Barcelone, Espagne – Administrer le médicament bradycardisant ivabradine (Procoralan®, Corlentor®) chez le coronarien stable non insuffisant cardiaque avec un rythme cardiaque ≥ 70 bpm ne réduit pas le risque de décès cardiovasculaires et ne limite pas les infarctus du myocarde non mortels, selon les résultats de l’essai SIGNIFY présentés lors de l’ European Society of Cardiology et publiés simultanément dans le New England Journal of Medicine [1].
Mais, plus inquiétant, au-delà de ce résultat négatif : dans le sous-groupe pré-spécifié des patients avec angor « limitant » (CCS ≥II, n=12 049), le risque de mortalité cardiovasculaire est accru de 16% (p=0,11) et celui des infarctus non mortels de 18% (p=0,09).
Ces résultats tuent les espoirs suscités par l’analyse post-hoc de l’essai BEAUTIFUL [2,3] chez les coronariens stables avec une fonction systolique ventriculaire gauche altérée qui avaient montré une baisse des réhospitalisations pour IDM mortels et non mortels (critères secondaires) chez les patients avec une angine de poitrine chronique et une fréquence cardiaque supérieure à 70 bpm (RR=0,27, p=0,002).

Pr Kim Fox
Le problème est que l’ivabradine est actuellement indiquée en Europe non seulement dans l’insuffisance cardiaque congestive modérée à sévère avec un dysfonctionnement ventriculaire gauche et un rythme cardiaque élevé, mais aussi dans l’angor stable comme alternative ou en complément des bêtabloquants.
« Obtenir des résultats neutres pour le groupe de patients atteints d’angor auraient été une chose mais observer exactement le contraire de notre hypothèse de départ est très déconcertant. Les résultats ont été immédiatement transmis à l’Agence Européenne des Médicaments », a commenté le Pr Kim Fox (Londres, Royaume-Uni), auteur principal de l’étude, lors de la session Hot Line de présentation des résultats.
Dans un communiqué publié en mai, l’agence européenne indiquait déjà qu’elle allait immédiatement évaluer l’impact des données de l’essai SIGNIFY sur le rapport bénéfice/risque du Corlentor®/Procoralan® et émettre un avis concernant le maintien de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), d’éventuelles modifications ou un retrait pur et simple.
En attendant, elle conseille aux patients de revoir leur médecin ou leur pharmacien s’ils ont des questions ou des inquiétudes.

Jean-Pierre Bassand
« L’augmentation significative des décès cardiovasculaires et des infarctus non mortels dans le groupe pré-spécifié de patients avec une angine de poitrine CCS ≥II qui représente 2/3 de la population, soit un nombre substantiel de patients, est clairement inquiétant pour l’utilisation de ce médicament dans l’angor. Des analyses plus approfondies permettront peut-être de comprendre les mécanismes sous-jacents. Il est possible qu’une dose trop élevée d’ivabradine, jusqu’à 10 mg/2x/j soit impliquée. Mais, pour l’instant, nous n’avons pas d’explication à cet excès d’événements », a commenté le Pr Jean-Pierre Bassand (Université de Besançon Franche Comté, France), lors de la discussion qui a suivi la présentation des résultats.
Pour le Pr Fox, une fréquence cardiaque élevée pourrait n’être qu’un facteur de risque non modifiable chez les patients coronariens stables sans insuffisance cardiaque.
L'essai SIGNIFY L'essai SIGNIFY est un essai international, multicentrique, randomisé, réalisé en double aveugle dont l'objectif était d'évaluer l'intérêt de l'ivabradine ajoutée à un traitement optimal chez les patients coronariens stables non insuffisants cardiaques ayant un rythme cardiaque d'au moins 70 bpm. Les patients ont été randomisés pour recevoir soit un placebo soit de l'ivabradine à la dose de 10 mg deux fois par jour afin d'obtenir un rythme cardiaque de 55 à 60 bpm. A trois mois, le rythme cardiaque des patients du groupe ivabradine était de 60,7 +/- 9 bpm versus 70,6 +/- 10,1 bpm dans le groupe placebo. Après un suivi moyen de 27,8 mois, il n'y avait pas de différence significative entre les deux groupes sur le critère primaire de jugement associant la mortalité cardiovasculaire et les infarctus du myocarde non mortels (6,8 % vs 6,4% respectivement, RR= 1,08 IC 95% : 0,96 à 1,2, p=0,2). L'ivabradine a été associée un risque de mortalité cardiovasculaire accru de 16% (p=0,11) et à un risque d'infarctus non mortels accru de 18% (p=0,09). L'incidence de la bradycardie était supérieure dans le groupe ivabradine vs le groupe placebo (18% vs 2,3%, p<0,001). En outre, les chercheurs ont observé plus de fibrillation auriculaire (5,3% vs 3,8%, p<0,001) et de phosphènes (5,4% vs 0,5%, p<0,001) dans le groupe ivabradine. Les effets secondaires ont mené à plus de sorties d'étude dans le groupe ivabradine que dans le groupe placebo (13,2% vs 7,4%, p<0,001) |
Caractéristiques de la population de l’étude
Facteurs de risque CV et antécédents médicaux | Groupe Ivabradine | Groupe Placebo |
Durée de la maladie coronarienne | 6,2±6,3 | 6,1±6,2 |
Antécédents d’IDM | 7009 (73,4%) | 6993 (73,2%) |
Revascularisation antérieure | 6453 (67,6%) | 6496 (68%) |
Statut des patients angineux | ||
Pas de symptômes | 2400 (25,1%) | 2416 (25,3%) |
Classe I | 1113 (11,7%) | 1124 (11,8%) |
Classe ≥ II (angor limitant) | 6037 (63,2%) | 6012 (62,9%) |
L'essai SIGNIFY a été financé par les laboratoires Servier. Le Pr Fox a reçu des honoraires des laboratoires Servier. Le laboratoire Servier lui a également financé des voyages. Le Pr Bassand est orateur pour AstraZeneca. |
REFERENCES :
Fox K, Ford I, Steg PG et coll. Ivabradine in Stable Coronary Artery Disease without Clinical Heart Failure. NEJM. Publication en ligne 31 août 2014
Fox K, Ford I, Steg PG et coll. Heart rate as a prognostic risk factor in patients with coronary artery disease and left-ventricular systolic dysfunction (BEAUTIFUL): a subgroup analysis of a randomised controlled trial. The Lancet DOI:10.1016
Fox K, Ford I, Steg PG et coll. Ivabradine for patients with stable coronary artery disease and left-ventricular systolic dysfunction (BEAUTIFUL): a randomised, double-blind, placebo-controlled trial. The Lancet en ligne.
Citer cet article: L’ivabradine augmente les décès et les infarctus dans l’angor : révision d’AMM en cours - Medscape - 1er sept 2014.
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