New-York, Etats-Unis – « Avec les traitements actuels de l’infarctus du myocarde, les bêtabloquants n’apportent pas de bénéfice sur la mortalité. Ils réduisent les récurrences d’infarctus et d’angine à court terme, au prix d’une augmentation des insuffisances cardiaques, des chocs cardiogéniques et des interruptions de traitement. Les recommandations devraient reconsidérer le niveau de preuve attribué aux bêtabloquants en post-infarctus ».
Cette conclusion radicale est celle d’une méta-analyse des essais randomisés de bêtabloquants après un infarctus du myocarde (IDM), publiée dans The American Journal of Medicine [1].
On sait la question controversée, depuis des années. Les recommandations font des bêtabloquants une pierre angulaire du traitement post-IDM (B de l’acronyme BASIC : bêtabloquant, antiagrégants plaquettaires, statine, IEC et contrôle des facteurs de risque). Problème : le niveau de preuve maximal attribué aux bêtabloquants, est principalement basé sur des études anciennes, menées il y a plus de 20 ans.
Avec les modalités actuelles de prise en charge, reperfusion par thrombolytiques ou revascularisation et prescription quasi systématique d’aspirine, d’une statine et d’un IEC, les bêtabloquants conservent-ils leur intérêt ?
A l’encontre des recommandations, des données observationnelles suggéraient déjà que la réponse est non. La méta-analyse qui vient d’être publiée va clairement dans le même sens.
Beaucoup de données convergentes La méta-analyse de Bangalore et coll n’est pas la première à soulever la question de la prescription systématique de bêtabloquants en post-IDM. En 2010, des données de la CNAM présentées par le Pr Nicolas Danchin (HEGP, Paris) au congrès de l’European Society of Cardiology, montraient une absence de corrélation entre la survie et la bonne observance du traitement par bêtabloquant. Ces données portaient sur 8000 patients suivis durant 30 mois à partir de 2006. Interrogé par Medscape France, le Pr Danchin soulignait même que sur le critère composite associant décès et hospitalisation pour SCA, la tendance allait dans la mauvais sens pour les patients les plus observants. Sa conclusion était par ailleurs analogue à celle de l’article de Bangalore et coll : les recommandations actuelles, qui attribuent le plus haut niveau de preuve à la prescription de bêtabloquants en post-IDM, sont largement basées sur des études bien faites, mais qui remontent à 25-30 ans et ne prennent pas en compte les progrès de la reperfusion et des traitements par statine, aspirine et IEC. Deux ans plus tard, en 2012, c’était au tour du registre REACH (Reduction of Atherothrombosis for Continued Health) de montrer que les bêtabloquants ne sont pas associés à un bénéfice pronostique chez les coronariens stables, y compris en post-infarctus, sauf peut-être durant la première année suivant l'évènement. « Alors qu'aujourd'hui une majorité de patients sont revascularisés lors d'un infarctus, ont-ils encore besoin systématiquement d'être bêtabloqués à vie ? » demandait le Pr Gabriel Steg (CHU Bichat, Paris) dans un entretien avec Heartwire/Medscape France. Le prochain acte se jouera le 31 août, au congrès de l’ESC : le Pr Danchin présentera en Hot Line une communication intitulée : « Can beta-blockers be stopped in patients with preserved left ventricular function after acute myocardial infarction ? Five-year follow-up of FAST-MI 2005. |
L’ère de la reperfusion et l’ère pré-reperfusion
La méta-analyse qui vient d’être publiée intègre 60 essais randomisés, représentant un total de 102 003 patients, suivis en moyenne durant 10 mois.
Les essais portant sur des patients avec FEVG altérée ont été exclus, puisque l’intérêt des bêtabloquants dans ce contexte est bien démontré.
On note que deux stratifications ont été introduites dans la méta-analyse.
Premièrement, les 40 essais menés dans l’IDM aigu (randomisation moins de 48 heures après l’apparition des symptômes), ont été distingués des 20 essais considérés comme menés en post-IDM (randomisation plus de 48h après l’apparition des symptômes). La mortalité étant en effet beaucoup plus élevée dans les 48 premières heures, on peut supposer que ses causes évoluent dans le temps. A priori, l’effet des bêtabloquants mérite donc d’être évalué séparément durant les deux périodes.
Deuxièmement, les essais ont été considérés comme appartenant à « l’ère de la reperfusion » quand plus de 50% des patients étaient reperfusés, soit par fibrinolyse, soit par revascularisation, et/ou recevaient une statine et/ou de l’aspirine. Sur les 60 essais, 12 étaient dans ce cas, répartition qui, au passage, témoigne bien de l’ancienneté de la plupart des essais.
Le bénéfice des bêtabloquants s’est perdu avec les progrès de la prise en charge
Le critère primaire d’évaluation des bêtabloquants était la mortalité toutes causes.
Dans l’ère pré-reperfusion, les essais menés dans l’IDM aigu montrent que les bêtabloquants réduisent la mortalité (RR=0,86 ; IC95% [0,79-0,94]). A l’ère de la reperfusion en revanche, ce bénéfice sur la mortalité n’est pas retrouvé (RR=0,98 ; [0,92-1,05]).
Plus précisément, avant la généralisation des traitements actuels, le recours à un bêtabloquant permettait de réduire la mortalité cardiovasculaire (RR=0,87 ; [0,78-0,98]), les récurrences d’IDM (RR=0,78 ; [0,62-0,97]), et l’incidence de l’angine de poitrine (RR=0,88 ; [0,82-0,95]). Le traitement restait par ailleurs sans effet sur les morts subites, l’insuffisance cardiaque, les chocs cardiogéniques et les AVC.
A l’ère de la reperfusion, les bêtabloquant réduisent les IDM (RR=0,72 ; [0,62-0,83]), ainsi que l’angor (RR=0,80 ; [0,65-0,98]). Les auteurs soulignent que ces bénéfices des bêtabloquants sont limités au cours terme, c’est-à-dire à 30 jours.
Mais en contrepartie, et contrairement à la situation précédente, les bêtabloquants à l’ère moderne augmentent l’insuffisance cardiaque (RR=1,10 ; [1,05-1,16]), de même que les chocs cardiogéniques (RR=1,29 ; [1,18-1,41]) et les interruptions de traitement (RR=1,64 ; [1,55-1,73]), tout en restant sans effet sur la mortalité cardiovasculaire, les morts subites et les AVC.
Enfin, la seconde stratification envisagée, traitement aigu versus traitement post-IDM, ne modifie pas substantiellement ces résultats. En d’autres termes, les bêtabloquants ne s’imposeraient ni immédiatement, ni dans les suites d’un IDM à FEVG préservée.
En post-IDM, les bêtabloquants ne s’adresseraient plus qu’à une minorité de patients
En pratique, les auteurs laissent la porte entrouverte aux bêtabloquants chez les patients pris en charge tardivement, après un IDM massif.
« Il peut être raisonnable de conclure que chez les patients qui développent une cicatrice extensive, et sont par conséquent à risque de développer une insuffisance cardiaque ou des arythmies ventriculaires, les bêtabloquants restent efficaces pour prévenir ces évènements, comme de nombreux essais l’ont montré », écrivent-ils.
Cette population reste cependant très limitée. Notamment, la non-reperfusion n’est pas une indication systématique de bêtabloquant, estiment les auteurs.
« A partir des essais de l’ère pré-reperfusion on pourrait penser qu’un bêtabloquant reste efficace chez les patients non reperfusés. Toutefois, dans l’essai COMMIT, le traitement n’apportait aucun bénéfice de mortalité chez les patients qui n’avaient pas reçu de fibrinolytique », indiquent-ils, en soulignant, à côté de la reperfusion, l’importance des traitements médicaux actuels dans la disparition du bénéfice des bêtabloquants.
« Enfin, si l’on peut être tenté par un traitement court (30 jours) par bêtabloquant après un IDM pour réduire le risque de récurrence et d’angor, il faut aussi tenir compte du risque d’insuffisance cardiaque ou de choc cardiogénique », concluent les auteurs pour bien enfoncer le clou.
Bref, les bêtabloquants que les recommandations prônent encore systématiquement en post-IDM, n’auraient plus en fait, qu’un rôle marginal à jouer.
L’étude n’a pas reçu de financement particulier. Parmi les auteurs, The American Journal of Medicine precise que le Dr Devereaux est membre d’un groupe de personnes qui ont pour politique de n’accepter aucun honoraire ou autre paiement de l’industrie pour leur intérêt personnel, mais seulement pour soutenir des travaux de recherche ou à titre de défraiement. Le cas s’est présenté avec Abbott Diagnostics, Astra Zeneca, Bayer, Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, Covidien, Stryker, Roche Diagnostics, GlaxoSmithKline. Les autres auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt. |
REFERENCE:
1. Bangalore S, Makani H, Radford M, et coll. Clinical Outcomes with β-blockers for Myocardial Infarction A Meta-Analysis of Randomized Trials. The American Journal of Medicine (2014), doi: 10.1016/j.amjmed.2014.05.032.
Citer cet article: Bêtabloquants en post-infarctus : la fin d’un mythe - Medscape - 10 juil 2014.
Commenter