Paris, France – L'affaire fait grand bruit. Des partis de gauche (Nouveau parti anticapitaliste (NPA), Fédération pour une alternative sociale et écologique (Fase), des syndicats (syndicat de la médecine générale (SMG), CGT, FO…) s'en sont émus et ont apporté leur soutien à trois médecins du travail, les Drs Élisabeth Delpuech, Bernadette Berneron, Dominique Huez et un psychiatre, le Dr Jean Rodriguez, poursuivis en chambre disciplinaire du Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) pour avoir émis des certificats médicaux.
Le tort de ces quatre médecins a été d’établir un lien entre les pathologies de leur patient et leurs conditions de travail, en évoquant, à l’occasion, des cas de harcèlement moral, ce qui leur a valu d'être poursuivi par les employeurs. Depuis le vote de la loi Hôpital, patients, santé et territoire (HPST), le Cnom, les Conseils départementaux, mais aussi les Agences régionales de santé (ARS) ont la possibilité de poursuivre devant la chambre disciplinaire des médecins qui n'auraient pas respecté le code de déontologie, tel que l'édicte l'article L. 4124-2 [1].
Deux médecins échappent aux poursuites
Auparavant, avant le vote de la loi en 2009, seuls le Ministère de la Santé et le Procureur de la République avaient le droit de poursuite à l'encontre de médecins. Résultat, depuis 2009, le nombre de médecins poursuivis a explosé. Les employeurs, tout simplement, portent plainte contre les Conseils départementaux de l'ordre, lesquels décident ensuite de traduire les médecins incriminés devant la chambre disciplinaire de première instance. Mais pas toujours.
Ainsi, dans deux cas, les conseils départementaux se sont rangés aux côtés des médecins du travail : le Conseil départemental de l'Ain s'est porté solidaire du Dr Élisabeth Delpuech, contrairement au Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom), qui a fait appel. Le conseil départemental du Loir-et-Cher n'a pas, non plus, porté plainte contre le Dr Bernadette Berneron.
Manque de prudence et de circonspection
En revanche, le Dr Dominique Huez, poursuivi par la société Orys, passera devant la chambre disciplinaire de première instance de l'Ordre des médecins du Centre, le 18 décembre prochain. Convoqué le 7 mai dernier par le Conseil départemental de l'Ordre des médecins d'Indre et Loire, le Dr Dominique Huez, médecin du travail à la centrale nucléaire de Château Chinon, a décliné l'invitation, ne souhaitant pas s'expliquer devant une commission de conciliation en présence de l'employeur, Orys. On lui reproche, d'avoir délivré à un salarié d'Orys un certificat établissant un lien de causalité entre son état de santé psychique et ses conditions de travail. Surtout, on reproche au Dr Huez de ne pas avoir fait preuve de prudence et de circonspection.
Comité de soutien
Ce sont les mêmes reproches qui sont formulés à l'encontre du Dr Jean Rodriguez, psychiatre au centre hospitalier de Montfavet, fondateur de la première consultation sur la souffrance psychique au travail en région Paca.
Les faits remontent à novembre 2011. Une salariée du magasin Zôdio à Avignon (groupe Mulliez) consulte le Dr Rodriguez en faisant état de harcèlement moral. Le Dr Rodriguez émet alors des certificats médicaux, qui qualifient les arrêts de travail de cette salariée en accident du travail, adressés à l'assurance maladie. En juin dernier, le Dr Jean Rodriguez est convoqué par le conseil départemental de l'ordre du Vaucluse pour une réunion de conciliation avec la direction de Zôdio. La société Zôdio a en effet porté plainte devant le conseil départemental. Devant la commission de conciliation, la direction demande au psychiatre de renier ces certificats médicaux, ce que le Jean Rodriguez refuse.
Le conseil départemental a donc décidé, de son propre chef, de poursuivre devant la chambre disciplinaire de première instance de Marseille le Dr Jean Rodriguez. La date de l'audience n'a pas encore été fixée. Encore une fois, l'employeur reproche au praticien d'avoir établi un lien de causalité directe entre la pathologie de sa patiente et ses conditions de travail. Pour justifier de ces poursuites, l'Ordre invoque entre autres l'article 28 du Code de déontologie qui stipule que « la délivrance d'un rapport tendancieux ou d'un certificat de complaisance est interdite ». Pour sa défense, le Dr Jean Rodriguez cite l'article L. 461-6 qui dit qu'un médecin doit « déclarer tout symptôme et toute maladie non compris dans cette liste mais qui présentent, à son avis, un caractère professionnel ». Un comité de soutien s'est créé pour venir en aide tant aux médecins du travail poursuivi, qu'au psychiatre du CH de Montfavet [2].
Deux députés ont par ailleurs adressé un courrier à Marisol Touraine, ministre de la Santé, pour avoir des éclaircissements sur cette affaire à Montfavet. Christian Paul, député PS de la deuxième circonscription de la Nièvre, et Julien Aubert, député UMP de la cinquième circonscription du Vaucluse, attendent la réponse des services de la ministre...
Références
Liens
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Citer cet article: Des médecins poursuivis pour avoir dénoncé des cas de harcèlement - Medscape - 18 déc 2013.
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