Nouveaux anticancéreux et dysglycémies : un sujet sérieux

Pascale Solère

Auteurs et déclarations

25 mars 2014

Paris, France -- Des recommandations d'experts français sur la gestion du risque métabolique lié à des thérapies ciblées de plus en plus largement utilisées en oncologie -  anti mTor (évérolimus,..) et IKT (sorafénib, sunitinib...) - viennent d'être publiées dans le Bulletin du Cancer [1]. Elles ont été exposées par le Pr Bruno Verges (CHU de Dijon) lors de la session consacrée à ce thème au congrès de la Société Francophone du Diabete (SFD) [2]. Avec l'éclairage du Dr Romain Coriat (CHU Cochin), devant une salle comble témoignant de l'intérêt des diabétologues pour cette problématique tout à la fois nouvelle, délicate à gérer en pratique clinique et de plus en plus fréquente.

Un risque glycémique et lipidique « nouveau » en cancérologie

« Les anti mTor comme l'évérolimus sont de plus en plus prescrits. Ils ont en effet fait leurs preuves dans des tumeurs endocrines comme le cancer avancé du pancréas mais aussi plus récemment dans les cancers du sein hormono-dépendants avancés. Tandis que les inhibiteurs de tyrosine kinase (IKT) indiqués notamment dans les cancers rénaux et les carcinomes hépatiques avancés se multiplient » souligne en préambule le Pr Romain Coriat (CHU Cochin).

 
Ce risque de complications métaboliques est relativement nouveau en oncologie. On avait plus l'habitude des complications digestives, hématologiques, infectieuses… Dr Romain Coriat (CHU Cochin)
 

« Or, aux posologies carcinologiques, les anti mTor sont associés à un risque métabolique avec des hyperglycémies et des hyperlipidémies allant jusqu'à des grades 3-4 (Grade 3: 2,5 g/l< Glycémie < 5 g/l, Grade 4: Glycémie > 5 g/l). Et les IKT visant la partie intra-membranaire de la protéine, type sorafénib, sunitinib sont associées à un risque glycémique réunissant de manière assez inattendue des hyperglycémies (15 à 40%) mais aussi des hypoglycémies majeures sous sunitinib, imatinib, pazopanib » explique R. Coriat.
« Dans les études des mTor en oncologie versus placebo, le taux d'hyperglycémie est multiplié par 3 et celui d'hyperglycémie sévère par 5 [3]. Elles sont fréquentes - hyperglycémie: 12 à 50%, hyperglycémies sévères 4 à 12% - et essentiellement liées à une insulinorésistance. S'y ajoute une hyperlipidémie: - hyper triglycéridémie(RR=2) et hyper TG sévères RR=2, hyper cholestérolémie (RR=3) et hyper cholestérolémie sévère (RR=7)[ 3]. Avec globalement versus placebo une augmentation du cholestérol total de  25 à 65%, du LDLc de 70% et des triglycérides de 55 à 85%, qui apparaissent précocement, dans les deux premiers mois de traitement » résume B. Vergès.
Encadré :

Des doses moindres d’anti mTor en transplantologie
Si les anti mTor (sirolimus, temsirolimus, évérolimus) sont depuis longtemps utilisés chez les greffés c'est à des posologies 10 fois inférieures aux posologies cancérologiques. Et la toxicité métabolique est dose-dépendante... Néanmoins chez les greffés ces traitements sont une cause indépendante d'hyperlipidémie (TG et LDLc).

« Enfin ce risque de complications métaboliques est relativement nouveau en oncologie. On avait plus l'habitude des complications digestives, hématologiques, infectieuses... » souligne R Coriat. Les premières recommandations d'experts sont donc bienvenues.

Recommandations pratiques pour la surveillance sous anti m TOR

1. Bilan préthérapeutique: - bilan lipidique complet (cholestérol, TG, HDLc, calcul du LDLc ) en observant bien les 12 heures de jeune. Si TG 4 g/l, dosage du LDLc direct et de l'Apo B, glycémie à jeun, HbA1c.
2. Lipides: Si anomalie lipidique: démarrer l'hypolipémiant AVANT le traitement par m Tor. En absence d'anomalie suivre toutes les 2 semaines lors du 1er cycle puis à chaque cycle.
- La cible du traitement en LDLc varie  de 1,9 à 1 g/l suivant le nombre de facteurs de risque. A contrôler à 2 mois. Mais attention on ne peut pas prescrire n'importe quelle statine. C'est la PRAVASTATINE, voire la fluvastatine ou la rosuvastatine en 2nd intention, seules à ne pas interagir avec le Cyt P450 impliqué dans métabolisme des mTor, qui sont recommandées.(simvastatine et atorvastatine sont des inducteurs du P450..)
- Si TG  > 4 g/l et LDLc normal par rapport aux facteurs de risque: avis diététique plus fénofibrate, si en plus LDL élevé, avis spécialisé (prescription éventuelle de statine plus fibrate).
3. Glycémie en fonction du bilan préthérapeutique et des antécédents :
- bilan normal, suivre la glycémie /15 jours le 1er mois puis tous les mois puis l'HbA1c /3 mois,
- patient à risque: 1,1 g/l<glycémie ≤1,25g/l , 6 < HbA1c ≤6,4%: envisager autocontrôle,
- glycémie à jeun ≥ 1,26 g/l ou glycémie ≥  2 g/l ou HbA1c ≥ 6,5%: metformine,
-  sujet diabétique: intensification du traitement et suivi.
Et si hyperglycémie > 2,5 g/l, contrôler la cétonurie et demander avis spécialisé.
Si non contrôle sous metformine seule, demander avis diabéto.

 

Recommandations pratiques pour la surveillance sous IKT

Vu le risque non seulement d'hyperglycémies mais aussi d'hypoglycémie et l'absence de risque lipidique :
1. Bilan pré-thérapeutique: - glycémie à jeun, - HbA1c.
2. Glycémie:
- glycémie à jeun tous les 15 jours le premier mois puis tous les mois et HbA1c tous les 3 mois
- renforcement de l'auto surveillance chez le diabétique connu (risque de détériorations mais aussi d'améliorations ...)
- éducation des patients (non diabétiques) à reconnaître les signes d'hypo et d'hyper ( soif..)

 

Le Pr Bruno Verges ne déclare pas de conflits d’intérêts.

 

Références :

1. Lombard-BohasC et al, Bull Cancer 2014, fev 21
2. Thérapies ciblées en cancérologie: prise en charge des conséquences métaboliques. SFD 2014.
3. Sivendran S et al. Cancer Treatment Reviews 2014; 40:190-96.
 

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