Le JAMA plaide la cause des statines en prévention primaire

Vincent Bargoin

28 novembre 2013

Londres, Grande-Bretagne - Le hasard est peu vraisemblable dans cette publication : la synchronisation avec les très récentes recommandations américaines sur le cholestérol est trop parfaite...

Sous l'intitulé « Clinical Evidence Synopsis », le Journal de l'American Medical Association publie un résumé de la méta-analyse déjà publiée cette année par le réseau Cochrane, et qui soutient le principe d'une prévention primaire par une statine chez les sujets à risque modéré, voire faible [1].

Conjointement, le JAMA publie un éditorial, peut-être encore plus radicalement pro-statine que le « Synopsis » lui-même [2].

Le tout vient à l'appui de recommandations qui élargissent considérablement la prescription de statine vers le bas risque, et qui, Outre-Atlantique, ne font pas l'unanimité.

Les nouvelles recommandations

Les nouvelles recommandations américaines stipulent que le traitement par des doses moyennes à élevées de statines se justifie chez tous les sujets âgés de 40 à 75 ans, qui présentent un risque d'évènement CV d'au moins 7,5% à 10 ans (recommandation de classe I).

Les recommandations estiment également « raisonnable » de traiter par des doses modérées de statine les sujets dont le risque à 10 ans est compris entre 5 et 7,5%. La recommandation est de classe IIa, mais les résultats sur lesquels elle se fonde sont classés B par l'AHA, par l'ACC et par le NIH.

Au final, on estime que l'application de ces recommandations pourrait doubler le nombre de personnes sous statine aux Etats-Unis par rapport aux recommandations dites ATP III (Adult Treatment Panel), publiées en 2001 et réactualisées en 2004.  

La méta-analyse Cochrane

La méta-analyse dirigée par Fiona C Taylor (Cochrane Heart Group, London School of Hygiene and Tropical Medicine), que les nouvelles recommandations ont bien sûr pris en compte, porte sur 18 essais et près de 57 000 patients.

Ces essais portaient sur la prévention primaire, et incluaient soit des patients sans maladie CV documentée, soit moins de 10% de patients porteurs d'une maladie CV documentée.

Le taux moyen d'évènements cardiovasculaires dans les groupes contrôle était de 15% sur 10 ans.

Les résultats sont les suivants.

Risques relatifs et nombre de patients à traiter pour éviter un évènement dans les essais de statines en prévention primaire


RR [95%]
Nombre de patients à traiter durant 5 ans pour éviter un évènement
Mortalité toutes causes
0,86 [0,79-0,94]
138
Evènements CV
0,75 [0,70-0,81]
49
Evènements coronaire
0,73 [0,67-0,80]
88
AVC
0,78 [0,68-0,89]
155
Revascularisations
0,62 [0,54-0,72]
96
Evènements indésirables
1,00 [0,97-1,03]
/
Diabète de type 2
1,18 [1,01-1,39]
99

Pour les auteurs, la conclusion est donc claire. « Les statines diminuent les évènements cardiovasculaires chez les sujets porteurs ou non de maladie cardiovasculaire clinique ». Et de souligner que « l'incidence des cancers, myalgies, élévation des enzymes hépatiques, insuffisance rénale, ou arthrite ne diffère pas entre les groupes, bien que tous les essais ne rapportent pas de données complètes sur ces évènements ».

Ils notent toutefois aussi qu'une augmentation des AVC hémorragiques est possible sous statine, « bien qu'aucune des études, prises individuellement, ne fasse ressortir cet élément ».

Les auteurs de la méta-analyse mettent par ailleurs en avant la convergence de leurs résultats avec ceux de la Cholesterol Treatment Trialists' Collaboration, et concluent ainsi leur discussion : « les résultats [de la méta-analyse et de la CTT] démontrent les bénéfices des statines chez des sujets dont le niveau de risque est inférieur à celui des critères d'éligibilité reconnus par les recommandations britanniques, européennes et les anciennes recommandations américaines [ATP III] ».

Quelques bémols sont apportés. Des études coût/efficacité des statines sont ainsi demandées chez les patients à faible risque CV. Des comparaisons sont par ailleurs souhaitées avec les rapports coût/efficacité des stratégies non pharmacologiques. Enfin, des données observationnelles sont attendues sur - malgré tout - le risque de diabète, la qualité de vie et la question des AVC.

Mais pour l'essentiel, le message est que les résultats de la méta-analyse et les nouvelles recommandations américaines sont parfaitement en phase.

L'éditorial du JAMA

Ce message est repris dans un éditorial, signé par Jennifer G. Robinson (Université de l'Iowa), qui n'y va pas par quatre chemins.

« De nombreuses voix s'élèvent dans le public et la communauté médicale pour s'opposer fortement à un large usage des statines en prévention primaire des maladies athérosclérotiques. Ces critiques énoncent plusieurs raisons pour éviter les statines, notamment des inquiétudes sur les effets secondaires, l'absence de bénéfice sur la mortalité toutes causes, le coût et l'aversion philosophique au traitement médicamenteux ».

S'agissant de la mortalité générale : « Les méta-analyses procurent maintenant suffisamment de preuves que les statines réduisent les évènements cardiovasculaires et la mortalité totale chez les individus à faible risque CV, davantage qu'on ne le supposait jusqu'à présent, et ceci, avec une excellente marge de sécurité ».

S'agissant des effets secondaires, l'éditorial souligne le fait que, dans la méta-analyse Cochrane, le taux d'interruption de traitement est le même parmi les sujets sous statine et parmi les sujets sous placebo (12%). « Ceci signifie que les taux d'effets secondaires étaient bien similaires dans le groupe statine et dans le groupe contrôle, et qu'il n'y a pas d'artéfact lié à des effets secondaires plus fréquents engendrant des interruptions plus fréquentes sous statine ».

L'essai CTT, lui, montre un risque « très légèrement accru de myopathie sévère, de rhabdomyolyse et d'AVC hémorragique sous statine », signale l'éditorial. « Mais ces résultats n'altèrent pas le bénéfice sur les maladies athérosclérotiques ».

Enfin, le problème du diabète, central aux Etats- Unis puisque le risque est mentionné dans les RCP des statines, est neutralisé ainsi : « dans JUPITER, il y avait 2,5 évènements CV ou décès CV évités pour chaque cas supplémentaire de diabète dans le groupe rosuvastatine ».

S'agissant du coût, la question est considérée comme « insignifiante maintenant que cinq statines courantes sont disponibles sous la forme de génériques ».

Reste « l'aversion philosophique » : « l'accumulation des preuves devrait convaincre ceux qui manifestent une aversion aux statines en prévention primaire de reconsidérer leur position ».

L'impasse sur les contre-arguments

Evidemment, il existe aussi un certain nombre de contre-arguments à l'élargissement de la prescription systématique de statines aux patients à bas risque CV, que les deux papiers du JAMA n'évoquent pas.

Quels que soient les résultats des méta-analyses Cochrane et CTT, il reste que toutes les méta-analyses ne sont pas concordantes - citons celle du Pr Kausik K Ray (n=65 000), publiée en 2010 dans les Archives of Internal Medicine, qui retrouve un bénéfice non significatif, et donc pas les 20% d'évènements évités en prévention primaire, revendiqués par JUPITER [3]. Au demeurant, on sait que l'étude JUPITER a été interrompue prématurément (après 240 IDM et AVC), ce qui peut induire une surestimation des résultats.

Il reste aussi que la FDA a imposé des restrictions sur la simvastatine en raison du risque d'atteintes musculaires, qu'une association du traitement intensif par statine avec un risque rénal aigu a été rapportée, qu'un sur-risque de cataracte a lui aussi été évoqué, même si les études à ce propos sont contradictoires, que dans la vraie vie, plus de 50% d'interruptions de traitement ont été signalés.


Toutes les études inclues dans la méta-analyse de la Cochrane ont été financées par l'industrie pharmaceutique.
Le Dr Huffman, qui figure parmi les auteurs de la Cochrane, rapporte des financements du National Heart, Lung, and Blood Institute, et d'AstraZeneca.
Le Dr Ebrahim rapporte des financements du Wellcome Trust, du National Institute of Health américain, et des royalties d'Open University Press.
Le Dr Robinson, qui signe l'éditorial, déclare des financements, destinés à son institution, de Amarin, Amgen, AstraZeneca, Daichi Sankyo, Eli Lilly, GlaxoSmithKline, Pfizer, Regeneron, Roche, Sanofi-Aventis, et Takeda, ainsi que des honoraires de consultant d'Amgen, Pfizer, et Sanofi-Aventis.

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