Palo Alto, Etats-Unis — Administrer de la digoxine aux patients nouvellement diagnostiqués avec une fibrillation auriculaire est associé à une surmortalité de 20% trois ans après, selon la plus vaste étude jamais menée sur le sujet [1].
« Il peut y avoir de bonnes raisons d’utiliser la digoxine…ce médicament peut être utile dans l’insuffisance cardiaque… [mais cette étude suggère que] dans le cas de la fibrillation auriculaire, les médecins doivent se demander si la digoxine est le traitement de choix alors qu’il y a beaucoup d’autres alternatives plus sûres », a commenté l’auteur principal de l’étude, le Dr Mintu Turakhia (Veterans Affairs Palo Alto Health Care System, Etats-Unis) pour Medscape.com.
En effet, si les recommandations sont assez précises dans le contexte de l'insuffisance cardiaque, elles le sont beaucoup moins chez le patient sans insuffisance cardiaque.
Le contexte A ce jour, la digoxine est indiquée dans l’insuffisance cardiaque et dans les troubles du rythme supraventriculaire pour ralentir ou réduire la fibrillation auriculaire ou le flutter auriculaire. La digoxine est l’un des antiarythmiques les plus utilisés au monde. Cependant, l’essai phare Digitalis Investigation Group (DIG), chargé d’évaluer le rapport bénéfice-risque de la digoxine dans l’insuffisance cardiaque, a exclu les patients souffrant de fibrillation auriculaire, fait remarquer le Dr Tarakhia. « Les praticiens ont continué à utiliser la digoxine dans la fibrillation auriculaire en pensant qu’elle était une option sure alors qu’elle peut être fatale. Tout médecin urgentiste, spécialiste de médecine interne ou cardiologue connait les signes et les symptômes de l’intoxication à la digitale et les anomalies possibles à l’ECG », souligne-t-il. Plus récemment, plusieurs petites études, principalement observationnelles, ont donné des résultats contradictoires sur le risque de surmortalité associé à la digoxine dans la fibrillation auriculaire. |
Une étude sur les données de plus de 122 000 vétérans
La nouvelle étude, dénommée TREAT-AF, a été publiée dans le journal de l’American College of Cardiology (JACC) [1].
Elle a colligé les données de 122 465 vétérans américains dont le diagnostic de fibrillation auriculaire a été posé entre 2003 et 2008.
Les patients avaient une moyenne d’âge de 72 ans et seulement 1,6% étaient des femmes.
Près d’un quart des patients (23,4%) des patients ont reçu un traitement précoce par digoxine.
Au cours du suivi de près de 3 ans, 23,5% des patients sont décédés.
Après ajustement, le risque relatif de mortalité était de 1,26 (IC 95% : 1,23 à 1,29, p<0,001) pour les patients qui avaient reçu la digoxine et après appariement sur les scores de propension, le risque relatif était de 1,21 (IC 95% : 1,17 à 1,25, p < 0.001).
Ce sur- risque était indépendant de l’âge, du sexe, de l’insuffisance cardiaque, de la fonction rénale ou de l’usage concomitant de bêtabloquants, d’amiodarone ou de warfarine.
Une analyse de sensibilité a montré qu’il était peu probable que des facteurs non pris en compte comme la fragilité du patient, par exemple, puissent expliquer l’augmentation du risque de décès.
Plus de digoxine en première intention dans la fibrillation auriculaire ?
La nouvelle étude « a plusieurs atouts notables », souligne le Dr Matthew R Reynolds (Lahey Hospital & Medical Center, Burlington, Etats-Unis) dans un éditorial accompagnant l’article [2] : elle est 20 fois plus grande que les études observationnelles réalisées auparavant et elle s’appuie sur des données plus récentes que l’essai AFFIRM. En revanche, certains facteurs, non mesurés pourraient avoir «gonflé» le risque de mortalité, indique l’éditorialiste.
Ce qu’il faut retenir de l’étude de Turakhia et coll., c’est que « la digoxine devrait être utilisée de façon sélective et avec précaution chez les patients en fibrillation auriculaire », souligne le Dr Reynolds.
A noter : la récente réactualisation des recommandations de traitement de la fibrillation auriculaire parue dans le JACC, recommande l’emploi des bêtabloquants et les inhibiteurs calciques non-dihydropyridiniques (classe I) mais ne mentionne pas la digoxine. En France, la Haute Autorité de Santé recommande la digoxine « seulement quand la monothérapie par bêtabloquant est insuffisante, avec symptômes persistants. » [3]
« L’utilisation de la digoxine comme traitement de la FA devrait continuer à diminuer. Mais, pour l’instant, il y a toujours des situations cliniques (IC, contrôle du rythme difficile, hypotension) où l’ancien remède à base de plantes reste utile », indique l’expert.
Il ajoute, toutefois, que comme « le nombre de patients hospitalisés en raison des effets secondaires de la digoxine n’ait égalé par aucun autre traitement cardiovasculaire outre les antiplaquettaires et les anticoagulants, [lorsque la digoxine est utilisée], il est clair qu’il faut administrer la dose la plus faible possible, en particulier chez les personnes âgées. »
Ce sujet a fait l'objet d'une publication dans Medscape.com
Les Drs Turakhia et Reynolds n’ont pas de liens d’intérêts en rapport avec le sujet. Les liens d’intérêts des co-auteurs sont listés dans le papier. |
REFERENCES
1. Turakhia MP, Santangeli P, Winkelmayer WC, et al. Increased mortality associated with digoxin in contemporary patients with atrial fibrillation: findings from the TREAT-AF study. J Am Coll Cardiol 2014; 64:660–668.
2. Reynolds MR. Outcomes with digoxin in atrial fibrillation: More data, no answers. J Am Coll Cardiol 2014; 64:669–671.
3. Actes et prestations-affection de longue durée. Fibrillation atriale. HAS. Février 2014
La digoxine accusée de surmortalité chez l'insuffisant cardiaque dans une étude observationnelle
Surmortalité liée à la digoxine: méfions-nous des statistiques !
Faut-il encore utiliser la digoxine dans l'insuffisance cardiaque ?
Et si l'on reconsidérait l'effet de la digoxine dans l'insuffisance cardiaque ?
Citer cet article: Aude Lecrubier. Traiter précocement une FA par digoxine majore la mortalité - Medscape - 18 août 2014.
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