Mort de Jacques Servier: peu d'hommages, beaucoup de ressentiment

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

17 avril 2014

Paris, France --  « Les Laboratoires Servier et tous leurs collaborateurs ont appris avec une immense tristesse le décès de leur Président-Fondateur, le Docteur Jacques Servier, décédé à son domicile le 16 avril 2014 dans sa quatre-vingt-treizième année », a relaté, laconiquement, la communication des laboratoires Servier, hier dans la soirée.

Dr Jacques Servier

Attendu, ce décès n'en a pas moins ébranlé le petit monde de la santé qui n'a pas salué, loin s'en faut, la mémoire du fondateur du deuxième groupe pharmaceutique français, ternie par l'affaire du Médiator®.

Parmi les premières à réagir, le Dr Irène Franchon , la pneumologue qui avait été à l'origine des révélations sur le Médiator®. A nos confrères du Parisien, elle déclarait : « Il reste à écrire la vraie histoire des laboratoires Servier, une entreprise liée à la personnalité de Jacques Servier marquée du sceau de l'influence, du secret, du complot, de la mégalomanie ». En ajoutant : « c'était un manipulateur, un escroc.»

Guère plus amène, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, déclarait ce matin sur les ondes de France Inter que le nom de Jacques Servier « restera associé au scandale gigantesque » du Mediator. Jacques Servier « a créé un grand groupe industriel mais ce qui restera de lui, c’est ce scandale sanitaire [...]. Ce scandale a marqué notre pays et on ne peut pas ne pas avoir aussi une pensée pour les victimes », a-t-elle déclaré.

 
[Jacques Servier] a créé un grand groupe industriel mais ce qui restera de lui, c’est ce scandale sanitaire [...]. Ce scandale a marqué notre pays et on ne peut pas ne pas avoir aussi une pensée pour les victimes Marisol Touraine
 

Une réussite industrielle et commerciale indéniable

C'est en 1954 que Servier se lance dans l'aventure entrepreneuriale, en reprenant un laboratoire fabriquant du sirop. En 2013, le laboratoire enregistrait un chiffre d’affaires de 4,2 milliards d’euros.

Quatre-vingt-onze pourcents des médicaments Servier sont consommés en dehors de la France, précise le groupe. Vingt-sept pourcents du chiffre d’affaires des médicaments Servier ont été réinvestis en Recherche et Développement en 2013.

Son développement, ajoute la communication de Servier, repose sur la recherche constante d’innovation dans les domaines thérapeutiques des maladies cardiovasculaires, métaboliques, neurologiques, psychiatriques, osseuses et articulaires ainsi que le cancer.

Le côté obscur de la force

Si le laboratoire Servier est  l'une des grandes réussites économiques françaises, contribuant à hauteur de 35% à l'excédent de la balance commerciale française dans le secteur de la pharmacie, employant 21 000 personnes et  présent dans plus de 140 pays, il a surtout, ces dernières années, été au cœur d'un vaste scandale sanitaire, dont les suites judiciaires ne risquent pas de s'éteindre avec le décès de son président-fondateur.

Dès 1997, les laboratoires Servier, sous la pression de deux médecins, ont dû retirer du marché deux coupe-fins, l'Isoméride®, et le Ponderal®. 

Mais c'est le benfluorex, commercialisé sous la marque Mediator®, qui allait jeter le discrédit sur le laboratoire. Pneumologue au CHU de Brest, le Dr Irène Frachon, après deux ans d'enquête, publiait en 2009 un ouvrage à charge contre ce médicament antidiabétique, mis sur le marché en 1974 plus souvent utilisé, hors AMM, comme coupe-faim [1].

Poursuivi pour diffamation, Irène Frachon n'en aura pas moins sensibilisé l'opinion publique sur les méfaits du Mediator®, soupçonné d'avoir causé la mort de centaines de personnes des suites de valvulopathies.

En 2009, ce médicament est retiré du marché. En 2010, une enquête de l'Afssaps, colligeant les données SNIIRAM, PMSI et INSEE estime le nombre de décès attribuables à la prise de Mediator à 500 (estimation de 1979 à 2009, 7 millions de personnes-années).

Les manquements de la régulation, les liens d’intérêt des experts

Dès 2010, le nouveau ministre de la santé qui succède à Roselyne Bachelot, Xavier Bertrand, commande un rapport à l'Igas sur le benfluorex, rendu en janvier 2011.

Les conclusions de cette enquête, rédigé entre autres par Aquilino Morelle, l'actuel conseiller politique du président François Hollande, sont accablantes pour le laboratoire Servier, mais aussi pour le système français de surveillance du médicament, et en particulier l'Afssaps.

Ainsi, pendant 10 ans, le retrait du benfluorex, molécule du Mediator®, ne sera jamais inscrit à l'ordre du jour de la Commission nationale de pharmacovigilance (CNPV) même si les Comités techniques de pharmacovigilance (CTPV) ont abordé la question au cours de … 17 réunions.

En menant leur enquête, les inspecteurs ont relevé le « poids des liens d'intérêt des experts contribuant aux travaux » de l'agence, des liens qui sont financiers ou naturels.

Résultat, Xavier Bertrand décide de remettre à plat tout le système de pharmacovigilance, et fait voter en décembre 2011 la loi de renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Cette loi crée la toute nouvelle Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) en lieu et place de l'Afssaps, et renforce la surveillance des liens d'intérêt des experts du médicament.

Les tribunaux sont saisis

Servier n'en a pas pour autant terminé avec le Mediator®. En mai 2012, le premier procès des laboratoires Servier s'ouvre au tribunal correctionnel de Nanterre. Plus de 600 victimes se sont portées partie civile, face à cinq prévenus, dont Jacques Servier.

Une autre instruction est en cours pour « homicides et blessures volontaires ». Elle est menée par le pôle santé du Tribunal de grande instance (TGI) de Paris et devrait, elle, prendre plusieurs années avant d'aboutir à un procès.

Le 11 décembre 2012, Jacques Servier est lui-même mis en examen.

L'expertise judiciaire menée par le TGI de Paris, rendue publique en avril 2013, révèle que le benfluorex, serait à l'origine du développement de valvulopathies et d'hypertension artérielle pulmonaire. Conséquences : entre 220 et 300 morts à court terme sont imputables, selon eux, à une valvulopathie. Ces chiffres s'élèvent à 1 300 et 1 800 à long terme. Le Mediator® serait également en cause dans les hospitalisations pour insuffisance valvulaire de 3 100 à 4 200 cas.

Référence
  1. Médiator 150 mg. Combien de morts

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