L’éducation thérapeutique, barrage contre la déshumanisation de la médecine

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

27 mars 2014

Paris, France -- A l’occasion du congrès de la Société Francophone du Diabète 2014 [1], Philippe Barrier a livré son point de vue de philosophe et de diabétique, double greffé reins et pancréas, sur l’éducation thérapeutique (ETP) et la place du patient dans le système de soin. Morceaux choisis.

Education thérapeutique : une école de la relation médecin-patient

Philippe Barrier

Dans le soin, il est souvent difficile de « déterminer des positionnements éthiques et thérapeutiques au sein de la relation» entre  les différents acteurs, soignants-soignés, considère Philippe Barrier. Quelle marge d’autonomie pour le patient ? Où placer le curseur de la balance bénéfique/risque entre une « certaine objectivation nécessairement aliénante » et « un patient potentiellement plus libre mais moins soutenu ».
Pour sortir à la fois de ce dilemme et des « formules bien-pensantes », le philosophe propose non pas « placer le patient au centre de la relation » comme on l’entend souvent ces derniers temps mais bien de mettre « la relation elle-même au centre des préoccupations du soignant ». Puisque, selon lui, la qualité de la relation conditionne celle du soin, en particulier dans le cadre de la maladie chronique, il lui semble que « l’éducation thérapeutique pourrait être cette école de la relation. »

Les origines de l’éducation thérapeutique

L’histoire de l’éducation thérapeutique commence à Bâle en 1979 avec la publication par Jean-Philippe Assal, un diabétologue suisse, d’une étude, écrite en collaboration avec un psychosomaticien et intitulée « le vécu du malade diabétique ». « A l’époque, mettre au centre d’une étude médicale le vécu du patient et en faire le pivot de toute une réflexion sur le soin est complètement novateur » explique le philosophe. Par la suite, Jean-Philippe Assal mettra en place les premiers ateliers d’éducation thérapeutique dans le service de diabétologie de l’hôpital cantonal de Genève et consacrera  toute sa carrière à l’expérimentation et au perfectionnement de cette pratique médicalement novatrice.

Le premier mérite de l’ETP est de considérer l’homme et non pas la maladie

 « Le premier mérite historique de l’éducation du patient, c’est donc d’avoir rappelé à la fois théoriquement et concrètement que le médecin s’intéresse à des hommes et non à des maladies ».
Il faut dire qu’avec le développement  d’une approche scientifique de la médecine, l’homme n’a cessé de disparaitre au profit de l’exploration du corps, de l’intérêt pour la maladie, pour son exploration et sa prise en charge : il est devenu peu à peu un « pur objet de connaissance et de manipulation ».
D’un point de vue historique, la tendance de la médecine occidentale à « exclure le malade de la connaissance de sa maladie » ne date pas d’hier. Depuis longtemps, « le savoir [est] réservé aux membres adoubés de la corporation – qui est d’abord une secte – il est quasi sacré » a rappelé Philippe Barrier. Il faudra attendre Hippocrate pour « désacraliser la maladie elle-même, [de] lui ôter son caractère de destin inéluctable ou de punition divine et [d’] en faire une réalité à l’intérieur de l’homme de l’individu humain singulier ».

 
Le premier mérite historique de l'éducation du patient, c'est donc d'avoir rappelé à la fois théoriquement et concrètement que le médecin s'intéresse à des hommes et non à des maladies Philippe Barrier
 

La naissance de la biologie n’arrange rien : « la vie psychique est méthodiquement mise à l’écart et réservée à des spécialistes de l’âme qui auront à l’objectiver pour en bâtir la science. L’homme se trouve donc, en quelque sorte, divisé. Il perd son unité, qui consiste en sa globalité somato-psychique. Pour les sciences, il est de moins en moins un sujet, c’est-à-dire une liberté ».
Heureusement, « la continuelle pratique de la clinique […] permet à la  médecine de recoller les morceaux et de ne pas tout-à-fait oublier l’homme derrière le malade. »

Se méfier de la fascination aveugle de la technicité

Aujourd’hui, c’est un nouveau risque qui se profile,  celui de voir patients et soignants submergés par la technicité de la médecine contemporaine. Et ce n’est pas tout : « si l’on ajoute à cela l’introduction récente de méthodes managériales de gestion des hôpitaux et une conception purement financière de leur économie qui fait souffrir leur personnel et semble nier la spécificité du soin, on comprend à quel point la tentation est grande aujourd’hui, pour une médecine menacée dans son essence même, de se réfugier dans la pure technicité et l’exécution mécanique de protocoles ».
Philippe Barrier tient à préciser que « c’est moins la technicité ou la grande scientificité de la médecine contemporaine qui sont à craindre que cette fascination qu’elles exercent, tant sur les médecins que sur les patients, qui sont tout autant demandeurs de leurs folles prouesses. » Et de faire le constat que : « la fascination aveugle et mène à des comportements irrationnels. »
Pour lutter contre cette relative déshumanisation de la pratique médicale, une solution : l’éducation thérapeutique.
Aussi cruciale qu’elle soit, cette dernière n’est pas à l’abri des obsessions du moment, et notamment celle de l’évaluation tout azimut. Peu adaptée à l’éducation à la santé des personnes malades, l’évaluation à outrance serait « réductionniste » et même « contre-productive ». Explication du philosophe : «  l’excellence véritable, c’est-à-dire l’efficience, n’est pas dans la performance, c’est-à-dire dans le toujours plus ou le toujours mieux, elle est dans la capacité à produire régulièrement et de manière durable un effet attendu ou même inespéré ».

Quand le patient se trompe ou ne fait pas : comprendre les raisons

Il ne faut pas avoir peur de se tromper. « L’erreur, l’échec font partie du processus d’acquisition d’un savoir ou d’une pratique et c’est une maltraitance pédagogique de les sanctionner ». Philippe Barrier va encore plus loin, jusqu’ aux fondamentaux de l’éducation thérapeutique : « il faut comprendre les raisons de se tromper, ou de ne pas faire, c’est-à-dire dans la maladie chronique, de ne pas se soigner, ce qui signifie le plus souvent ne pas bien se soigner ». Une non-observance souvent mal vécue par les professionnels de santé, tant elle remet en cause leur « devoir de bienfaisance » et menace leur  « autorité bienveillante ».
Et de rappeler que « le déni et le refus de la maladie sont des attitudes psychiquement saines et normatives [bien qu’elles soient catastrophiques d’un point de vue biomédical] ».
Plutôt que d’ « agir immédiatement, de mettre en place des stratégies, c’est-à-dire des techniques de manipulation qui détériorent la qualité de la relation médecin-patient », l’orateur conseille aux médecins et aux soignants de faciliter chez le patient par une « écoute ouverte et la compréhension, une sorte de digestion psychique qui lui permette progressivement de s’approprier la maladie plutôt que de tenter de le cerner par des interrogatoires ». Un tel positionnement « constitue un moyen efficace de décantation psychique des affects négatifs de la maladie qui bloque et font dysfonctionner l’aptitude du patient à se bien soigner ».
« La confiance retrouvée du patient envers un médecin qui l’écoute peut permettre d’entamer ensemble un parcours fondamental, favoriser chez le patient le développement, l’entretien et l’épanouissement de cette aptitude au soin qu’on se porte à soi-même » conclut l’orateur.

Philippe Barrier est Docteur en Sciences de l'Education, Enseignant associé à l'Espace Ethique AP/HP. Il est l'auteur des ouvrages « La blessure et la force -- l'expérience de la maladie et la relation de soin à l'épreuve de l'auto-normativité » et « Le patient autonome », Paris, P.U.F., 2010 et 2014.

 

Référence
  1. P. Barrier (Paris). Un point de vue philosophique sur l'ETP. Session Éducation thérapeutique : approche centrée sur le patient. SFD 2014. Mercredi 12 mars.

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