Le plan «hôpital en tension » : traitement curatif ou palliatif pour les urgences ?

Vincent Bargoin

Auteurs et déclarations

3 juillet 2014

Paris, France – Le 8ème congrès Urgences de la Société Française de Médecine d’Urgence, a consacré une session à « l’hôpital sous tension », une notion formalisée par les autorités de santé après les crises survenues notamment durant l’hiver 2012-2013 dans des services d’urgences saturés, et les propositions de bonnes pratiques figurant dans le rapport du Pr Pierre Carli (président du Conseil National de l’Urgence Hospitalière) [1].

Des interventions de Jean-Marc Philippe (Direction générale de la santé) et Perrine Rame-Mathieu (Direction générale de l’offre de soins), il ressort que les autorités de santé font leur possible pour mettre en place un dispositif capable à la fois de résorber une saturation quasi structurelle de certains services d’urgences, et de répondre à des pics conjoncturels de demande.

Les interventions du Dr Frédéric Thys (Hôpital Saint-Luc, Bruxelles) et du Dr Jean-Emmanuel de La Coussaye (Nîmes), ainsi que des réactions de l’assistance, montrent quant à elles qu’il reste du chemin à parcourir pour faire vivre ce dispositif autrement que sur le papier.

Tensions structurelle et conjoncturelle

Sous le vocable unique de « tension », la réflexion des autorités de santé distingue deux aspects, qui ne sont évidemment pas indépendants, mais qui appellent chacun des mesures spécifiques.

Les tensions conjoncturelles, liées à un grave accident routier, à une épidémie,…, qui impliquent de faire face à un afflux massif de patients sans (trop) pénaliser les patients programmés.

Et les tensions structurelles, chroniques, elles, qui imposent de se pencher sur l’organisation non seulement du service d’urgence mais en fait de l’établissement tout entier et de l’offre de soins locale.

Le diagnostic de « tension », en premier lieu, repose sur des outils d’évaluation décrits par le rapport Carli et fournis aux ARS. « Il existe des guides, mais les critères sont à interpréter régionalement », a précisé Jean-Marc Philippe en soulignant « la mobilisation des ARS » sur cette question.

S’agissant ensuite du traitement de ces tensions, le principe est celui d’un « continuum entre le fonctionnement habituel et la réponse opérationnelle à une demande de grande ampleur. Il s’agit donc d’utiliser le parcours de soins existant et de faire monter l’existant en puissance ».

Il convient donc de « limiter le recours aux systèmes d’exception », même si l’appel à des travailleurs saisonniers est prévu. Au demeurant, plusieurs intervenants, lors des discussions, ont souligné que des pics épidémiques sont parfaitement prévisibles, par exemple, les bronchiolites de l’enfant.

Améliorer les urgences, c’est améliorer l’amont et l’aval

Concrètement, en 2013, un travail a été mené sur l’amont des urgences avec le Pacte Territoire-Santé ; un travail sur l’aval, et notamment sur la gestion des lits, avec un programme porté par l’ANAP (Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux) ; enfin, un travail sur les urgences elles-mêmes, qui porte sur la mise en place d’infirmières d’accueil et d’orientation (IAO) et de circuits courts (fast track).

Plus récemment encore, une instruction ministérielle a été diffusée le 15 mai dernier aux ARS, portant sur le schéma ORSAN , outil central de planification de la réponse du système de santé en situation sanitaire exceptionnelle.

Il est bien sûr encore trop tôt pour évaluer ces dispositifs », note Jean-Marc Philippe.

Un plan perçu comme décalé par rapport aux difficultés quotidiennes

Si l’on en juge par les commentaires des urgentistes, lors de la discussion de cette intervention, il est clair, toutefois, que ces dispositifs, centralisés, hiérarchiquement très cascadés, et qui comportent un risque évident de fragmentation des responsabilités, doivent encore faire leurs preuves.

Les intervenants ont fait part de leur « pessimisme », de leur « frustration », face à des dispositifs qui paraissent « totalement décalés » par rapport à la réalité quotidienne des services d’urgences. Pour le Dr François Braun (Hôpital de Metz), qui modérait la session, le plan hôpital en tension « n’est pas une solution. C’est la solution quand on n’a pas réussi à mettre les choses au point pour que ça marche ».

L’embolie hospitalière se paye cher

Quelques chiffres, cités par le Dr de La Coussaye, donnent une idée de l’ampleur de problème. Chaque heure supplémentaire passée aux urgences représente 3% d’évènements indésirables en plus lors de l’hospitalisation. Or, en cas d’évènement indésirable, la durée moyenne de séjour passe de 9,8 à 20,2 jours [2].

Un patient aux urgences n’est pas un patient des urgences, mais un patient de l’institution. Si les urgences marchent mal, c’est que l’hôpital marche mal -- Dr Frédéric Thys

Plus spectaculaire encore, une étude australienne indique que si le taux d’occupation des lits de l’hôpital dépasse 100%, et que simultanément, plus de 20% des consultants aux urgences doivent être hospitalisés, la mortalité parmi ces derniers est multipliée par un facteur 9 [3].

« L’augmentation de la mortalité impose une prise de conscience collective et une réaction morale de la communauté médicale », estime le Dr de La Coussaye.

Et la communauté médicale visée n’est pas seulement celle du service d’urgence. « Un patient aux urgences n’est pas un patient des urgences, mais un patient de l’institution. Si les urgences marchent mal, c’est que l’hôpital marche mal », résume le Dr Thys, pour qui les procédures de demande de lit relèvent parfois du « far-West ».

Pour le moment, les patients programmés, déprogrammés à la dernière minute, font trop souvent figure de variable d’ajustement.

Mais, « je ne vois pas pourquoi on déprogrammerait un malade du public alors que le privé ne le fait pas. On est vraiment dans la médecine à deux vitesses », note le Dr de La Coussaye. Pour le Dr Thys, « l’objectif est une filière de soins de qualité universitaire pour le patient non programmé et une organisation programmée sereine ».

Les moyens manquent, mais la volonté aussi

Les moyens sont bien sûr limités quand il faudrait investir dans les services d’urgence, augmenter leur taille, organiser des circuits courts, séparer les flux, disposer d’une hospitalisation provisoire de capacité suffisante, mettre l’accent sur l’humanisation et le bien-être des patients et des soignants, etc...

Le service des urgences […] ne doit pas être un hôpital dans l’hôpital -- Dr Thys

Pour le Dr de La Coussaye cependant, ce qui est en cause « n’est pas forcément de l’argent, mais un changement de paradigme ».

La critique s’adresse à l’institution, au sein de laquelle les urgences doivent être intégrées. « Le service des urgences est essentiel, et possède ses mission spécifiques, mais il ne doit pas être un hôpital dans l’hôpital, rappelle le Dr Thys. « Il n’est pas le back up des médecins de l’institution ou la solution de remplacement idéale ».

« Il faut définir une politique institutionnelle du non programmé », ajoute-t-il, c’est-à-dire « programmer le non programmé pour protéger le programmé ».

Comment ? Notamment en accélérant la réalisation des examens ainsi que la venue des spécialistes aux urgences, en libérant les lits plus rapidement par des plateforme de sortie, en instaurant une gestion centralisée des lits et une procédure de demande de lits, en mettant en place un protocole hospitalier d’alerte, en prédéfinissant le rôle de la direction de l’hôpital en cas de tension. Vaste programme, donc. « La détermination de la direction à aboutir est essentielle », a conclu le Dr Thys.

REFERENCES :

  1. Philippe JM, Rame-Mathieu P, Thys E, de La Coussaye JE. L’hôpital en tension. Congrès Urgence. Paris, 5 juin 2014.

  2. Ackroyd-Stolarz S, Read Guernsey J, MacKinnon MJ et coll. The association between a prolonged stay in the emergency department and adverse events in older patients admitted to hospital: a retrospective cohort study BMJ Qual Saf 2011;20:564-569.

  3. Sprivulis PC, Da Silva JA, Jacobs IG, et al. Association between hospital overcrowding and mortality among patients admitted via Western Australian emergency departments. Medical Journal of Australia 2006. 184:208-212.

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