Des probiotiques contre les maladies psychiatriques ?

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

28 novembre 2013

Cork, Irlande - Certaines bactéries sont capables de produire et de libérer des substances neuro-actives. Ces probiotiques pourraient être utilisés pour lutter contre des maladies psychiatriques. Des études chez les rongeurs suggèrent en effet que certains « psychobiotiques » possèdent un effet antidépresseur ou anxiolytique. Les mécanismes impliqués feraient appel à l'effet anti-inflammatoire de ces psychobiotiques et à leur capacité à réduire l'activité de l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. Telles sont les nouvelles pistes d'intérêt des probiotiques colligées dans une revue parue dans Biol Psychiatry [1].

Certaines bactéries produisent des neurotransmetteurs


Le Dr Thimothy G. Dinan et coll. viennent de publier une revue de la littérature consacrée aux « psychobiotiques », _ des probiotiques qui auraient des effets « psychiatriques ». Des preuves s'accumulent en effet.

Le rationnel est le suivant : il est établit qu'un certain nombre de bactéries sont susceptibles de fabriquer et de sécréter des substances utilisée dans le cerveau comme neuro-médiateurs.

C'est le cas notamment de certaines souches Lactobacillus et Bifidobacterium qui produisent de l'acide gamma-aminobutyrique ou GABA, un des principaux neurotransmetteurs inhibiteurs _ dont les anomalies retentissent sur les phénomènes d'anxiété et de dépression. De même, chez le rat, l'ingestion de Bifidobacterium infantis (B. infantis) augmente le taux sérique de tryptophane, un précurseur de la sérotonine, molécule très impliquée dans la régulation de l'humeur. De même, les auteurs rapportent que Escherichia, Bacillus et Saccharomyces produisent de l'adrénaline. Candida, Streptococcus, Escherichia et Enterococcus fabriquent de la sérotonine, alors que Bacillus et Serratia peuvent potentiellement sécréter de la dopamine.

On voit donc que des bactéries présentes dans le microbiote intestinal peuvent générer nombre de neurotransmetteurs-clés qui, expérimentalement, in vitro et chez l'animal, commencent à faire la preuve d'un effet possible dans les désordres liés au stress (comme la dépression et l'anxiété).

Par ailleurs, on sait que le développement du système immunitaire repose en grande partie sur l'exposition à des micro-organismes et que la dépression est associée à la présence de biomarqueurs de l'inflammation comme l'interleukine 6 (IL-6) ou encore le TNF-alpha. L'hypothèse a d'ailleurs été émise que la plupart des classes d'antidépresseurs agissent, en plus de leur effet sur les monoamines, par la production de cytokines potentiellement immunorégulatrices susceptibles de supprimer l'inflammation et les changements du système nerveux central associé à la dépression. Dans ce contexte, il est intéressant de penser que les effets immunorégulateurs de probiotiques puissent aussi être médiés par la production de populations de cellules T et la sécrétion d'IL-10.

Le microbiote intestinal

Le microbiote intestinal est peuplé par 1013 à 1014 micro-organismes, soit près de 10 fois le nombre de cellules humaines dans le corps humain, et 150 fois le nombre de gènes de notre génome. Le nombre d'espèces bactériennes varient énormément, mais il est généralement admis qu'il recouvre plus de 1000 espèces et plus de 7000 souches. La colonisation intestinale démarre à la naissance et des données montrent que la flore diffère selon que la naissance a lieu ou non par césarienne. Le microbiote subit l'influence du régime alimentaire, des infections et des maladies. S'il n'est pas connu qu'une altération du microbiote intestinal soit associée à une pathologie psychiatrique comme la dépression, il est néanmoins établi qu'un stress précoce dans la vie - qui lui est un facteur majeur de risque de dépression à l'âge adulte - induit des modifications du microbiote.


Un essai pilote chez des volontaires sains


Autre voie d'action possible des probiotiques : l'axe hypothalamo-hypophysaire-surrénalien. Les études pivotales de Sudo et coll. ont montré que chez des souris germ-free (GF ou souris sans bactéries commensales dans l'intestin), un stress modéré induit la libération de cortisone comparativement à des animaux exempts d'organismes pathogènes spécifiques (SPF). La réponse au stress de la souris GF peut être partiellement réversée par la colonisation par de la matière fécale issue d'animaux SPF et totalement réversée par B. infantis.

Chez des volontaires sains, un mélange de souches probiotiques réduit le cortisol urinaire, et si aucune autre recherche n'a été menée sur la modulation de l'axe hypothalamo-hypophysaire-surrénalien par les psychobiotiques, les auteurs soulignent que ces derniers sont susceptibles d'influer sur des cibles cérébrales clés (comme les récepteurs GABA) qui interviennent dans l'humeur et l'anxiété.

Ainsi, l'administration de Bifidus infantis à des patients présentant un syndrome de l'intestin irritable atténue les symptômes co-morbides de type angoisse et dépression. Et dans le syndrome de fatigue chronique, Lactobacillus casei a un effet clairement anxiolytique chez les patients comparé aux sujets du groupe contrôle. Enfin, dans une population de volontaires âgés, les participants avec l'humeur la plus sombre ont dit se sentir plus joyeux après l'ingestion quotidienne de produits contenant des probiotiques (même si l'effet n'a pas été retrouvé sur l'ensemble du groupe).

Les deux auteurs d'un éditorial accompagnant l'article soulignent l'accumulation de preuves montrant que la consommation de probiotiques a des effets bénéfiques significatifs sur l'humeur, et d'autant plus qu'il y a des déficits pré-existants [2].

Pour eux, cette revue délivre un message convaincant quant à l'intérêt d'analyser à la fois l'impact du microbiote sur les troubles de l'humeur et le rôle des psychobiotiques dans leur traitement.

Ce sujet a fait l'objet d'une publication sur Medscape.com

L'étude a été financée en partie par une bourse de la Fondation pour la Science irlandaise (Science Foundation Ireland) et par le Health Research Board of Ireland. Alimentary Pharmabiotic Centre a conduit des etudes avec des firmes comme GSK, Pfizer, Wyeth, et Mead Johnson. Les 3 auteurs ont rapporté avoir fait des presentations lors de meetings sponsorisés par des companies agro-alimentaires et pharmaceutiques et le Dr Dinan a dit avoir quitté récemment le Conseil de santé alimentaire (Board of Alimentary Health). Pour les éditorialistes, le Dr Burnet a rapporté avoir reçu des fonds de recherché de la part de Clasado Ltd, UK, et le Dr Cowen est actuellement payé comme membre de l'advisory board de Lundbeck.

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