Cancer du sein RH+ : anti-aromatase et blocage ovarien en pré-ménopause ?

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

12 juin 2014

Bellinzona, Suisse — Les résultats poolés partiels des deux essais randomisés de phase 3, SOFT et TEXT, présentés à l’ASCO 2014 et publiés simultanément dans le New England Journal of Medicine, montrent que chez les femmes pré-ménopausées atteintes d’un cancer du sein exprimant les récepteurs aux hormones (RH+), le régime anti-aromatase exemestane (Aromasine®, Pharmacia Pfizer) plus suppression ovarienne prévient mieux les rechutes que le tamoxifène associé au blocage ovarien [1].

Dr Anne Lesur

« Les femmes pré-ménopausées chez qui on bloque l’activité ovarienne pourraient désormais bénéficier d’un anti-aromatase, une classe thérapeutique qui jusqu’ici n’était recommandée que chez les patientes ménopausées », notent les auteurs, Olivia Pagani et coll. (Institute of Oncology of Southern Switzerland, Suisse).

Un avis que ne partage pas le Dr Anne Lesur (Médecin Coordonnateur du PARCOURS SEIN Institut de cancérologie de Lorraine Alexis Vautrin, Nancy) qui s’inquiète de la mauvaise tolérance qui pourrait être associée à l’association d’une anti-aromatase (IA) et d’un blocage ovarien alors qu’aucun bénéfice sur la survie globale n’a encore été observé dans cette analyse intermédiaire.

 
Si en dehors des essais, qui sont très contrôlés, les femmes ne vont pas au bout du traitement à cause de la mauvaise tolérance, les 3 à 4% de gain de survie sans progression seraient très vite perdus. -- Dr Lesur
 

« Cinq ans d’anti-aromatase et de blocage ovarien chez une femme jeune, c’est énorme… Dans quel état est-on après ? », s’interroge la spécialiste du cancer du sein. « Le bénéfice sur la survie sans progression n’est que de 3 à 4%, chiffres du même ordre que ceux trouvés dans les comparaisons en post ménopause entre tamoxifène et IA. C’est très cher payé en qualité de vie quand on connait la mauvaise tolérance ostéo-articulaire des anti-aromatases chez les femmes ménopausées encore jeunes, ajouté au difficile vécu d’une ménopause transitoire de 5 ans. Si en dehors des essais, qui sont très contrôlés, les femmes ne vont pas au bout du traitement à cause de la mauvaise tolérance, les 3 à 4 % de gain de survie sans progression seraient très vite perdus », a-t-elle expliqué à Medscape France.

Pour rappel, chez les femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein RH+, les essais pivots ont montré que la thérapie adjuvante par anti-aromatase (IA) donnait de meilleurs résultats que le tamoxifène dans un différentiel de 3 à 5 % selon les études, sans atteindre la signification en survie globale.

Mais, actuellement, chez la femme non ménopausée atteinte d’un cancer du sein RH+ (chez laquelle on ne peut utiliser les IA sans stimuler fortement les ovaires), le standard est de prescrire 5 ans de tamoxifène avec ou sans chimiothérapie.

Objectif des études TEXT et SOFT : déterminer l’intérêt éventuel des inhibiteurs de l’aromatase vs tamoxifène chez les femmes non ménopausées RH+ traitées par blocage ovarien (triptoréline, ovariectomie, ou irradiation ovarienne).

Critères d’inclusion : femmes atteintes d’un cancer du sein RH+ ayant été traitées (57%) ou non (43%) par chimiothérapie adjuvante.

Méthode : L’étude TEXT (n=2673) a 2 bras. Les femmes sont randomisées pour recevoir pendant 5 ans soit du tamoxifène + blocage ovarien soit de l’exémestane (inhibiteur de l’aromatase) + un blocage ovarien.

L’étude SOFT (n=3066) a 3 bras. Les femmes sont randomisées pendant 5 ans pour recevoir soit du tamoxifène seul (traitement de référence) soit du tamoxifène + blocage ovarien, soit de l’exémestane + blocage ovarien

L’analyse présentée à l’ASCO réunit les données des bras blocage ovarien + tamoxifène et blocage ovarien + exémestane des études SOFT et TEXT (n=4690).

Différence notable entre les deux essais : le blocage ovarien est immédiat après chimiothérapie dans l’essai TEXT et il a lieu huit mois après la chimiothérapie pour sélectionner les femmes qui récupèrent une fonction ovarienne dans l’essai SOFT pour permettre la comparaison avec le bras (non analysé ici) : tamoxifène sans blocage ovarien.

Résultats de l’analyse poolée :

La survie sans progression à 5 ans est de 91% dans le groupe exémestane + blocage vs 87,3% dans le groupe tamoxifène + blocage (RR= 0,72, IC 95% : 0,6 à 0,85 ; p<0,001).

A 5 ans, 92,8% des patientes du groupe exémestane n’ont présenté aucune récidive ni évolution contre 88,8% dans le groupe tamoxifène (RR= 0,66, IC 95% : 0,55 à 0,80 ; p<0,001).

Enfin, 194 décès sont rapportés (4,1% des patientes) sans que la survie globale ne diffère significativement entre les deux groupes (RR=1,14, IC 95% : 0,86 à 1,51 ; p=0,37).

 

Pas de comparaison avec le traitement de référence de 5 ans de tamoxifène seul

Le Dr Anne Lesur souligne que cette étude donne des résultats sur deux bras qui ne sont pas utilisés en routine.

« Administrer un anti-aromatase chez les femmes jeunes non ménopausées ou en péri-ménopause induit une stimulation ovarienne et nécessite donc un blocage ovarien si on veut l’utiliser en hormonothérapie d’un cancer du sein. Personne ne le fait.

Quant à prescrire le tamoxifène associé à la suppression ovarienne, aucun essai n’a réussi à prouver que cela pouvait être supérieur au tamoxifène seul. C’est précisément la question à laquelle devra répondre l’essai SOFT, quand les données seront matures pour comparer les 2 premiers bras au bras tamoxifène seul, ce qui pourrait être présenté en décembre à San Antonio», explique l’onco-sénologue.

Vives inquiétudes sur la tolérance du blocage ovarien + exémestane

Concernant les effets secondaires entre les deux groupes de patientes, ils sont différents mais, ceux de grades 3 ou 4 sont observés dans les mêmes proportions dans le groupe exémestane + blocage et dans le groupe tamoxifène + blocage (30,6% vs 29,4% respectivement), indiquent les auteurs.

Ils notent que la qualité de vie est « similaire » dans les deux groupes. Toutefois, le Dr Lesur fait remarquer qu’il y a 11% d’arrêt dans le bras tamoxifène par rapport à 16% dans le bras anti-aromatase.

Elle ajoute : « il ne faut pas oublier que depuis 10 ans nous observons une différence notable entre la tolérance des anti-aromatases rapportée dans les essais [chez les femmes ménopausées] par rapport à ce que l’on voit dans la vraie vie entrainant un réel inconfort de vie et des arrêts de traitements beaucoup plus fréquents qu’attendus dans les essais. »

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....