà opéré plusieurs collègues et qu’il regrettait de ne pas avoir utilisé les protections Rx suspendues disponibles. J’ai rencontré le Dr Roguin lors d’une présentation à Paris et lui ai suggéré de recueillir la latéralité de ces cancers. L’hypothèse était qu’une éventuelle latéralité, en particulier gauche, serait un argument fort pour une causalité en rapport avec l’exposition aux rayons X.
Medscape – Vous exprimez votre inquiétude devant l’augmentation des actes de revascularisation dans le monde, pourquoi tant d’angioplasties ?
AR – Un nombre croissant de personnes a accès à l’angioplastie dans le monde, la population vieillit, les lésions sont de plus en plus complexes, les procédures longues…Et il faut ajouter la recommandation pour les SCA non ST d’aller à la coronarographie dans les 24-48h qui a fait augmenter le nombre de revascularisations percutanées.
En 2012, l’étude O’CLOC a constaté qu’après 20 ans de pratique en moyenne, plus de 28 % des hémodynamiciens et 19 % des rythmologues avaient déjà dépassé la dose seuil de 500 mSV au cristallin admise par le CIPR (commission internationale de protection radiologique). |
Medscape – Faut-il améliorer les dispositifs de protection contre les radiations ionisantes ?
AR – Quelle que soit la stratégie thérapeutique retenue, on essaie de réduire au maximum les radiations pour le patient et l’opérateur mais ce n’est pas toujours simple. Je rappelle que porter un tablier de plomb de plusieurs kilos durant plusieurs heures, plusieurs fois par semaine et durant des années provoque fréquemment des problèmes orthopédiques. Il existe des protections « zero gravity » pendues du plafond qui permettent de travailler sans tablier et d’autres systèmes ingénieux de protection font aussi leur apparition sur le marché, comme nous avons pu le constater lors du dernier congrès EuroPCR.
En cardiologie interventionnelle, le risque est principalement lié au rayonnement secondaire émis par le patient du fait de la proximité du médecin et de zones non protégées (mains, crâne, pieds). La dose reçue par l’opérateur est donc directement liée à celle reçue par le patient. |
Medscape – Quelle est l’utilité réelle du dosimètre ? Un test à main levée à EuroPCR 2014 semble indiquer que les médecins ne connaissent absolument pas leur niveau d’exposition.
AR – S’il est obligatoire de porter un dosimètre mais qu’il ne sonne pas quand on dépasse la dose maximale, à quoi sert –il ? Ces dosimètres passifs sont lus à distance et les résultats sont renvoyés parfois avec 2 à 3 mois de délais. Reste ensuite à l’unique personne en charge de l’exposition aux radiations ionisantes de l’hôpital (si elle existe) de transmettre les résultats aux médecins. Cela ne me semble pas adapté au risque d’exposition dans les hôpitaux. Comparativement, dans toutes les installations nucléaires, il y a au moins cinq personnes dédiées à l’exposition aux rayonnements.
OB – En France, les cardiologues interventionnels portent deux types de dosimètres. Un dosimètre passif, placé sur le sternum, derrière le tablier de plomb (relevé tous les 1 à 3 mois) et un dosimètre actif dit opérationnel qui fait un relevé en continu de l’exposition. Le dosimètre opérationnel émet une alarme si le débit est trop important ou si la dose maximale est dépassée. Il est pris le matin en arrivant en salle de cathétérisme et reposé en fin de journée. Son intérêt principal est de fournir un niveau d’exposition journalier, ce que ne permet pas le dosimètre passif qui fait la somme des expositions sur plusieurs semaines et dont le résultat n’est connu qu’après coup.
Base SISERI de l’IRSN Les données de tous les dosimètres portés en France sont stockées dans la base SISERI (Système d'Information de la Surveillance de l'Exposition aux Rayonnements Ionisants) de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sureté nucléaire). Concernant le risque stochastique (de cancer), la limite de dose efficace est de 20 mSV par an pour les travailleurs exposés. |
On peut douter de la pertinence du système de surveillance actuel alors que certains dosimètres sont constamment à zéro car non portés par les médecins…
Medscape – Quelle sera la prochaine étape pour réduire le risque et améliorer l’identification de ces cancers ?
OB – Il faut que les mesures des dosimètres soient lues et comprises par les médecins. Nous travaillons avec l’ASN (Autorité de Sureté Nucléaire) pour éditer un guide de l’EPP sur le thème de la radioprotection. Tout cela prend du temps.
Dans son éditorial commentant notre article (NDLR dont le Dr Ariel Roguin est co-auteur) publié dans la revue EuroIntervention [2],le Pr Parick Serruys (Erasmus Institute, Rotterdam) reconnait qu’il s’agit peut-être « d’une fausse alerte » mais « est-ce une raison pour ne pas s’y intéresser ? » s’interroge-t-il. « Plutôt que de refuser en bloc cette hypothèse comme le font certains cardiologues, donnons- nous les moyens d’évaluer le risque de tumeur cérébrale de la manière la plus solide qu’il soit. Il y a tout de même un signal, il faudra bien, un jour, répondre à la question de la causalité».
Affaire à suivre.
REFERENCES :
Jacob S, Boveda S, Bar O et al.Interventional cardiologist and risk of radiation-induced caratact : result of a French multicenter observational study. International Journal of Cardiology doi 10. 1016/j.ijcard.2012.04.124.
Roguin A, Goldstein J, Bar O. Brain tumors among interventional cardiologists : a cause for alarm? Eurointervention .2012:7:1081-1086.
Citer cet article: Dr Catherine Desmoulins. Cancers du cerveau chez les cardiologues interventionnels : une pathologie professionnelle sous-estimée ? - Medscape - 15 sept 2014.
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