Le Pr Deepak Bhatt fait le point sur la dénervation rénale

Vincent Bargoin

Auteurs et déclarations

7 juillet 2014

Paris, France – Invité à Paris par l’Hôpital Bichat, le Pr Deepak Bhatt a donné une conférence sur une question qui taraude à la fois la cardiologie interventionnelle et les hypertensiologues : « The Future of Renal Denervation after SYMPLICITY-3 ».

Pr Deepak Bhatt

Le Pr Bhatt, qui dirige le programme interventionnel du Brigham and Women's Hospital de Boston, est l’un des grand noms de la cardiologie américaine et internationale. Il est par ailleurs premier auteur de la publication de SYMPLICITY-3 dans le New England Journal of Medicine [1].

Quant à l’histoire de la dénervation rénale, s’y mêlent des considérations médicales, scientifiques, méthodologiques, et économiques, qui, avec l’échec de SYMPLICITY-3, commencent à faire la trame d’une série à suspense.

Gold standard méthodologique et préoccupation éthique

Pour ceux qui n’auraient pas suivi, SYMPLICITY-3 est la première étude contrôlée, randomisée, menée en aveugle, sur la dénervation de l’artère rénale chez des patients très hypertendus, résistants aux traitements médicamenteux.

Financée par Medtronic, fabricant du système de dénervation Symplicity™, l’étude a été menée sur 535 patients dans 88 centres américains. Il faut souligner que la dénervation n’est pas agréée aux Etats-Unis, et que l’expérience des équipes y est donc beaucoup moins importante qu’en Europe, et notamment en Allemagne. En contrepartie, il est certain que l’étude a été menée avec la rigueur propre à séduire la FDA.

Méthodologiquement, cette rigueur se traduit bien sûr par le double aveugle randomisé. Mais on remarque aussi des efforts du côté du traitement médicamenteux.

Premièrement, les patients n’ont été inclus que sur la base d’une observance médicamenteuse documentée, quand on sait fort bien que chez les quelques 10% d’hypertendus étiquetés comme résistants, l’inobervance pèse lourd. Et deuxièmement, le traitement médicamenteux, poursuivi après la procédure dans les deux groupes, devait rester inchangé durant les 6 mois de suivi.

On relève également une préoccupation éthique, sur laquelle Deepak Bhatt est revenu à plusieurs reprises. La constitution d’un groupe contrôle supposait que certains patients (un tiers puisque le ratio de randomisation était de 2:1) reçoivent une procédure fictive, dite « sham ». « Il n’était cependant pas question de faire prendre aux patients un risque inutile », a souligné le Pr Bhatt. Les patients inclus présentaient donc tous une indication pour une angiographie de l’artère rénale. La procédure commune à tous les patients était simplement complétée par une dénervation dans le groupe actif.

Pas de risque, pas de bénéfice

La comparaison des deux groupes a été effectuée à 6 mois.

En termes de sécurité, il n’y a aucun signal, et notamment pas d’excès de resténose de l’artère rénale.

Le problème est qu’en termes d’efficacité non plus, il n’y a pas de signal - en tout cas pas de signal significatif.

Le critère primaire était l’évolution à 6 mois de la PA systolique (PAS) mesurée au cabinet.

Cette évolution est de -14 mm Hg dans le groupe actif, contre -12 mm Hg dans le groupe sham (angiographie seule, sans dénervation). L’écart n’est évidemment pas significatif (p=0,26).

La PAS moyenne ambulatoire sur 24 heures, critère secondaire, n’a, elle non plus, pas diminué significativement plus dans le groupe actif que dans le groupe sham. Et il en va de même pour des critères annexes, comme la baisse de l’HbA1C, qui avait été envisagée à partir d’études préalables.

En fait, la plupart sinon toutes les tendances sont favorables à la dénervation. Mais aucune mesure de PA ne sort significativement, ni globalement, ni dans aucun des sous-groupes préspécifiés.

En elle-même, la baisse de PAS de 14 mm Hg à 6 mois au cabinet, observée dans le groupe traité, est significative (p<0,001). Mais la baisse de 12 mm Hg dans le groupe contrôle, l’est également (p<0,001).

Comme l’a noté Deepak Bhatt, « sans groupe sham, en voyant une baisse de 14 mm Hg parmi les patients dénervés, on aurait donc conclu à l’efficacité de la technique » – comme l’on fait, avant SYMPLICITY-3, une dizaine d’études ouvertes ou de registres [SYMPLICITY-1 (n=153),SYMPLICITY-2 (n=102), Global Symplicity Registry (n=313), ENCOREd (n=109), Méta-analyse ABPM (n=346), Heidelberg Registry (n=63), MODERATE CKD (n=15), EnligHTN (n=46), REDUCE-HTN (n=146), RAPID (n=47), REDUCE (n=15)].

Le sens de la pente

Qu’est-ce qui pèse le plus : un unique résultat négatif, obtenu conformément au gold standard méthodologique, ou une collection de résultats tous convergents mais chacun insuffisant ?

Comme dans toute question indécidable, c’est le sens de la pente qui fait la différence. Or, cette pente est, elle, parfaitement claire.

L’échec de SYMPLICITY-3 a déçu, beaucoup déçu, beaucoup de médecins et aussi beaucoup d’investisseurs. A cela s’ajoute le fait qu’aux Etats-Unis, principal producteur du matériel de dénervation, l’échec de SYMPLICITY-3 pourrait faire prendre du retard par rapport à l’Europe. Tout pousse donc à considérer cet échec comme une simple péripétie, et à ne surtout pas interrompre prématurément des perspectives prometteuses à tout point de vue.

Naturellement, SYMPLICITY-3 comporte des limites méthodologiques. Il ne faut cependant pas s’en exagérer l’importance : SYMPLICITY-3 a été menée selon « l’un des design les plus rigoureux parmi les études actuelles sur la dénervation », rappelle Deepak Bhatt.

Des questions sur le protocole …

Parmi toutes les questions, la plus évidente est celle de l’excellent résultat (-12 mm Hg) obtenu chez des patients contrôle.

Ces patients ont été inclus sur la base d’une résistance au traitement antihypertenseur, et d’une observance vérifiée. Leur traitement n’a par ailleurs pas été modifié durant les 6 mois d’études. (En fait, le traitement de certains patients a malgré tout été modifié en cours d’étude, mais les résultats ne changent pas quand ces patients sont retirés de l’analyse).

Deepak Bhatt a souligné l’importance de l’effet placebo associé aux procédures invasives : « ça fait mal, donc ça doit faire du bien », a-t-il relevé en un paradoxal raccourci.

Reste qu’il est difficile d’expliquer le résultat du groupe sham autrement que par une amélioration de la prise en charge, le travail des infirmières, etc. Et en ce cas, qu’est-ce qu’un patient résistant, sinon un patient mal pris en charge ? Et même si dans la vraie vie, la situation est sans doute fréquente, peut-on faire passer l’insuffisance d’une prise en charge pour une indication de traitement ?

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