Philadelphie, Etats-Unis – Les experts de l’American College of Physicians (médecins généralistes, internistes) viennent d’émettre des recommandations contre la pratique du toucher vaginal (TV) dans le cadre d’un examen gynécologique chez la femme adulte, asymptomatique et non gravide [1]. Cet avis s’appuie sur une revue de la littérature (de 1946 à 2014) montrant, non seulement « l’absence de données en faveur de l’examen » mais aussi « les preuves de sa nocivité, allant de l’angoisse occasionnée à un éventuel sur-traitement chirurgical », écrivent les Dr George Sawaya and Dr Vanessa Jacoby du département d’obstétrique, gynécologie and et sciences de la reproduction de l’Université de Californie (San Francisco), dans un éditorial accompagnant l’article [2].
Bien que ces recommandations ne remettent pas en cause l’intérêt du frottis vaginal, un geste utile et nécessaire, le Collège américain des gynécoloques et obstétriciens (ACOG) émet des réserves sur la suppression de ce geste en routine [3]. Qu’en pensent les gynécologues français ? Medscape France a demandé au Dr Elisabeth Paganelli, gynécologue médicale à Tours et secrétaire générale du SYNGOF (Syndicat des gynécologues et obstétriciens de France), de resituer cette recommandation dans le contexte français.
Rituel ou examen clinique pertinent ?
Le toucher vaginal est-il utile ou participe-t-il, dans l’esprit des médecins et de certaines femmes, d’un « rituel » (faussement) rassurant, comme l’évoquent les éditorialistes [2] ? Pire, cet examen relève-t-il de la « mauvaise médecine », comme l’avait affirmé l’éditorialiste Des Spence dans le BMJ en 2011 [3] ?
Pour l’ACP, non seulement l’examen n’est pas associé à un bénéfice mais il pourrait même être contre-productif : « l’intérêt du toucher vaginal en routine chez une femme non gravide, asymptomatique, sans risque particulier, n’a pas été établi. Il ne permet que rarement de détecter des pathologies graves et ne réduit pas la mortalité alors qu’il est associé à un sentiment d’inconfort et de gêne (chez de nombreuses femmes), entraîne de faux positifs, des examens négatifs et des coûts supplémentaires » résume le Dr Linda Humphrey, co-auteur des recommandations et membre du comité d’experts de l’ACP [4].
L’ACP constate que « la précision du diagnostic avec le toucher vaginal pour détecter les cancers gynécologiques ou les infections est très faible ». Dans leurs recommandations délivrées au sein du même article, ce groupe de praticiens estiment que cet examen est utile seulement pour des femmes présentant certains symptômes : pertes vaginales, saignements anormaux, douleurs, problèmes urinaires et dysfonctionnement sexuel.
De son côté, l’ACOG, tout en reconnaissant qu’il n’existe aucune preuve scientifique en faveur ou en défaveur du toucher vaginal chez la femme asymptomatique, argue sur la base de l’expérience clinique des gynécologues de l’intérêt de la pratique annuelle de cet examen, au même titre que « la palpation des seins, les vaccins ou le dialogue sur la contraception » [5].
« En France, les femmes sont plutôt demandeuses »
Quelle est donc la réelle utilité du toucher vaginal chez la femme en bonne santé non enceinte ? La gynécologue Elisabeth Paganelli admet que « ce n’est pas tous les jours que l’on voit une tumeur de l’ovaire, et qu’il est exceptionnel que l’examen apporte une information clinique». Elle rappelle, néanmoins, que dans certains cas, le toucher vaginal peut s’avérer très utile ou du moins renseigner le médecin. « A titre d’exemple, les fibromes - qui peuvent être responsables d’une stérilité- sont très fréquents chez les femmes d’origine africaine et le toucher vaginal est un moyen de les diagnostiquer. Ne pas le faire pourrait nous être reproché. Autre exemple, constater la présence d’un utérus rétroversé permet de mieux comprendre les règles abondantes de la patiente ».
Quant à savoir s’il faut pratiquer ou non un toucher vaginal de façon systématique (en dehors même de la réalisation d’un frottis) à chaque consultation gynécologique, la question ne se pose de façon aussi pertinente en France. « Le contenu idéal d’une consultation gynécologique n’a pas été défini par la Haute Autorité de Santé (HAS). Il n’est donc écrit nulle part que le toucher vaginal doit être systématique. » Notre pays semble préférer le « cas par cas ». Il est même des situations où l’examen gynécologique est déconseillé : « chez une jeune patiente qui consulte pour une prescription de pilule, il sera préférable de différer l’examen gynécologique (non obligatoire par ailleurs) ». Quant à l’inconfort et la gêne des femmes évoqués par les praticiens américains face à cet examen, ils ne semblent pas (dans l’ensemble) partagés par les Françaises. « Chez nous, ce sont plutôt les femmes qui sont demandeuses d’examens. La tendance, ce serait plutôt de reprocher aux gynécologues d’en faire trop peu… »
« Laisser la porte ouverte aux femmes »
Enfin, si c’est de pudeur dont il est question, « il y a des moyens de la respecter en disposant un drap sur le corps de la femme », considère la gynécologue qui ajoute qu’« il est difficile de ne pas proposer l’examen gynécologique dans sa totalité, le fait qu’une femme soit déshabillée permet d’évoquer et de détecter d’autres pathologies qui ne concernent pas directement la spécialité, comme des mélanomes, des hémorroïdes…Cela arrive fréquemment ».
Concernant le toucher vaginal, rien n’est donc écrit dans le marbre et personne n’oblige qui que ce soit à le pratiquer (et à le subir), a fortiori à un rythme rapproché. « Les femmes restent libres de l’accepter ou non, aux gynécologues de ne pas l’imposer mais de leur poser la question. Il faut laisser la porte ouverte: si vous ne souhaitez pas l’examen, dites-le nous » conclut-elle, avec bon sens et respect.
REFERENCES:
1. Qaseem, A; Humphrey LL; Harris R et al, Screening Pelvic Examination in Adult Women: A Clinical Practice Guideline From the American College of Physicians . Ann Intern Med. 2014;161(1):67-72. doi:10.7326/M14-0701
2. Sawaya, GF; Jacoby V. Screening Pelvic Examinations: Right, Wrong, or Rite? Ann Intern Med. 2014;161(1):78-79. doi:10.7326/M14-1205.
3. Spence D. Bad medicine: gynaecological examinations. BMJ 2011;342 doi: http://dx.doi.org/10.1136/bmj.d1342.
4. ACOG Practice Advisory on Annual Pelvic Examination Recommendations , June, 30th, 2014.
5. ACP. American College of Physicians recommends against screening pelvic examination in adult, asymptomatic, average risk, non-pregnant women . July, 1st, 2014.
Citer cet article: Suivi gynécologique de routine : pour ou contre le toucher vaginal ? - Medscape - 11 juil 2014.
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