La digoxine associée à un sur-risque de décès de 22% dans ROCKET-AF

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

5 septembre 2014

Barcelone, Espagne — Jour après jour, la digitale perd de son éclat dans la fibrillation auriculaire. Une analyse post-hoc de l’étude ROCKET-AF , conçue à l’origine pour comparer le rivaroxaban à la warfarine sur la prévention des AVC chez des patients en fibrillation auriculaire (FA) montre que la digoxine est susceptible d’augmenter le risque de décès d’environ 20%. Des résultats qui, cumulés à d’autres, incitent à la plus grande prudence quant à son utilisation « en routine » dans la FA.

Digoxine : un traitement ancien qui n’a jamais fait ses preuves dans la FA

Traditionnellement utilisé dans le traitement de l’arythmie, la digoxine n’a, paradoxalement jamais fait l’objet d’études randomisées chez les patients puisque l’essai DIG avait exclu les patients en rythme sinusal. Pourtant, ces derniers temps, les preuves se sont accumulées pour montrer que « l’un des médicaments les plus utilisés en cardiologie a probablement un impact négatif » comme l’a mentionné le Dr F. Arribas (Madrid) en présentant l’orateur. Après TREAT-AF , parue il y a un mois, qui montrait que traiter précocément une fibrillation auriculaire (FA) par digoxine majorait la mortalité à 3 ans, c’est désormais une étude post-hoc de ROCKET-AF semble aboutir à la même conclusion.

L’étude ROCKET-AF a été conduite chez 14 171 patients avec une FA non valvulaire qui étaient à haut risque d’AVC. Les patients étaient randomisés pour recevoir soit du rivaroxaban, soit de la warfarine. Dans l’analyse actuelle, rétrospective, les chercheurs ont examiné les risques de mortalité toutes causes et cardiovasculaires chez 5 239 (37%) patients qui étaient sous digoxine à l’entrée dans l’étude et les ont comparé aux 8 932 qui n’en prenaient pas. Les patients sous digoxine étaient plus souvent des femmes (42,4% vs. 37,9%), avaient plus d’antécédents d’insuffisance cardiaque  (73,3% vs. 56,1%), étaient plus nombreux à être diabétiques (43,0% vs. 38,0%), et à souffrir d’une FA persistante (88,0% vs. 77,0%) (p<0.001 pour chacune des caractéristiques).

La digoxine associée à une augmentation du risque de décès toute cause et cardiovasculaires
Après ajustement, la sous-analyse de ROCKET-AF a trouvé que la prise de digoxine était associée à une augmentation du risque de décès :
- de 22% pour les décès toute cause (RR 1,22; IC95% : 1,08-1,37) ;
- de 22% pour les décès d’origine vasculaire (RR 1.22; IC95% :1,05-1,42) ;
- et de 29 % pour les morts subites (HR 1.29; IC95% : 1,03-1,61).

De façon intéressante, l’association était indépendante des autres facteurs pronostiques mesurés, et ne dépendait aucunement de la présence ou non d’une insuffisance cardiaque. En revanche, alors que la toxicité de la digoxine semblait jusqu’à présent plutôt associée au sexe féminin, cette analyse fait apparaitre au contraire une interaction avec le genre masculin, a précisé le Dr Manesh Patel (directeur du laboratoire de cardiologie interventionnelle et de cathétérisation,  Duke University Health System, Durham, Etats-Unis) lors de la présentation des résultats de l’étude.

Revoir la toxicité des anciens traitements

En dépit de certaines limites, le fait qu’il s’agisse d’une analyse post-hoc, que l’on ne dispose pas de la dose de digoxine ni de taux sériques, et qu’il y ait potentiellement des facteurs confondants non mesurés, la conclusion de l’étude est que le traitement par digoxine était associée dans ROCKET-AF à une augmentation non négligeable de la mortalité toute cause et cardiovasculaire. Pour le Dr Patel, «le message n’était pas de dire à tous les médecins d’arrêter la digoxine chez leurs patients mais d’inciter à la prudence, car les données ne sont pas en faveur d’une utilisation en routine de la digoxine chez les patients avec ou sans FA et supposent même une ré-évaluation des recommandations actuelles».

« La digoxine ne doit pas être donnée en première intention, il faut y penser seulement en deuxième ou troisième intention » suggère le Dr Patel. Un avis que partage le Pr Jean-Marc Davy (Hopital Arnaud de Villeneuve, Montpellier) interrogé par Medscape France, qui remarque néanmoins que l’Europe de l’Ouest est moins concernée, car « relativement en retrait quant à l’utilisation de la digoxine par rapport aux Etats-Unis ».

Le Dr Manesh Patel a déclaré des honoraires et rémunérations de consultant pour Bayer Heathcare, Ortho-McNeil-Janssen, Medscape-theheart.org ; Ikaria. Il a reçu des bourses de recherche de Johnson&Johnson ; Maquet ; AstraZeneca ; Genzyme et le National Heart, Lung and Blood Institute. L'étude ROCKET-AF a été financée par Johnson&Johnson et Bayer.

 

REFERENCE :

  1. Patel M. ROCKET AF trial suggests that digoxin increases risk of death in AF patients. 2 septembre, ESC 2014

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