La cardiomyopathie diabétique : une entité clinique à part

Adélaïde Robert-Géraudel

Auteurs et déclarations

21 mars 2014

Paris, France – La cardiomyopathie diabétique est une entité clinique à part dont on commence à peine à entrevoir les mécanismes sous-jacents.
Contrairement à la cardiomyopathie classique, celle-ci est liée à un excès et non un défaut de substrats, expliquait le Pr Christophe Beauloye (Université catholique de Louvain, Bruxelles, Belgique) lors du congrès de la Société Francophone du Diabète (SFD)[1].
Alors que le cœur d’un insuffisant cardiaque non diabétique utilise davantage de glucose et présente une altération de l’oxydation des acides gras, le cœur malade d’un diabétique libère et utilise davantage d’acides gras et capte moins de glucose.
On retrouve ainsi, parmi les principaux effecteurs de la maladie, une altération du métabolisme énergétique cellulaire, une dysfonction mytochondriale avec production insuffisante d’ATP, un stress oxydant majoré avec la production d’espèces radicalaires et une insulinorésistance.
Au niveau du cardiomyocyte, le co-transporteur sodium/glucose (SGLT) pourrait jouer un rôle dans la toxicité du glucose.
La dysfonction diastolique ne serait pas le premier marqueur de l’IC du diabétique

Du point de vue clinique, la cardiomyopathie diabétique est le plus souvent considérée comme survenant en l’absence d’hypertension et d’ischémie myocardique, et donnant lieu avant tout à une dysfonction diastolique (insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée).

 
Il y a un remodelage subtil chez le patient diabétique et beaucoup plus marqué chez la femme Pr Geneviève Derumeaux (Créteil)
 

Pour le Pr Geneviève Derumeaux (Créteil) [2] cette dysfonction diastolique, bien que fréquente chez le sujet diabétique, ne serait toutefois pas spécifique au diabète et surtout, ne serait pas forcément le premier marqueur d’insuffisance cardiaque chez le patient diabétique. Il peut exister une dysfonction systolique très subtile, invisible à l’échocardiographie classique.
« Il faut sortir des simples mesures de vélocité et y ajouter le flux mitral entrant, le flux veineux pulmonaire et la vitesse de déplacement de l’anneau, mais aussi l’analyse de la déformation myocardique », a-t-elle souligné.
En cas de cardiomyopathie diabétique, le cœur ne montre pas une déformation homogène. « La déformation est diminuée dans la région basale, au niveau du septum interventriculaire ».
En multipliant les coupes, on peut visualiser des altérations précliniques, surtout sur le plan médian et basal de la paroi septale.

Les paramètres de déformation myocardique sont en outre associés à la fibrose interstitielle et, selon des travaux non publiés, à des biomarqueurs circulants du collagène, a précisé le Pr Derumeaux.
Certains patients présentent aussi une hausse du volume mitral alors même que certains sont asymptomatiques.
« Il y a un remodelage subtil chez le patient diabétique et beaucoup plus marqué chez la femme. Il est important de rapidement le repérer car les données montrent que le pronostic est très vite altéré », a-t-elle insisté.
Pas d’adaptation de traitement au statut diabétique
L’efficacité des traitements de l’insuffisance cardiaque ne diffèrent pas suivant le statut diabétique mais selon qu’il s’agit d’une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection altérée ou préservée.

 
Il n’y a donc pas de preuves suffisantes pour motiver une adaptation du traitement de l’insuffisance cardiaque au statut diabétique/non diabétique Dr Nicolas Girerd (Nancy)
 

« Aucun traitement de l’insuffisance cardiaque n’a démontré son efficacité sur une baisse conséquente de la morbi-mortalité de patients présentant une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée », a souligné le Dr Nicolas Girerd (Nancy) [3].
Il reste à éclaircir si, pour l’aldactone, une interaction avec le diabète se vérifie. Pour l’heure, l’essai TOPCAT , dont les résultats sont apparus neutres, est difficile d’interprétation étant donné les importantes différences entre les centres nord et sud-américains d’une part et russes et géorgiens d’autre part, a souligné le cardiologue.
En revanche, en cas d’insuffisance cardiaque « classique », ces traitements « classiques » offrent les mêmes bénéfices aux patients diabétiques et non-diabétiques.
Chez un sujet diabétique, les bêta-bloquants ne sont donc non seulement pas contre-indiqués mais sont aussi efficaces que chez un non diabétique, tandis que les IEC ont un effet inférieur sur la mortalité mais plutôt supérieur sur les hospitalisations. Par ailleurs, les ARAII semblent également associés à moins d’hospitalisations.
Quant aux antagonistes du récepteur aux minéralocorticoïdes, ils auraient plutôt un effet supérieur sur le critère combiné mortalité et hospitalisation chez les sujets diabétiques.
Enfin, aucun signal négatif pour les traitements électriques. Pour les défibrillateurs, « si l’on s’en réfère à l’étude la plus importante (MADIT), il n’y a pas d’interaction entre ces traitements et le diabète ». Et pour les appareils de resynchronisation, l’étude RAFT , qui ne présentait qu’un petit contingent de patients diabétiques, indique même une tendance non significative à un plus grand bénéfice.
« Il n’y a donc pas de preuves suffisantes pour motiver une adaptation du traitement de l’insuffisance cardiaque au statut diabétique/non diabétique », estime le Dr Girerd.

La prévention serait la piste d’avenir, reste à repérer les patients à risque

La question du traitement spécifique de la cardiomyopathie diabétique se pose évidemment mais « elle est encore du domaine de la recherche, pas de la clinique », a expliqué le Dr Girerd.
« Il n’existe aucun essai clinique randomisé de morbi-mortalité ayant pour critère d’inclusion la cardiomyopathie diabétique », a-t-il regretté.
Un seul essai, RECOGITO, dirigé par une équipe de l’université de Rome La Sapienza, s’intéresse à la réponse au tadalafil, un inhibiteur de la phosphodiestérase 5 (PDE5) chez ce type de patients. Le critère d’évaluation est toutefois un peu limité puisqu’il s’agit de la différence de torsion du ventricule gauche entre 0 et 6 mois.
« Il n’y a donc pas de message clair sur le traitement spécifique de l’insuffisance cardiaque chez le diabétique mais on aura sans doute des réponses plus claires avec le projet européen FP7, dans quelques années », a-t-il conclu.
Une chose est sûre, le concept de « pré-insuffisance cardiaque » chez le diabétique est important : la prévention prend tout son sens et représente une piste d’avenir.
Face à la multitude de patients, elle implique toutefois une méthode de screening efficace des patients à risque d’évolution vers l’insuffisance cardiaque et à forte probabilité de réponse à tel ou tel traitement préventif.
Une piste est à l’étude, dans le cadre du projet HOMAGE, avec l’aldactone, les patients étant identifiés sur des critères génétiques ou protéomiques. Mais il s’agit d’une étude portant sur des biomarqueurs et non des critères de morbi-mortalité, faute de moyens, a déploré le Dr Girerd.

Les orateurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêt.


Références :

  • Beauloye C. Cardiomyopathie diabétique : où en sommes-nous ? Mécanismes cellulaires de la cardiomyopathie. Congrès de la Société Francophone du Diabète. Paris, 13 mars 2014.

  • Derumeaux G. Cardiomyopathie diabétique : où en sommes-nous ? Comment diagnostiquer une insuffisance cardiaque chez le sujet diabétique. Congrès de la Société Francophone du Diabète. Paris, 13 mars 2014.

  • Girerd N. Cardiomyopathie diabétique : où en sommes-nous ? Traitements de l’insuffisance cardiaque chez le sujet diabétiques.  Congrès de la Société Francophone du Diabète. Paris, 13 mars 2014.

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