10 habitudes à combattre face au patient allergique

Aude Lecrubier, Catherine Desmoulins 

Auteurs et déclarations

27 mai 2014

San Diego, Etats-Unis – Lors de son récent congrès annuel, l’American Academy of Allergy, Asthma & Immunology (AAAAI) a ajouté 5 nouvelles pratiques médicales sans fondement à sa précédente liste : soit au total 10 mauvaises habitudes à éviter, souvent coûteuses et pouvant porter préjudice aux patients allergiques. [1]

Pr Benoit Wallaert

Entre les Etats-Unis et la France, peu de différences concernant l’attitude des prescripteurs, les mêmes erreurs sont combattues, parfois avec succès, parfois des efforts restent à faire, comme l’a indiqué à Medscape France le Pr Benoit Wallaert, pneumologue-allergologue du service de Pneumologie et Immuno- allergologie du CHRU de Lille.

Les 10 attitudes à combattre selon la société d’immuno-allergologie nord-américaine (AAAAI) 2014

1-Doser les IgE dans le cadre du bilan de débrouillage

Non, qu’ils s’agissent de dosages sanguins ou de prick test (tests cutanés), la recherche d’IgE doit toujours être orientée (IgE spécifiques) en tenant compte de l’histoire du patient. Dans le cas contraire, ces dosages se révèlent coûteux et non contributifs.

Pr Benoit Wallaert – Tout à fait d’accord et j’ajoute que le dosage des IgG spécifiques ne doit pas être demandé.

2- Prescrire une antibiothérapie systématique et un scanner des sinus en cas de sinusite aiguë non compliquée

Non, car même chez le patient allergique, la sinusite est avant tout virale, elle ne devient bactérienne que dans 0,5% à 2% des cas. Imagerie et antibiothérapie sont donc inutiles.

B Wallaert –Tout à fait d’accord.

3-Demander un test diagnostique d’allergie en cas d’urticaire chronique

Non, car dans la majorité des cas, aucune étiologie n’est retrouvée. Des tests cutanés ou la recherche d’IgE spécifiques devraient se limiter aux cas où un même facteur déclenchant est suspecté.

B Wallaert – Je suis d’accord.

4. Administrer des immunoglobulines en cas d’infections récidivantes

Non, car les gammaglobulines sont un traitement onéreux qui n’apporte pas de bénéfice sauf en cas d’anomalie de la production d’anticorps (IgG) spécifiques d’un antigène après vaccination ou infection naturelle.

B Wallaert – Oui, en France les immunoglobulines sont indiquées essentiellement en cas de déficit immunitaire commun variable. Ces patients font des infections pulmonaires récidivantes.

5. Diagnostiquer et traiter un asthme sans avoir réalisé une spirométrie.

Non, car l’interrogatoire et l’examen clinique de l’asthmatique peuvent sur ou sous-évaluer la sévérité d’un asthme. Il est essentiel de se baser sur les chiffres des valeurs fonctionnelles respiratoires pour évaluer la sévérité d’un asthme et monitorer le traitement.

B Wallaert –Tout à fait d’accord.

6- Avoir recours aux antihistaminiques en première ligne en cas de réactions allergiques sévères

Non, car les anti-H1 ne permettent pas de traiter les symptômes cardiovasculaires et respiratoires de l’anaphylaxie. Il faut avoir recours sans tarder à l’adrénaline qui est le traitement de première ligne.

B Wallaert –Tout à fait d’accord.

7-Doser les IgE contre certains aliments sans avoir des arguments solides

Non, car il est fréquent d’obtenir un faux positif sans traduction clinique pour les allergènes alimentaires. La recherche d’IgE spécifique d’un aliment est indiquée que lorsqu’un aliment est clairement suspecté. D’autant que de 50% à 90% des cas présumés d’allergie alimentaire ne sont pas médiés par des IgE. Elles traduisent plutôt un statut d’intolérance ou des symptômes sans lien avec l’ingestion d’aliments.

B Wallaert –Tout à fait d’accord. Cette réponse rejoint celle du point 1 : on ne dose pas les IgE sans avoir des arguments solides.

8-Eviter les produits de contraste iodée en cas d’allergie aux crustacés

Non, car les allergies aux produits de contraste n’ont aucun lien avec les allergies aux crustacés, même si cette croyance est parfois bien ancrée dans les esprits. Celles-ci sont bien caractérisées et impliquent notamment la présence d’IgE spécifiques dirigées contre la tropomyosine musculaire des crustacés n’ayant aucun rapport avec l’iode. Il n’est donc pas nécessaire d’utiliser les produits hypo- ou iso-osmolaires qui sont les plus couteux ou bien de prétraiter avec un antihistaminique.

B Wallaert – Cela parait évident mais c’est bien de le rappeler car la croyance est bien présente.

9-Eviter systématiquement de vacciner contre la grippe en cas d’allergie aux œufs

Oui et non. La littérature n’a pas rapporté de réactions allergiques avec les vaccins antigrippaux cultivés à partir d’œufs chez les personnes allergiques aux œufs. « La plupart des vaccins antigrippaux sont cultivés à partir d’œuf de poules. Que ces vaccins induisent des réactions allergiques a toujours été une crainte. Cela n’arrive pas », a indiqué Dr Théodore Freeman, allergologue (San Antonio, Etats-Unis) qui a participé à la rédaction de la liste.

L’AAAAI recommande néanmoins de surveiller les patients pendant les 30 minutes qui suivent l’injection.

B Wallaert – On est prudent mais on ne contre-indique pas les vaccins cultivés sur œufs. Quand on a vraiment la notion d’une allergie aux œufs, on fait la vaccination en deux fois ou bien on surveille le patient durant 30 minutes après l’injection.

10- Eviter systématiquement les bêta-lactamines en cas d’allergie à la pénicilline

Oui et non. Bien que l’incidence de l’allergie à la pénicilline soit théoriquement de 10 %, les études montrent qu’au moins 90 % de ces patients ont été étiquetés allergiques à tort et pourraient prendre cette famille d’antibiotiques sans crainte. De plus, cette allergie a tendance à disparaitre avec le temps (mais pas toujours). Le recours systématique à la vancomycine ou aux quinolones se soldent par des durées d’hospitalisation prolongées et plus de complications.

Une meilleure évaluation de l’allergie à la pénicilline avec des tests spécifiques permettrait d’améliorer la gestion du capital antibiotique et, au final, le pronostic.

B Wallaert – Si le patient est vraiment allergique, on va provoquer une réaction potentiellement sévère avec les bêtalactamines. Mais il est vrai que ce sont souvent des histoires très anciennes qui datent de l’enfance, généralement des réactions cutanées dans le cadre de la maladie pour laquelle le patient était soigné. Il serait utile de mieux identifier l’allergie aux bêtalactamines.

Ce sujet a fait l'objet d'une publication dans Medscape.com

Le Pr Wallaert n’a pas de lien d’intérêt à déclarer. Il est co-auteur du récent ouvrage de référence de la Fédération Française d’Allergologie « Le grand livre des allergies » (Ed.Eyrolles, 2014).

REFERENCES :

1. American Academy of Allergy, Asthma & Immunology (AAAAI) 2014. 28 février 2014

2. American Academy of Allergy, Asthma & Immunology. 10 Things Physicians and Patients Should Question

 

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