RTU du baclofène sans cesse repoussée : où se situe le blocage ?

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

27 février 2014

Paris, France—Annoncée d'abord pour l’été 2013, puis l’automne 2013, et janvier 2014, la Recommandation Temporaire d’Utilisation (RTU) qui devrait permettre de prescrire le baclofène dans le sevrage alcoolique en toute légalité se fait attendre.

Il y a quelques jours, le Figaro annonçait son obtention en mars mais, les experts restent sceptiques.

«  La RTU approche… mais est repoussée de mois en mois. On parle maintenant de mars, mais l'expérience nous a appris à être prudents », commente le Pr Bernard Granger, professeur de psychiatrie à l'université Paris Descartes et responsable du service psychiatrie à l'hôpital Tarnier (Paris).

Une tribune diffusée ce jour et co-signée par une vingtaine de médecins dont le Pr Granger, proteste contre les lenteurs du processus d’obtention de la RTU. Associations de patients et les médecins s’impatientent [1].

Mais, qu’est-ce qui freine ?

« C'est la première fois que cette procédure est appliquée. Nous essuyons les plâtres à la fois à la Commission nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) et à l'ANSM. Sans parler de points controversés de la RTU sur la dose maximale et de l'exclusion ou non des malades mentaux "graves" », explique le Pr Granger.

Pr Bernard Granger

Trois questions au Pr Granger

Medscape France : Pourquoi la RTU du baclofène dans le sevrage alcoolique est-elle sans cesse repoussée ?

Bernard Granger : La Recommandation Temporaire d'Utilisation (RTU)
consiste à donner une AMM dans une autre indication que celle pour laquelle le produit est déjà commercialisé pour une durée n'excédant pas 3 ans. Il s'agit d'une procédure qui est utilisée pour la première fois. Le baclofène essuie les plâtres. La Commission de l'ANSM chargée d'évaluer le bénéfice risque du baclofène s'est réunie déjà deux fois mais aucune décision définitive n'a encore été prise.

En parallèle, les laboratoires qui commercialisent le baclofène, soit Novartis et Zentiva (filiale de Sanofi) sont mis à contribution pour le suivi de la RTU. Dans ce cadre, la CNIL doit se prononcer sur la création d'un fichier de patients sous baclofène qui servira à suivre les effets secondaires. Le dossier devait être examiné en janvier, puis en février, mais le renouvellement de la composition de la Commission a repoussé l'examen au 13 mars. Nous avons, toutefois, le sentiment que tout devrait bien se passer.

Medscape : Il y a également des discussions sur le dosage et d'éventuelles contre-indications…

B.G. :
Nous avons été étonnés des conclusions de la première discussion de la commission d'évaluation du rapport bénéfice-risque du baclofène sur au moins deux points.

Le premier est que la commission de l'ANSM a préconisé une dose maximum de 200 mg, ce qui n'est pas en rapport avec les données actuelles de la science.

Les données des études observationnelles et la pratique clinique montrent que 200 mg permettent de soigner un peu moins de 75% des patients répondeurs. Or, 25% des patients répondent à des doses supérieures. Il serait dommage de les priver du médicament. D'ailleurs, dans l'étude Bacloville, la dose maximale autorisée est de 300 mg, ce qui correspond plus à la réalité.

Le deuxième point est que la commission préconise une contre-indication pour les patients qui sont atteints de maladies mentales graves comme les troubles bipolaires, les psychoses chroniques ou en cas d'état dépressif non stabilisé. Cela nous parait, d'une part, stigmatisant mais aussi, médicalement non justifié, car ces maladies sont aggravées par l'alcool. Le sevrage alcoolique fait partie du traitement.

Qu'il y ait des précautions d'emploi, évidemment, qu'il y ait des contre-indications, cela parait excessif. Il faut que le patient soit pris en charge par un médecin spécialiste parce que le baclofène a parfois des effets secondaires en termes d'humeur, sur les états d'excitation ou dépressifs, notamment chez les sujets à risque. Il faut un suivi plus attentif, et bien équilibrer le traitement psychotrope mais, à terme, les bénéfices sont majeurs. On ne voit pas pourquoi, sur des données relativement théoriques, on contre-indiquerait le médicament.

Medscape : Et concernant les décès survenus dans les études, est-ce une des raisons du redoublement de prudence ?

B.G. :
Les patients alcooliques sont des patients fragiles. L'ANSM a étudié les dossiers des patients décédés et estimé que les études devaient se poursuivre, d'autant plus qu'il y a eu des décès chez les patients qui n'avaient jamais pris de baclofène. N'oublions pas qu'il y en a 130 décès prématurés liés à l'alcool par jour en France...

« Depuis le 3 juin 2013, l'alcool a tué plus de 30 000 personnes. Combien en faut-il encore pour que les pouvoirs publics se décident à agir ? », concluent les co-signataires de la tribune.

Le Pr Granger n'a pas de liens d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique.


Référence :

  1. D. Sicard, B. Debré, F. Chast et coll. Alcoolisme : pendant ce temps, les malades peuvent mourir. Le Plus du Nouvel Obs. 27 février 2014

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