Prescrire des gliptines aux diabétiques 2 : pour ou contre ?

Dr Isabelle Catala

Auteurs et déclarations

14 mars 2014

Paris, France -- Le Dr Bruno Toussaint, directeur éditorial de la revue Prescrire - qui a classé début 2014 les inhibiteurs DPP-4 ou gliptines, comme des médicaments dont la balance bénéfices/risques est défavorable dans toutes les situations - a été invité à participer à un débat  avec le Pr Bernard Charbonnel, endocrinologue et interniste (CHU de Nantes) sur la place de cette classe thérapeutique à l’occasion du congrès de la Société Francophone du Diabète 2014 [1,2].

L’état des lieux pour la revue Prescrire

Depuis 1999, la recommandation de la revue Prescrire sur le traitement du diabète n’a pas été modifiée : « pour le traitement initial chez les diabétiques de type 2 ne présentant pas de surpoids il est préférable de choisir le glibenclamide (sulfamide)…
En cas de surpoids, le traitement de première intention devrait être la metformine.
En cas d’échappement glycémique, il semble préférable de ne pas conseiller l’association sulfamides hypoglycémiants+metformine. « On ne dispose pas d’alternative ayant démontré un rapport bénéfices/risques favorable dans cette situation » [3]. Cette recommandation repose sur les analyses post-hoc de l’ UKPDS .
En 2009, la revue mettait en garde contre l’association sulfamides-metformine, « un risque de surmortalité aussi connu qu’occulté » [4].
La revue Prescrire d’octobre 2013 analysait les nouvelles recommandations HAS sur le traitement du diabète de type 2. « La méthodologie est bonne, la recherche documentée est adaptée. Les experts ayant des conflits d’intérêt ont été écartés. Certaines des recommandations sont probablement utiles mais la place faite aux gliptines est incompréhensible. Dans l’intérêt des patients, mieux vaut ignorer ces recommandations lors du choix du traitement hypoglycémiant » [5].
En novembre 2013, cette même revue précisait que « la metformine ou le glibenclamide sont à utiliser en monothérapie en première ligne. Quand une monothérapie ne suffit pas, le choix est délicat. Il semble que l’association metformine + glibenclamide augmente la mortalité. Mieux vaut utiliser l’insuline ou renoncer à une HbA1c à 7% » [6].
Enfin, début 2014, les gliptines ont été classés par Prescrire comme des médicaments dont la balance bénéfices/risques est défavorable dans toutes les situations cliniques [7].

 
Les gliptines n'ont pas d'efficacité clinique démontrée sur les complications du diabète et ont un profil d'effets indésirables chargé Revue Prescrire.
 

« Les gliptines n’ont pas d’efficacité clinique démontrée sur les complications du diabète et ont un profil d’effets indésirables chargé, notamment : des réactions d’hypersensibilité graves, des infections surtout urinaires et des voies respiratoires hautes et des pancréatites ».

Le point de vue du Dr Bruno Toussaint

En pratique, pour la revue Prescrire, « il convient « d’abord de ne pas nuire » et d’éviter de faire courir des risques qui ne sont pas justifiés par les données d’évaluation de l’efficacité. Pour les DPP-4 inhibiteurs, les critères d’efficacité choisis sont des critères intermédiaires qui ne sont pas une fin en soi mais seulement une sorte de compromis imparfait et discutable en attendant des résultats sur des critères plus pertinents mais plus longs à obtenir.
S’il est donc possible de s’intéresser aux critères intermédiaires il ne faut pas s’y arrêter. Ainsi, pour les gliptines, on ne dispose que de deux résultats en termes de mortalité globale : 4,9 % de mortalité avec les gliptines contre 4,2 % avec le placebo dans l’étude SAVOR et 5,7 % contre 6,5 % dans l’étude EXAMINE. Donc une majoration mais non significative du risque pour l’un des deux médicaments.
En termes d’événements cardiovasculaires majeurs (MACE), les taux sont respectivement de 7,3 % avec la gliptine et 7,2 % avec le placebo pour l’étude SAVOR et 11,3 % et 11,8 % pour l’étude EXAMINE. Mais ce critère regroupe des évènements aux conséquences diverses : des infarctus du myocarde avec 95 % de survie étudiés simultanément avec des décès.
La DPP-4 est largement présente dans le corps humain – lymphocytes T, reins, glandes salivaires, prostate… – et c’est ce qui pourrait être à l’origine d’effets indésirables à court ou moyen terme : infections, réactions d’hypersensibilité, troubles rénaux, rares pancréatites et peut être insuffisances cardiaques. A long terme, des troubles rénaux, des pancréatites voire des cancers pourraient survenir ».

L’avis du Pr Bernard Charbonnel

« La metformine et les sulfamides sont de bons antidiabétiques oraux avec l’avantage d’être bon marché. Ils ont évidemment une place importante dans la stratégie de traitement.
Mais de quel niveau de preuve la revue Prescrire dispose-t-elle pour ne retenir que le seul glibenclamide en bithérapie avec la metformine et rejeter, chez tous les patents, les DPP4-inhibiteurs lors de l’intensification du traitement oral ? », demande le Pr Charbonnel.

 
De quel niveau de preuve la revue Prescrire dispose-t-elle pour ne retenir que le seul glibenclamide en bithérapie avec la metformine et rejeter, chez tous les patents, les DPP4-inhibiteurs lors de l'intensification du traitement oral ? Pr Bernard Charbonnel (CHU de Nantes).
 

« L’utilisation des sulfamides et de l’insuline permet de réduire les complications micro-vasculaires, mais ne réduit pas les complications cardio-vasculaires (UKPDS) », ajoute-t-il.
« Le recours aux sulfamides est sûr à l’égard du système cardio-vasculaire en monothérapie mais il majore la mortalité en combinaison avec la metformine (UKPDS).
En revanche, l’étude UGDP concluait à une majoration du risque cardio-vasculaire en monothérapie. Aucune étude moderne n’a, depuis la date de publication de ces deux études anciennes, examiné la question du risque cardio-vasculaire avec les sulfamides hypoglycémiants. En revanche deux grands essais (SAVOR, EXAMINE) ont démontré la sécurité d’utilisation cardio-vasculaire des inhibiteurs DPP-4.
Comparer SAVOR et EXAMINE à l’UKPDS sans avoir posé clairement les différences majeures d’objectif et de méthodologie est un contre-sens.
Par ailleurs, l’analyse détaillée des effets indésirables rapportés dans les études SAVOR et EXAMINE ne permet pas de retrouver la majoration des effets indésirables alléguée par Prescrire en terme d’infections respiratoires et urinaires, de réactions d’hypersensibilité graves, de pancréatites, de cancer.
Promouvoir les sulfamides pourrait induite une majoration des hospitalisations pour hypoglycémies (10 000 par an aux Etats-Unis) et peut-être majorer le risque cardio-vasculaire puisque le glibenclamide, plus que tous les autres sulfamides, perturbe le pré-conditionnement ischémique autrement dit l’adaptation du myocarde à des précédents épisodes ischémiques mineurs ».
Et le Pr Charbonnel de conclure « ce n’est pas parce que l’on a des conflits d’intérêt qu’on doit se taire. Pourquoi militer contre une recherche pharmacologique destinée à trouver de nouveaux agents antidiabétiques qui ne présentent pas le risque hypoglycémique des vieux médicaments ? Pourquoi considérer le risque hypoglycémique comme anodin et sans importance clinique  puisque le lien entre hypoglycémies et mortalité a été largement démontré ?
Les DPP-4 inhibiteurs ne constituent en rien une panacée et leur absence de bénéfice cardio-vasculaire intrinsèque est évidemment décevante. Mais les proscrire dans toutes les indications quoi qu’il arrive au profit des sulfamides ne s’appuie pas sur des données scientifiques disponibles.
On peut donc conclure, conformément aux recommandations HAS, que les DPP-4 inhibiteurs ont leur place dans l’arsenal thérapeutique pour individualiser le choix de traitement chez un certain nombre de patients, en particulier les patients fragiles chez qui on veut éviter une hypoglycémie ».

Le Dr Bruno Toussaint ne déclare aucun conflit d'intérêt
Le Pr Bernard Charbonnel déclare des conflits d'intérêt avec les laboratoires Merck-Serono, Takeda, GlaxoSmithKline, Merck Sharpe&Dohme, AstraZeneca, Bristol Myers Squibb, Boerhinger-Ingelheim, Novo-Nordisk, Lilly, Janssen, Sanofi et Novartis

 

Références
  1. Toussaint B. Une gliptine, pour quoi faire ?

  2. Charbonnel B. Les inhibiteurs de la DPP4 : pourquoi s'en priver en 2014 ?

  3. La revue Prescrire Juin 1999/Tome 19, n°196

  4. Association sulfamides-metformine, un risque de surmortalité aussi connu qu'occulté ». La revue Prescrire Septembre 2009/Tome 29, n°311

  5. Traitement du diabète de type 2 : effets indésirables des gliptines négligés dans les recommandations HAS. La revue Prescrire Octobre 2013

  6. Les hypoglycémiants dans le diabète de type 2. La revue Prescrire Novembre 2013

  7. Prescrire.org : les 68 médicaments dont la balance bénéfice risque est défavorable dans toutes les situations. Bilan 2014 des médicaments à écarter

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....