Grand âge : le risque CV justifie-t-il le risque de chute grave sous antihypertenseurs ?

Larry Hand, Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

5 mars 2014

Paris, France -- Les personnes âgées recevant des antihypertenseurs et souffrant de comorbidités multiples ont plus de risque de chuter et de se blesser sévèrement que les autres. Le risque serait même doublé chez les personnes qui ont déjà chuté au cours de l’année précédente.

Ces résultats, publiés dans l’édition en ligne du 24 février du JAMA Internal Medicine [1] corroborent notamment, ceux d’une étude parue en 2012 dans les Archives of Internal Medicine a montré que l'instauration d'un traitement antihypertenseur chez une personne âgée en institution s'accompagne d'une augmentation de 43% du risque de fracture de hanche [2].

Dans cette nouvelle étude, le Dr Mary E. Tinetti et coll. (service de gériatrie et de medicine interne,Yale School of Medicine, New Haven, Etats-Unis) ont analysé les données de 4961 adultes hypertendus de plus de 70 ans (moyenne d’âge 80,2 ans) inclus entre 2004 et 2007 dans l’enquête Medicare Current Beneficiary Survey, un échantillon représentatif de bénéficiaires du système d’assurance santé publique Medicare. Les patients ont été suivis jusqu’en 2010.

Un risque accru de blessures sévères après ajustement

Sur les 4961 participants, 697 (14,1%) n’avaient pas de prescription d’antihypertenseurs, 2711 (54,6%) recevaient une dose modérée et 1553 (31,3%) recevaient une forte dose. Parmi ceux qui étaient sous antihypertenseurs, 28,3% ne recevaient qu’une classe, 35,8% recevaient deux classes et 1607 (35,9%) recevaient 3 classes ou plus.

Les données concernant les blessures sévères suite à une chute provenaient du service des urgences et ont été rapportées par les patients.

Pendant l’étude, 446 (9%) des participants ont été victimes de blessures sévères suite à une chute et, notamment de fractures de hanche, de traumatismes crâniens et de luxations ; 58 ont été victimes de plusieurs blessures sévères.

Après ajustement pour les facteurs confondants, le risque relatif de faire une chute grave est de 1,40 dans le groupe qui reçoit des doses modérées d’antihypertenseurs et de 1,28 dans le groupe qui reçoit des doses fortes, par rapport aux non-utilisateurs.

Chute dans l’année précédente et doublement du risque


Dans le sous-groupe des 4621 patients qui étaient déjà tombés au cours de l’année précédente, le risque relatif de blessures sévères après une chute était même de 2,25  lorsqu’ils recevaient un antihypertenseur à doses modérées ou fortes comparé à 1,2 lorsqu’ils n’étaient pas tombés.

Les chercheurs n’ont pas observé de différences entre les différentes classes d’antihypertenseurs.

Abandonner la prescription systématique pour des décisions au cas par cas

« La morbidité et la mortalité associées aux blessures graves comme les fractures de hanche ou les traumatismes crâniens sont comparables à celles des événements cardiovasculaires. La toxicité éventuelle des antihypertenseurs devrait donc être évaluée chez les personnes âgées souffrant de plusieurs pathologies chroniques afin de décider s’il est pertinent de continuer le traitement antihypertenseur », notent les chercheurs.

Dans un éditorial accompagnant l’article, Sarah D. Berry et Douglas P. Kiel  (Institute for Aging Research, Hebrew Rehabilitation Center, Boston, Etats-Unis) estiment que le rapport-bénéfice risque doit être étudié au cas par cas.

« Pour les patients, ce n’est pas si simple. La plupart prennent au moins 10 médicaments lorsqu’ils atteignent leurs 70 ans et il a été montré de façon claire qu’au-delà de 10 médicaments, les effets secondaires commencent à augmenter. Si vous tombez, vos comorbidités explosent. Donc, tout ce que vous obtenez en abaissant votre pression artérielle commence à s’effriter  » a commenté le Dr Daniel E. Forman (Président du groupe de cardiologie gériatrique de l’American College of Cardiology, Boston).

« En dépit de toutes les données, en dépit de toutes ces études financées pour une grande partie par l’industrie qui montrent que vous devriez abaisser la pression artérielle […] nous n’atteignons pas nos objectifs. De différentes façons, cet article montre que la gériatrie n’en est qu’à ses débuts », explique-t-il.

Il ajoute qu’avec le vieillissement de la population, les médecins devront mieux stratifier les risques de leurs patients et identifier ceux qui pourraient bénéficier ou pas des antihypertenseurs. Reste que les données sur les populations âgées font défaut et qu’il est toujours délicat d’aborder toutes les complications liées à l’âge lors d’une consultation minutée.

Ce sujet a fait l'objet d'une publication dans Medscape.com

L’étude a été financée par le National Institute on Aging. Un des co-auteurs a rapporté recevoir des financements de Medtronic et 21st Century Oncology et faire partie du Conseil de Fair Health Inc. Les autres auteurs n’ont pas déclaré de liens d’intérêts en rapport avec le sujet. Le Dr Berry a rapporté recevoir des financements d’UptoDate et le Dr Kiel, d’UptoDate, des bourses d’ Amgen, Lilly, et Merck sans rapport avec le commentaire fait dans l’article, et être conseiller d’Ammonett Pharma, Merck, Amgen, et Lilly. Le Dr Forman n’a pas de liens d’intérêts en rapport avec le sujet.

 

Référence :

  1. Tinetti ME, Han L, Lee DS et coll. Antihypertensive Medications and Serious Fall Injuries in a Nationally Representative Sample of Older Adults. JAMA Intern Med. 2014 Feb 24

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