Bercy s’attaque aux « rentes et monopoles » des professions de santé

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

14 août 2014

Paris, France – Déreglementer les professions de santé pour augmenter le pouvoir d’achat ? C’est ce que prévoit un rapport confidentiel [1], commandé par Bercy en 2012, et remis récemment par l’inspection générale des Finances (IGF) au ministre de l’Economie Arnaud Montebourg. Il s’agirait, ni plus ni moins, de déréguler les 37 professions réglementées en France, dont font partie nombre de professions de santé (médecins, pharmaciens, dentistes, infirmiers, pédicures-podologues, pharmaciens biologistes, masseurs-kinésithérapeutes, vétérinaires, prothésistes dentaires).

Dégager 6 milliards d’euros de pouvoir d’achat

Medscape a pu parcourir ce document, de quelque 74 pages, sans les annexes. En préambule, le rapport édicte que ces professions réglementées se « distinguent par des niveaux élevés de rentabilité de revenus et des évolutions qui ne trouvent, dans certains cas, pas d'autre explication que la réglementation en vigueur ». En 2010, le bénéfice net avant impôt représentait 19,2% du chiffre d'affaires de ces professions réglementées, soit 2,4 fois « la rentabilité constatée dans le reste de l'économie ». L’objectif affiché est clair : mettre fin, pour reprendre les termes d’Arnaud Montebourg, aux phénomènes de rente et de monopole. Les mesures proposées par l'IGF, concernant les professions de santé, ciblent les tarifs, les autorisations d'installation, le numerus clausus, les délégations de tâches, l'ouverture du capital des sociétés d'exercice libéral (Sel)...Elles permettraient de dégager 6 milliards d’euros de pouvoir d’achat pour les Français.

Suppression du numerus clausus

La limitation de formation pour les professionnels de santé, le numerus clausus, est caduque, selon l’IGF. Pourquoi ? De nombreux étudiants français, pharmaciens, chirurgiens-dentistes, infirmiers et masseurs-kinésithérapeutes, contournent le numerus clausus en se formant ailleurs en Europe. Les numerus clausus ne sont donc plus nécessaires et méritent d'être supprimés. Pire, ils engendrent, pour ces jeunes étudiants français, des surcoûts supplémentaires, dus à leur déplacement à l’étranger, exception faite des médecins : « la durée des études, la planification sanitaire complexe qu’elle induit et le coût global de la formation supporté pour une part significative par les finances publiques peuvent expliquer l’existence d’un mécanisme de régulation pour la poursuite des études de médecin généraliste ou spécialiste ». De même, il faudrait abolir les autorisations d’installation - vendues avec les établissements dans le cas des officines, par exemple - ce qui augmente considérablement le prix du ticket d’entrée pour les nouveaux entrants, et créent ainsi des freins à l’installation.

Vente de médicaments dans la grande distribution

Concernant les pharmacies d'officine, l'IGF s'interroge sur leur monopole en matière de délivrance de médicaments. Elle propose d'offrir la possibilité au secteur commercial, notamment à la grande distribution, de pouvoir vendre des médicaments à prescription médicale facultative. Une proposition qui a déjà été rejetée par Marisol Touraine. Mais ce n'est pas tout. Le monopole des ambulanciers et des taxis sur le transport sanitaire assis n'est pas non plus justifié, selon l'IGF : « Le transport de point à point de patients dont l'état de santé n'exige pas de soins particuliers pourrait être confié à d'autres acteurs, sélectionnés dans le cadre de procédures concurrentielles ordinaires ». Autre réforme envisagée : de nouvelles délégations de tâches. Les infirmiers seraient amenés à effectuer des injections de vaccins anti-grippaux et d'autres types de vaccins mais aussi à renouveler les médicaments contre la douleur, ou encore à accomplir des actes médicaux comme des perfusions ou des médicaments analgésiques. À noter que certaines de ces propositions sont également inscrites dans le projet de loi de Santé.

Ouverture du capital des cabinets

La déréglementation proposée par l'IGF passe aussi par l'ouverture du capital des sociétés d'exercice libéral (Sel), soit les cabinets, officines, laboratoires... Les Sel des médecins, sages-femmes, biologistes médicaux, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, infirmiers, orthoptistes et diététiciens plafonnent l'ouverture de leur capital à hauteur de 25% à toute personne physique ou morale, tandis que les Sel des pharmaciens et des chirurgiens-dentistes ne prévoient, pour leur part, aucune ouverture du capital. Pour l'IGF cette quasi-fermeture capitalistique est due à une confusion entre l'indépendance capitalistique, d'une part, et l'indépendance d'exercice et professionnelle, d'autre part. L'allègement des contraintes sur le capital pourrait être rendu possible par un renforcement des règles déontologiques. L'IGF préconise également de permettre aux professionnels de santé libéraux de détenir un « nombre non restreint de sociétés d'exercice libéral ».

Les libéraux se mobilisent

L'Union nationale des professionnels libéraux (UNAPL), qui fédère 64 professions libérales, a vivement réagi à l'annonce de ces mesures, distillées ces jours derniers dans la presse. « L’UNAPL a très vivement dénoncé les propositions du ministre de l’Économie et du Redressement productif visant à déréglementer certaines professions libérales, en faisant croire qu’elles seraient responsables du défaut de croissance de notre pays et de la perte de pouvoir d’achat des Français. » Le syndicat promet dès la rentrée des actions pour contrer les vélléités de réforme d'Arnaud Montebourg. Le Dr Michel Chassang, président de l'Unapl, s'est dit choqué « par le fond et la forme » de ces annonces et s'étonne de l'absence de réactions de l'Elysée et de Matignon sur ce dossier.

REFERENCE :

  1. Rapport IGF non rendu public à ce jour.

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