Patchs nicotiniques pendant la grossesse : des résultats décevants

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

29 août 2014

Nottingham, Royaume-Uni ; Paris, France – Deux essais récents montrent que l’utilisation des timbres nicotiniques chez les femmes enceintes qui n’arrivent pas à arrêter le tabac n’aide malheureusement pas au sevrage pendant la grossesse [1,2].

L’étude d’Ivan Berlin et coll. l’essai SNIPP (Study of Nicotine Patch in Pregnancy) (Hôpital de la Pitié-Salpétrière, Paris) publiée en mars dans le BMJ montre qu’à la date de l’accouchement, les femmes qui ont reçu une substitution nicotinique pendant la grossesse fument autant que celles qui ont reçu un placebo. En outre, aucune amélioration des paramètres périnataux (poids de naissance, périmètre crânien, score d’Apgar…) n’est constatée chez les bébés [1].

L’essai SNAP (Smoking and Nicotine in Pregnancy) de Tim Coleman et coll. publié dans le NEJM en 2012 [2] n’a pas montré d’efficacité non plus des timbres nicotiniques pour aider les femmes enceintes fumeuses à arrêter de fumer. Dans l’essai SNAP, 1050 femmes enceintes fumeuses (au moins 5 cigarettes par jour) âgées de 16 à 45 ans ont été recrutées entre la 12ème et la 24ème semaine de grossesse dans 7 hôpitaux anglais entre le 1er mai 2007 et le 26 février 2010. Elles ont été randomisées pour recevoir soit 4 à 8 semaines de patchs (15 mg/16h) (n=521) soit un placebo (n=529). Les deux groupes ont bénéficié d’une aide comportementale d’arrêt du tabac. La durée médiane de traitement était de 4 semaines de traitement avec 10% d’adhérence au traitement.

Pas plus d’arrêt du tabac avec ou sans patchs à la date de l’accouchement

L’essai d’Ivan Berlin et coll. a enrôlé 476 femmes enceintes fumeuses (au moins 5 cigarettes par jour) recrutées entre la 12ème et la 20 ème semaine de grossesse dans 23 maternités françaises entre octobre 2007 et janvier 2013.

Au total, 402 femmes ont été randomisées pour recevoir, soit des timbres nicotiniques (10-30 mg/16h), soit un placebo. Les participantes ont été revues tous les mois et ont reçu un soutien comportemental régulier d’aide à l’arrêt du tabac.

La durée médiane de traitement était de 105 jours avec plus de 80% d’observance.

L’abstinence complète jusqu’à l’accouchement a été obtenue par seulement 5,5% des femmes recevant la substitution nicotinique et par 5,1% des femmes du groupe placebo (différence non significative). En outre, la substitution nicotinique n’a pas augmenté le poids de naissance : 3065 g et 3015 g respectivement dans le groupe « substitution » et dans le groupe « placebo ».

En revanche, les femmes qui ont arrêté le tabac avec ou sans nicotine ont eu des bébés dont le poids de naissance a été significativement plus élevé d’environ 300 g, souligne Ivan Berlin.

Plutôt rassurant, la fréquence des effets indésirables graves était similaire dans les deux groupes. Cependant, la puissance statistique de l’étude ne permet pas de conclure définitivement sur ce point. Les effets indésirables non graves étaient plus fréquents dans le groupe qui avait reçu les patchs (effets cutanés principalement).

Tester l’intérêt des patchs pendant la grossesse sur le développement des enfants à 2 ans

La publication secondaire de l’étudeSNAPPpar Sue Cooper et coll. (University of Nottingham, University Park, Nottingham, Royaume-Uni) en août dans le Lancet Respiratory Medecine, en revanche, montre que deux ans après la naissance, les enfants des femmes qui ont reçu les patchs nicotiniques ont moins de problèmes de développement intellectuel, comportemental et moteur que les enfants des femmes qui ont reçu les patchs placebo pendant la grossesse [3].

Après deux ans de suivi, d’après les questionnaires retournés par les femmes, 73% des enfants de mères qui avaient reçu les patchs n’avaient pas de handicap contre 65% dans le groupe placebo (RR= 1,40, IC 95% 1,05 à 1,86 ; p=0,023).

Du côté des mères, les auteurs ont constaté un doublement de l’arrêt du tabac dans les 4 semaines suivant l’initiation de la substitution nicotinique. Cependant, seulement 3% de celles qui avaient reçu la substitution versus 2% de celles qui avaient reçu le placebo ont rapporté avoir cessé durablement de fumer suite à l’arrêt du tabac pendant leur grossesse.

Pour le tabacologue Ivan Berlin, cette dernière donnée est à prendre avec précaution : « Dans l’essai SNAP, l’adhérence au traitement a été très faible. Globalement, les femmes n’ont pris que 11 à 12 timbres nicotiniques pendant la grossesse. Bien que l’analyse des données soit excellente, j’ai du mal à imaginer qu’une quinzaine de jours de traitement nicotinique entrainant potentiellement seulement quelques jours d’abstinence tabagique pendant toute la grossesse puisse expliquer cette différence de développement des enfants à deux ans. L’intervention: le timbre nicotinique, n’a d’ailleurs pas du tout d’effet sur l’abstinence à aucun moment de l’étude : pendant ou après la grossesse. L’effet de l’intervention est si faible et l’évaluation est si loin dans le temps par rapport à l’intervention qu’il est difficile d’attribuer un meilleur effet développemental avec la nicotine comparé au placebo. De nombreux autres facteurs peuvent expliquer ces résultats dont le niveau socioprofessionnel des femmes, leur mode de vie, ou l’environnement… ou des facteurs pour lesquels les auteurs n’ont pas de données ».

 

Questions au Professeur Ivan Berlin

Pr Ivan Berlin

Quelles sont les conséquences du tabac sur l’enfant pendant la grossesse ?

Ce que nous savons c’est que la nicotine est un cytotoxique neuronal chez l’animal mais, il y a d’autres substances toxiques dans le tabac. Chez l’humain, le tabagisme pendant la grossesse a, non seulement, un retentissement périnatal (petit poids de naissance, risque de césariennes, accouchement prématuré…) mais aussi sur la vie entière de l’enfant. Les enfants exposés in utero ont plus de risque d’avoir des problèmes respiratoires, psychiatriques, métaboliques (obésité, diabète) et probablement aussi cardiovasculaires. Il s’agit d’un problème majeur puisque en France, sur 800 000 grossesses par an environ, près de 150 000 femmes enceintes fument.

Puisque la substitution nicotinique s’avère décevante, quelles autres pistes peut-on envisager ?

On ne peut pas écarter complètement les substituts nicotiniques pour aider les femmes enceintes fumeuses. Combiner les timbres nicotiniques avec les formes buccales de nicotine pourrait être une des pistes. Il faudrait aussi essayer d’autres médicaments ayant l’AMM dans le sevrage tabagique et évaluer des interventions courtes non-médicamenteuses…

Quid de la thérapie comportementale ou de la cigarette électronique ?

La thérapie comportementale a donné quelques résultats. Cependant, il est impossible de faire 150 000 thérapies comportementales individualisées par an. En pratique, nous manquons de moyens humains (formation) et financiers (remboursement des interventions non pharmacologiques).

En ce qui concerne la cigarette électronique, à ce jour, il n’y a pas d’études chez la femme enceinte en termes d’abstinence et de toxicité pour le bébé. Il n’existe pas de réglementations sur la cigarette électronique et les fabricants ne sont pas tenus de fournir des études. Il faut donc rester prudent.

Faut-il faire un effort supplémentaire sur le remboursement de la substitution nicotinique ?

Oui, obtenir un meilleur remboursement de la substitution nicotinique mais aussi des traitements médicamenteux ayant une AMM (varénicline et bupropion) est un enjeu majeur de santé publique. Par exemple, en Grande-Bretagne, où le sevrage tabagique est remboursé, l’incidence du cancer du poumon a fortement chuté. En France, les fabricants de substituts nicotiniques, de la varénicline et bupropion n’ont peut-être pas demandé leur remboursement car ils gagneraient moins d’argent s’ils étaient remboursés (les prix de leurs produits seraient renégociés par l’Etat). Ce remboursement, proposé dans tous les rapports récents sur le sujet, contribuerait à la réduction de la prévalence du tabagisme et pourrait, comme dans d’autres pays, réduire les maladies liées au tabac et serait, sans aucun doute, coût-efficace.

 

Les auteurs et le Pr Ivan Berlin n’ont pas de liens d’intérêts en rapport avec le sujet.

 

REFERENCES:

1.Berlin I, Grangé G, Jacob N, Tanguy ML. Nicotine patches in pregnant smokers: randomised, placebo controlled, multicentre trial of efficacy. BMJ. 2014 Mar 11;348:g1622.

2. Coleman T, Cooper S, Thornton JG, Grainge MJ, Watts K, Britton J, Lewis S; Smoking, Nicotine, and Pregnancy (SNAP) Trial Team.A randomized trial of nicotine-replacement therapy patches in pregnancy. N Engl J Med. 2012 Mar 1;366(9):808-18

3.Cooper S, Taggar J, Lewis S, Marlow N, Dickinson A, Whitemore R, Coleman T; for the Smoking, Nicotine and Pregnancy (SNAP) Trial Team. Effect of nicotine patches in pregnancy on infant and maternal outcomes at 2 years: follow-up from the randomised, double-blind, placebo-controlled SNAP trial. Lancet Respir Med. 2014 Aug 8. pii: S2213-2600(14)70157-2.

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